Lettre ouverte aux sieurs Mouhamed Diallo et Babacar Kébé de Seneweb : Parti-Etat : quand l’ignorance devient chronique !

En ce matin du 30 juillet 2025, les internautes ont eu droit, sur un plateau de Seneweb, à une chronique pour le moins désolante, signée Mouhamed Diallo et Babacar Kébé. Voulant sans doute flatter certains pouvoirs ou justifier un glissement autoritaire que tout esprit lucide perçoit, les deux journalistes se sont aventurés à faire l’éloge du modèle du Parti-Etat, sans toutefois comprendre ce qu’ils tentaient de défendre. Plus grave encore : ils ont livré une définition erronée, confuse, voire fantaisiste, d’un concept pourtant lourd de conséquences dans l’histoire politique du monde.
Avant de manipuler un concept aussi sensible, il est impératif de maîtriser à la fois son sens propre et ses implications historiques et politiques. Car le parti-Etat, contrairement à ce que vos propos laissent entendre, ne renvoie pas simplement à un parti «fort» ou «majoritaire», il désigne un système dans lequel un seul parti accapare l’Etat, absorbe ses institutions et élimine toute forme d’opposition ou de contre-pouvoir.
Un parti-Etat, dans sa définition la plus rigoureuse, est un régime où le parti unique fusionne avec l’appareil étatique ; l’adjectif unique porte tout son sens premier ; décidant de tout sur la Justice, l’Armée, les médias, l’éducation, l’économie… Ce modèle, qu’il soit déguisé sous un vernis légal ou assumé comme totalitaire, est incompatible avec les principes de pluralisme, de démocratie et de liberté.
Deux exemples récents illustrent cette dérive :
D’une part, le parti Pastef au pouvoir dont le leader, M. Ousmane Sonko, concentre entre ses mains l’essentiel du pouvoir, marginalisant institutions, corps intermédiaires et voix dissonantes. Tout semble articulé autour de sa personne, dans une logique de personnalisation absolue du pouvoir, inquiétante pour toute démocratie saine.
D’autre part, sous le régime du Président Abdoulaye Wade, une tentative manifeste de dévolution monarchique du pouvoir avait été engagée, avec l’ambition non dissimulée de transmettre le flambeau à son fils, M. Karim Wade. Cette tentative, largement rejetée par le Peuple sénégalais, avait révélé les dangers d’une telle concentration dynastique du pouvoir.
Oser appeler cela un «modèle», et pire, l’encenser sans réserve sur une chaîne internet très suivie, témoigne non seulement d’un parti pris flagrant, mais aussi d’un niveau de culture politique désespérément bas.
En tentant de normaliser l’idée d’un parti-Etat au Sénégal, ces chroniqueurs ignorent ou feignent d’ignorer la trajectoire politique du pays. Le Sénégal s’est forgé une tradition démocratique de très longue date, singulière en Afrique, avec une vie politique pluraliste, des alternances pacifiques et une Société civile vigilante. Ce Peuple debout, qui a renversé les puissances les plus arrogantes, ne se laissera jamais enfermer dans une camisole partisane.
Les Sénégalais savent reconnaître les signaux faibles de la dérive : confusion entre parti et Etat, mainmise sur les institutions, réduction des espaces de liberté, rhétorique de l’unanimisme et persécution des voix discordantes. Quiconque tente d’imposer cette logique fera inévitablement face à la résistance populaire.
Il serait donc utile, messieurs Diallo et Kébé, que vous procédiez à une étude comparative sérieuse, avant d’oser affirmer qu’un parti-Etat serait envisageable, voire souhaitable au Sénégal. Posez-vous la bonne question : un parti-Etat peut-il s’installer dans un pays aussi politiquement mature que le nôtre ? A moins de croire que les Sénégalais ont perdu la mémoire et la vigilance, la réponse est non.
Enfin, et c’est un conseil sincère, avant de jouer aux idéologues du matin, prenez le temps de lire, de comprendre et de réfléchir. La liberté de parole ne donne pas le droit de tordre les concepts, ni de trahir l’histoire.
Amadou MBENGUE
dit Vieux
Secrétaire général de la Coordination départementale de Rufisque,
Membre du Comité central et du Bureau politique du Pit/Sénégal