Levée de la taxation sur le riz importé : le pari de l’autosuffisance en riz en berne

«Dans l’optique de soulager les ménages en proie à la hausse des prix de certaines denrées de première nécessité, le gouvernement aurait décidé de renoncer à toutes les taxes sur le riz brisé importé. L’équation pour l’Etat, actuellement, est de s’assurer que les consommateurs, et non pas que les commerçants spéculateurs, puissent réellement bénéficier de la baisse des prix que cette mesure entraînera», pouvait-on lire dans une livraison du journal Le Quotidien de la semaine dernière.
Voilà, c’est la nouvelle qui est tombée comme un couperet pour les milliers d’acteurs impliqués dans la filière riz local. Car oui, ce sont des milliers de personnes, producteurs, ouvriers agricoles, manutentionnaires, employés d’usine, transporteurs, qui s’y sont investis avec pour but de fournir aux consommateurs sénégalais un produit de qualité, à un prix abordable, et qui puisse pleinement les satisfaire.
Bien entendu, il ne s’agit à aucun moment de léser le consommateur qui reste la priorité. Cependant, il serait temps que l’Etat applique des mesures suffisamment protectionnistes à la hauteur de l’enjeu de l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire pour notre pays. Une piste de solution serait le retour de la caisse de péréquation. Qu’est-ce que la caisse de péréquation ? Cette dernière avait été créée par la loi 73 39 du 31 juillet 1973 avec comme mission d’assurer la régulation et la stabilisation des prix de produits énumérés par décret, dont principalement le riz brisé importé. Le retour de ce principe de caisse de péréquation garantirait la mise en place d’un mécanisme vertueux pour les producteurs, les transformateurs et les porteurs de financement (crédits de campagne). Ce mécanisme se mettrait en place de la façon suivante : un prix de rachat minimum garanti aux producteurs, leur permettant de ne plus être à la merci des spéculateurs pour l’achat du paddy au moment des récoltes et assurant in fine un remboursement à temps de leurs crédits de campagne. Les retombées heureuses s’en feraient donc sentir sur toute la chaine de valeur.
Un autre bénéfice de la caisse de péréquation réside dans le fait que cela réglerait en outre la problématique du financement du crédit de campagne pour les transformateurs ; ceux-ci pourraient s’approvisionner régulièrement auprès de cette même caisse, en fonction de leurs besoins tout au long de l’année. Egalement, elle permettrait de réguler les importations, en ce sens que les quotas d’importation (en attendant l’autosuffisance) seraient redistribués à ceux qui s’approvisionnent en riz paddy auprès de cette caisse. Cela serait un réel bénéfice pour ceux qui contribuent au développement de la filière locale et in fine pour les consommateurs sénégalais.
Aujourd’hui, les mesures prévues, a priori, par le gouvernement visent au renoncement de toutes les taxes sur le riz brisé ordinaire importé, ce qui ne va, sans aucun doute, que contribuer à affaiblir les acteurs de la filière locale, déjà fortement lésés dans la configuration actuelle du marché.
Au Sénégal, environ 98% des importations concernent la brisure de riz et environ 37% de la consommation nationale de riz provient de l’Inde. Les efforts consentis ces dernières années ont permis au riz local de résorber plus du quart de la consommation nationale (27%).
Mais, force est de reconnaiîre qu’il est aujourd’hui moins risqué, plus facile et moins cher d’importer un cargo de riz en provenance de l’Inde, que de le produire localement dans le Nord du Sénégal. Le montant des subventions octroyées à la filière par le gouvernement indien avoisinait les 13,7% en 2021 (au-delà du seuil de 10% autorisé par l’Organisation mondiale du commerce), concurrence qu’il est difficile de vaincre en termes de compétitivité. La politique du gouvernement indien afférente à la filière nationale, se traduit de la façon suivante :
Le producteur indien reçoit une subvention sur les intrants ;
Le gouvernement rachète à un prix minimum garanti qui assure un bénéfice d’au moins 50% sur le coût de production pour les agriculteurs ;
Une subvention est octroyée à l’exportation.
L’enjeu économique de la filière du riz local est déterminant : le montant des importations de riz en valeur avoisine chaque année 500 milliards de Francs Cfa. Cette décision de l’Etat du Sénégal de subventionner un produit qui souffre déjà de concurrence déloyale vis-à-vis du produit en provenance de l’Inde, est un coup douloureux porté aux producteurs locaux qui se battent déjà sur deux fronts : l’accès aux subventions sur les engrais et les difficultés de financement auxquelles ils font face pour mener à bien leurs cultures. A cela se rajoute également la Tva sur les factures d’électricité, ainsi que les autres postes de charges pour les transformateurs.
Notre pays se trouve à un tournant, il est crucial de ne pas rater le coche. L’esprit de réforme ayant contribué à permettre à l’Equipe nationale de nous offrir le premier trophée continental après plusieurs sacrifices et une politique sportive cohérente, doit être répliqué dans cette industrie clé qu’est la filière du riz. Les mesures protectionnistes idoines doivent être appliquées pour permettre la compétitivité du produit local et atteindre à terme, l’autosuffisance alimentaire. L’Etat du Sénégal investit depuis 2012, des ressources considérables dans la promotion de la filière riz, il serait dommage que par des mesures tarifaires, toute une chaîne d’acteurs locaux pleinement engagés pour l’autosuffisance alimentaire, en pâtissent.
Momar BA
Entrepreneur
1 Comments
Nous devrions tous véritablement oeuvrer pour l’autosuffisance alimentaire de l’Afrique.
Agronome français vivant en Afrique de l’ouest depuis plus de 30 ans, je constate que malheureusement que les politiques sociales de court terme (paix sociale dans les villes) sont souvent privilégiées aux politiques agricoles et économiques de long terme.
La filière riz au Sénégal manque cependant de compétitivité du fait :
– des importations de brisures, un sous produit des rizeries asiatiques, 25 % moins cher que le riz entier.
– des droits de douane et taxes sur la brisure (98 % des 1,1 million de tonne importés en 2021, + 20 % vs 2020) ou le riz long grain les plus faibles au monde de 12,7 %, vs des droits divers en moyenne de 28 % pour les autres pays d’UEMOA.
– des charges de production pour le riziculture sénégalais près de 2 fois supérieurs à celui de l’indien : engrais urée (malgré la subvention peu efficiente de l’Etat), électricité (malgré la suppression récente de la prime fixe), pièces de rechange pour le matériel agricole et les rizeries (38 à 48 % de taxes), …
– des pertes de production à chaque campagne de 15 à 20 % du fait des oiseaux granivore Quelea Quelea, un ravageur qui s’abat sur les cultures céréalières par centaine de milliers, comme le font les criquets pélerin. Seule la DPV est habilitée à contrôler ce fléaut, sans résultats notables ces 30 dernières années…
Il en résulte une filière au bord de la faillite et des surfaces emblavées en diminution dans la vallée du fleuve Sénégal. Le revenu des rureaux est 3 fois inferieur à celui des urbains…
Mais la paix sociale est assurée dans les villes…
Le gouvernement vient cependant de prendre concience, tardivement, de la nécessité de soutenir la filière. La solution annoncée en février 2022 est une subvention de 30 FCFA/kg de riz paddy. Suffisant pour que les riziculteurs et les rizeries (si la subvention est partagée ?) sortent la tête de l’eau, à condition que la subvention ne soit pas versée aux opérateurs avec des délais de 6 à 12 mois (cas de la subvention des engrais), du fait du manque de trésorerie de l’Etat…
Pas suffisant cependant pour :
– investir : les aménagements hydroagricoles des années 90 et 2000, gratuits pour les riziculteurs, financés par les bailleurs internationaux avec des taux d’intérêts conséquents, remboursés par les impôts de toute la population, ne sont plus d’actualité.
– créer des emplois : que faire des jeunes techniciens et ingénieurs sortant des écoles (avec un niveau d’instruction très faible) ?
– assurer le développement économique du pays : sans production de matières premières agricole, pas de développement significatif de l’agroalimentaire.
En attendant, l’Inde et la Thaïlande remercient le Sénégal de lui assurer des débouchés pour ses surplus de productions permettant d’assurer une sécurité alimentaire de leurs populations respectives.
Visiblement l’indépendance alimentaire est un sujet traité plus efficacement par les gouvernements asiatiques que par ceux des pays africains…
François Grandry
Entrepreneur