Lettre ouverte aux autorités culturelles :

Pour un Forum national sur le livre et la lecture réellement représentatif et inclusif
A l’heure où se dessine le Forum national sur le livre et la lecture, événement d’envergure censé tracer les perspectives futures du secteur, il nous paraît essentiel d’interpeller les autorités, dans un esprit républicain et constructif, sur l’importance d’une identification rigoureuse et équitable des véritables acteurs du monde du livre au Sénégal.
Nous ne doutons ni des intentions ni de la volonté de bien faire. Mais une chose est certaine : il ne saurait y avoir de réforme authentique, de vision partagée, ni de stratégie nationale cohérente, si les principaux protagonistes de la chaîne du livre sont tenus à l’écart ou négligés.
L’organisation d’un tel forum, s’il se veut légitime et utile, doit reposer sur une cartographie honnête, plurielle et dynamique des forces vives du secteur. Cette cartographie existe. Elle ne demande qu’à être reconnue, valorisée, intégrée dans les processus de décision.
Plusieurs initiatives collectives, organisations professionnelles, associations et projets citoyens se sont déjà distingués par leur engagement concret, leur expertise de terrain et leur impact culturel avéré. A ce titre, nous appelons humblement à ne pas occulter les entités suivantes, sans lesquelles tout débat sur le livre serait incomplet, voire désincarné.
Fonk Sunuy Làmmiñ
Collectif rassemblant chercheurs, enseignants, bibliothécaires, journalistes, éditeurs et militants des langues nationales, Fonk Sunuy Làmmiñ œuvre avec rigueur et créativité à la promotion de nos langues comme instruments de savoir, de lecture et de citoyenneté. Leurs axes d’action -enseignement, graphie correcte dans l’espace public et animation littéraire- touchent au cœur des enjeux du forum : langues nationales, éducation, production écrite et lecture publique.
La Convention nationale des écrivains et éditeurs du Sénégal (Conees)
Après une première rencontre fondatrice à Guédiawaye en octobre 2023, la Conees a initié des réflexions d’une grande profondeur sur le rôle du livre dans le développement culturel, politique et économique. Leurs conclusions ont même nourri le programme «Sénégal Horizon 2050». Le séminaire de Diakhao en juin 2025 a confirmé leur capacité à mobiliser et structurer le débat littéraire national. Comment parler du livre sans ces artisans de la réflexion collective ?
L’Association sénégalaise des éditeurs (Ase)
Organe professionnel majeur du secteur, l’Ase réunit les maisons d’édition généralistes, scolaires et littéraires du pays. Elle a organisé la première Rentrée littéraire du Sénégal sur le thème central de la souveraineté littéraire. Ignorer l’Ase reviendrait à vouloir réguler la pêche sans les pêcheurs, ou planifier une agriculture sans les paysans.
L’Association des écrivains du Sénégal (Aes)
Renouvelée en 2025, l’Aes fédère aujourd’hui des écrivains confirmés et émergents. Elle joue un rôle clé dans la défense de la création littéraire, la transmission et la valorisation de notre patrimoine écrit. Dans un forum sur le livre, leur présence n’est pas symbolique : elle est structurelle.
Le Cénacle des jeunes écrivains du Sénégal (Cjes)
Meneur de la Grande Nuit de la littérature sénégalaise -l’un des événements les plus inclusifs et populaires du secteur-, le Cjes incarne la jeunesse, la vitalité et la diversité du monde littéraire sénégalais contemporain. Sa capacité à réunir tous les corps de métier du livre mérite une place à la table des réflexions.
Parlons Poésie
Né d’un élan spontané entre jeunes poètes, le collectif a grandi pour devenir un espace de création, de publication (avec Alfaruq Editions) et de célébration de la poésie moderne. Le Grand Prix Ibrahima Sall pour la poésie, organisé chaque année, fait aujourd’hui référence. Les formes orales et contemporaines de la littérature doivent être intégrées aux discussions du forum.
Les organisateurs d’événements littéraires
Ils œuvrent avec abnégation, souvent sans soutien institutionnel, pour faire vivre le livre au-delà des centres urbains. Citons :
Amina Seck (Salon du livre féminin de Dakar) ;
Moustapha Ndéné Ndiaye (Salon international du livre de Thiès) ;
Abdoulaye Fodé Ndione (Filid) ;
Alassane Cissé (Festival du livre jeunesse) ;
Massamba Guèye (Grande Nuit du conte) ;
Salamata Ousmane Diallo (Miss Littérature).
Ces événements tissent un lien essentiel entre les livres, les publics et les territoires.
Les bibliothécaires, libraires et diffuseurs
Souvent les grands oubliés des politiques publiques, ils sont pourtant le dernier maillon -et parfois le seul- entre le livre et le lecteur. On pense ici à :
Bibliovélo de Idrissa Sow (bibliothèques itinérantes à vélo) ;
Plumes du monde, espace littéraire vivant à Dakar ;
Afrothèque, une bibliothèque privée, riche et ouverte, dédiée aux auteurs du Sud ;
La Bibliothèque Nomad, des «escales» littéraires à Dakar et des livres qui circulent.
Les éditeurs, imprimeurs, diffuseurs et distributeurs indépendants
Ils s’appellent Moukat, L’Harmattan Sénégal, Maîtres du jeu, et d’autres encore. Ils publient, diffusent, impriment, soutiennent, débattent, innovent. Ils donnent corps aux manuscrits et vie aux idées.
La presse culturelle et les critiques littéraires
Sans eux, les livres ne rencontreraient pas leurs lecteurs. Les journalistes culturels de l’Apcs ou les critiques regroupés autour de Waly Ba sont des transmetteurs essentiels. Ils analysent, valorisent, critiquent, encouragent. Leur regard éclaire, leur plume oriente.
Les centres culturels régionaux et les gestionnaires de Clac
Nous souhaitons également souligner le rôle crucial des centres culturels régionaux et des gestionnaires des Centres de lecture et d’animation culturelle (Clac). Ces structures, présentes sur le territoire, abritent souvent des bibliothèques et assurent un travail fondamental d’animation et d’accès à la lecture dans des zones souvent peu dotées. Leur connaissance du terrain et leur proximité avec les populations sont des atouts inestimables pour une politique nationale du livre.
Et tous ceux que nous n’avons pas pu nommer…
Ce texte, aussi long soit-il, n’embrasse pas toutes les initiatives existantes. Il est probable que d’autres structures, personnalités ou collectifs méritent tout autant d’être cités. Cette omission n’est ni un oubli, ni une négligence, mais plutôt un signe de la vitalité foisonnante du secteur du livre au Sénégal. Que chacun sache que sa voix, son travail, ses efforts comptent.
Ce rappel à la lucidité n’est ni une attaque ni un repli identitaire : il est un appel citoyen à la cohérence. Le Forum national sur le livre et la lecture doit être l’occasion d’un diagnostic honnête, d’un débat ouvert et d’une refondation ambitieuse. Cela exige d’y associer les vrais acteurs -pas seulement ceux qui ont un titre, mais ceux qui ont une action.
Le livre est un bien public, un ferment de citoyenneté, un vecteur de souveraineté. Il mérite d’être pensé avec celles et ceux qui l’aiment, le servent, le protègent et le diffusent chaque jour.
Que ce forum soit à la hauteur de ce que le Sénégal littéraire espère : un rendez-vous de lucidité, de courage et d’inclusion.
A bon entendeur.
Babacar Korjo NDIAYE
babacarmail@gmail.com