Lettre ouverte au président Boubacar Camara

Parmi mes amis, beaucoup ont été outrés par le traitement que vous avez subi au cours d’une émission «Jakarloo» d’il y a trois semaines. Nous ne récusons nullement le format de cette émission, encore moins les débats d’idées-pour autant qu’ils s’inscrivent dans une dynamique contradictorielle, même passionnée, sans toutefois être passionnelle (la distinction est d’importance).
Si je m’intéresse à votre cas, c’est bien parce que cette émission, «Jakarloo», objet de cet article, est devenue virale au point d’alimenter, dans nos chaumières et «grand-places», des sujets de conversation et de provoquer des réactions indignées.
Il importe de souligner, pour s’en féliciter, que beaucoup de vos compatriotes considèrent que vous incarnez une figure à la fois majeure et emblématique de ce qui fait l’excellence de nos élites intellectuelles et politiques. Homme imbu des valeurs éthiques et morales des plus positives de notre société, vous avez une aura qui a dépassé nos frontières pendant que votre expertise est réclamée partout. Respect !
En effet, chacune de vos prestations est de haute facture contrairement à certaines interventions faites de lieux communs et d’un bavardage impénitent pour faire illusion. Parbleu ! Il faut bien faire la différence entre le langage journalistique et le langage politique (pas dans le sens positif qu’en avaient les Grecs) qui me fait penser à ce qu’a dit James Orwell à ce propos : «Le langage politique est conçu pour donner aux mensonges des airs de vérité et pour donner l’apparence de solidité à ce qui n’est que du vent et de l’esbrouffe.»
Orwell fut un excellent chroniqueur, lui.
Vous avez été pris à partie par un «chroniqueur» qui, avec une agressivité inouïe, en hystérisant presque le débat, a eu l’outrecuidance de soutenir que vous auriez été envoyé sur différents plateaux de télévision pour défendre un projet. Passons sur le caractère loufoque d’une telle stigmatisation et demandons-nous ce qu’il y a derrière ce qu’il convient de qualifier pour le moins d’impair discursif, voire d’imposture ! Quelle est la plus-value qu’apporte à l’émission une insanité du genre : «vous courez après un poste ministériel» ? Ce co-débatteur, qui a fini par indisposer tout le monde, ignore-t-il à ce point votre valeur et votre idéal type pour s’imaginer un seul instant qu’un poste ministériel peut vous impressionner au point de vous faire courir ? Que n’interroge-t-il pas votre cursus honorum ? En effet, vous êtes crédité d’une double légitimité : un brillant parcours académique /universitaire et une impressionnante carrière professionnelle dans la haute administration.
Devant une situation aussi ubuesque, vous avez eu raison, médusé, de vous demander si vous aviez devant vous un chroniqueur !
En effet, la violente charge que rien ne justifie dont vous avez fait l’objet prouve à suffisance qu’il faut tourner le regard ailleurs, pour trouver les véritables contractuels ou rentiers d’une mission commandée, j’allais dire commanditée…
Pour en revenir au format de l’émission, par le passé, le principal modérateur se montrait toujours à la hauteur même si, parfois, cela allait dans tous les sens. Il faut reconnaître que ce rôle, dans un brouhaha de séance parlementaire bon enfant, n’est pas évident. Pour cette fois, l’émission a été, pour dire le moins, un flop. Du reste, les débats qui tournent à la foire d’empoigne devraient attirer l’attention du Cnra, qui doit veiller à ce que la violence verbale, même de façon subliminale, ne devienne source d’influence pour les enfants. En effet, face aux conduites transgressives, le modérateur aurait dû taper sur la table, rappeler tous à l’ordre et nous éviter ce spectacle à la fois délirant et affligeant auquel nous avons assisté. In fine, il doit réguler les émotions qui pourraient menacer les rapports interpersonnels. Après tout, on l’oublie trop souvent, en dehors des chroniqueurs, tous les autres participants sont des invités et, à ce titre, ont droit à des marques d’égards auxquelles nul ne peut se soustraire. Ce n’est pas bienséant que de remettre en cause l’image qu’un invité présente de lui-même, attitude en miroir que devraient se renvoyer tous les participants du groupe, lesquels, du moins on est en droit de le présumer, souhaitent que l’émission se déroule dans d’excellentes conditions. En outre, que ce soit dans cette émission ou en dehors, il y a un code normatif non écrit, codifié et ritualisé (le savoir-vivre) qui doit sous-tendre les interactions sociales.
Monsieur le président Camara, dans beaucoup de pays, ceux qui ont votre parcours sont magnifiés, montrés en exemple à leur jeunesse et célébrés. Par contre, dans ce pays de tous les paradoxes, le Sénégal ; où les compétences sont réduites au silence et ceux qui devraient faire preuve d’humilité et de respect envers d’honnêtes citoyens portés aux nues, vous saurez désormais, sûrement mieux que moi, qu’elle conduite tenir !
Dr Cheikh T BA, Ph. D
ctba03@yahoo.fr