Lettre ouverte aux autorités
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A l’aube de cette année nouvelle, nous souhaitions nos vœux pleins et entiers de succès et réussite aux autorités qui sont à la tête du Sénégal, car, indéniablement, leur succès sera aussi le nôtre.
Le budget 2025 a été voté, notamment celui de la Culture, qui fait l’objet de la présente adresse. Le ministère de la Jeunesse, des sports et de la culture pèse aujourd’hui 85 milliards F Cfa, soit 1, 3% du budget total et une augmentation de 24, 8% par rapport à 2024.
S’il faut se féliciter de la hausse de ce budget rapportée au budget de 2024, force est de constater que nous sommes encore loin du compte. L’Unesco, dans ses textes fondateurs, ne recommande pas moins de 1% à minima, pour les budgets nationaux de ses Etats membres, à allouer au seul secteur de la Culture.
Si nous sommes convaincus au pays du poète-Président Léopold S. Senghor que la «culture est au début et à la fin du développement», cette vérité ne se reflète décidément pas dans la part accordée à la Culture dans le budget global de l’Etat du Sénégal.
Et encore moins dans la part réservée, dans ce budget de la Culture, au cinéma dont tout le monde s’accorde à reconnaître le rôle important dans le nouveau référentiel, en ce qui concerne l’avènement d’un nouveau type de Sénégalais.
Certes, des avancées ont été notées au Sénégal, avec l’adoption de lois allant dans le sens de jeter les bases d’une nouvelle politique ambitieuse au profit de la culture en général et du cinéma en particulier. Nous voulons citer, entre autres, ici, les dispositions de la loi portant création du statut de l’artiste, adoptée en 2020 et vulgarisée en 2022. Avec pour objectif, selon le Secrétaire général du syndicat des professionnels des métiers de la musique Daniel Gomes, «l’accès aux protections sociales telles que la sécurité sociale, les allocations familiales, les retraites et les mutuelles de santé. Il y a aussi l’attente de la mise en œuvre rapide et efficace du Guichet unique de la culture. Ce mécanisme simplifie les démarches administratives, réduit la charge pour les employeurs et garantit aux artistes un accès équitable à leurs droits».
Le Code de la presse, pour sa part, intègre dans ses dispositions (Art. 49 à 52) que «les productions nationales et africaines doivent impérativement occuper au moins soixante pour cent (60%) de la grille quotidienne des programmes de toute chaîne de radiodiffusion sonore». Sans oublier celles relatives à la production audiovisuelle (Art. 87 à 99) consacrant que «les dispositions de la présente section complètent la loi no2008-09 du 25 janvier 2008 sur le droit d’auteur et les droits voisins, en ce qui concerne les œuvres audiovisuelles.
Les œuvres audiovisuelles sont considérées comme des œuvres de l’esprit et, à ce titre, sont couvertes par le droit d’auteur».
C’est dire qu’il y a des raisons d’espérer des nouvelles autorités, même si toutes les dispositions précitées -qui ont le mérite d’exister- ont ceci en commun, c’est qu’elles ne sont pas encore opérationnelles et n’ont aucun impact dans le quotidien des acteurs.
En effet, les plus hautes autorités de ce pays, dans le cadre de leur politique de souveraineté dans tous les domaines de la Nation, ont fait part de leur volonté de travailler à l’émergence d’une conscience citoyenne basée sur la nécessaire réappropriation mémorielle de notre histoire racontée par nous et non par des citoyens d’autres pays, quelle que soit leur expertise.
En cela, il a été dit que le cinéma devra aller dans le sens de la production d’œuvres tirées de notre patrimoine historique, déclinée par nous et pour nous. Pour les professionnels que nous sommes, des films de ce genre sont ceux qui coûtent le plus, eu égard aux investissements dans la reproduction des décors et costumes d’époque.
Pour dire qu’en dépit des efforts de structures comme le Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuelle -Fopica-, le problème du financement et de l’organisation de notre cinéma reste entier.
Aujourd’hui, nombreux sont les films en attente d’être financés ou d’un complément de financements, au grand dam des acteurs du cinéma.
D’où notre parti pris pour l’érection d’un Centre national du cinéma (Cnc), une proposition enrichie par différents acteurs du cinéma et transmise à la Direction de la cinématographie pour étude, en soutien à la création d’œuvres cinématographiques, avec une autonomie de gestion et dans lequel les acteurs du cinéma et l’Etat travailleront en synergie.
Ne nous trompons pas de combat, le financement du cinéma est une chose, mais le but à atteindre, c’est de faire véritablement de ce secteur une industrie à part entière, et partant, un levier de développement.
Il n’est que de voir l’apport de la rémunération de la copie privée en Afrique, au niveau des caisses de l’Etat, des industries créatives et des ressources distribuées aux auteurs, qui génère déjà près de 9 millions d’euros, avec le Burkina Faso en précurseur dans ce domaine, dans la région de l’Afrique de l’Ouest. Au niveau mondial, selon le Rapport sur les Collectes mondiales 2023 de la Confédération internationale des sociétés d’auteurs et compositeurs -Cisac-, la copie privée a généré 368 millions d’euros pour les créateurs du monde entier en 2022.
Dans un communiqué de la Cisac, il est dit que «cette source de revenus devrait connaître un coup d’accélérateur grâce à l’adoption d’une nouvelle directive régionale qui harmonise les règles relatives à la copie privée et promet une hausse des revenus pour les créateurs et les industries créatives. Par ses conseils, la Cisac a joué un rôle-clé dans l’élaboration de cette législation.
Le texte de la directive régionale a été adopté à l’unanimité par le Conseil des ministres des Etats membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) le 22 septembre 2023. L’Uemoa regroupe huit pays. Un seul d’entre eux, le Burkina Faso, possède déjà un système efficace de rémunération pour copie privée. On estime que la mise en place d’un système de copie privée générera une rémunération substantielle pour les créateurs de la sous-région.
Le système de rémunération prévu par la directive de l’Uemoa repose sur les mêmes principes que d’autres systèmes déjà en place dans la région et à l’échelle internationale. La rémunération s’applique aux copies faites pour un usage privé et est soumise à la gestion collective obligatoire. Les Etats membres ont jusqu’à 2025 pour transposer la directive dans leur législation nationale».
Forts de ce constat, les acteurs de la culture que nous sommes, attendons de l’autorité de tutelle une oreille plus attentive aux problématiques de la Culture en général et du cinéma en particulier au Sénégal. Car l’avenir du septième art dans notre pays sera ce que nous en ferons, Etat et acteurs du secteur, en binôme.
Clarence Thomas DELGADO – Cinéaste et producteur sénégalais