L’heure d’une remontada diplomatique

L’élection du président de la Banque africaine de développement (Bad) s’est tenue hier à Abidjan. Au terme de trois tours de vote, le Mauritanien Sidi Ould Tah est sorti victorieux du vote des actionnaires de cet outil de coopération financière du continent, avec une large majorité. C’est un neuvième président de cette institution qui s’installe pour succéder au Nigérian le Dr Akinwumi Adesina, avec tout un agenda ambitieux pour le continent. Les High 5 du Dr Adesina, avec pour objectif de nourrir, d’éclairer, d’industrialiser, d’intégrer et de renforcer la qualité de vie des Africains, seront poursuivis dans l’esprit, mais le nouveau patron de la Bad pose une boussole et fixe «quatre points cardinaux» visant à terme la réforme de l’architecture financière de notre continent, l’industrialisation s’appuyant sur une exploitation des ressources naturelles, la mobilisation partout d’investissements et de capitaux, ainsi qu’une conversion du dividende démographique de l’Afrique en une réelle force économique. Pour tous ces chantiers ambitieux, nous lui souhaitons plein succès pour l’intérêt de l’Afrique.
Notre compatriote Amadou Hott, candidat à cette présidence, aura de façon élégante concédé sa défaite, félicité le nouveau président de la Bad et salué tous ses soutiens dont le président de la République Bassirou Diomaye Faye, à l’issue d’une campagne qui a pu être éprouvante. Il est triste qu’un tel fils du pays ne réussisse pas à obtenir cette position pour laquelle son parcours et son pedigree militaient largement. Sa victoire aurait par ailleurs constitué un autre succès pour le Sénégal, après le rayonnement qu’un autre de ses fils, Babacar Ndiaye, qui l’a dirigée de 1985 à 1995, a fait bénéficier à cette institution internationale.
Amadou Hott aura battu campagne de façon acharnée, aura joué de son entregent et montré beaucoup de volonté dans la course à la présidence de la Bad. Mais, au vu des votes, il apparaît clairement qu’il aura été la victime collatérale d’un dérèglement de la position du Sénégal sur l’échiquier africain et d’une redéfinition des orientations diplomatiques de notre pays qui n’est pas encore des plus claires.
Nous disions en novembre 2024, dans une chronique intitulée «Donner toutes les chances à Amadou Hott», qu’il était important que l’ancien ministre de l’Economie, du plan et de la coopération internationale bénéficie d’un soutien absolu pour battre campagne auprès des quatre-vingts pays membres de la Bad, afin de mettre toutes les chances de son côté. A ce jeu, on verra que la Mauritanie aura été plus méthodique que nous, usant d’un lobbying et d’une stratégie des plus audacieuses pour fédérer le plus d’Etats africains autour d’elle. La force du vote régional pour la candidature de Sidi Ould Tah renseigne beaucoup sur une partie d’échecs bien négociée par la Mauritanie qui aura dépêché tout ce qu’elle a comme hauts fonctionnaires, diplomates, hommes d’affaires et partenaires pour obtenir ce succès. Le Président Ould Ghazouani aura été le joueur derrière tous les coups stratégiques, ne s’embarrassant pas à aller à l’assaut de tous ses pairs, après son mandat à la tête de l’Union africaine en 2024. Le relais des réseaux du monde arabe aura été activement investi et à l’évidence, une forme d’isolationnisme du Sénégal avec la nouvelle alternance aura facilité la convergence de voix autour de la candidature mauritanienne. On ne peut plus continuer à nous voiler la face, l’effritement de notre force diplomatique est une réalité. Cette situation est à corriger au plus vite, afin d’éviter à d’autres enfants de ce pays de connaître l’échec en cherchant à obtenir les meilleurs strapontins.
On peut ne pas nier le rôle joué par la diplomatie et le gouvernement du Sénégal pour accompagner la candidature de Amadou Hott, mais avec la réalité de notre positionnement actuel et de la gestion de nos relations avec nos voisins et partenaires, tous les efforts auront été des coups d’épée dans l’eau. Le Sénégal avait le candidat idéal, avec un profil taillé pour la fonction, mais il n’aura pas fait jouer l’agressivité, l’endossement sans cire et l’implication fougueuse pour lui permettre d’atteindre son but. Il n’aurait pas été de trop que le Président Bassirou Diomaye Faye mène un roadshow diplomatique dans plusieurs pays avec Amadou Hott dans sa délégation, pour demander activement des votes en sa faveur. Un travail qui a dû être délégué à la cheffe de la diplomatie du pays, mais le résultat des courses montre que ce mode de portage n’aura pas été efficace, d’autant plus que le messager a pu être confus dans la politique diplomatique qu’il devrait conduire.
Je me dis, depuis que le Sénégal a présenté sa candidature pour l’organisation de la 36ème édition de la Coupe d’Afrique des Nations (Can 2027) qu’on aura perdue de quatre voix face au trio Kenya-Ouganda-Tanzanie, une frilosité et une logique maladroite d’auto-sabotage auront travesti la stratégie de candidatures internationales du Sénégal. Les revers diplomatiques se multiplient et tout le temps, ce sont des Sénégalais méritants qui en sont les victimes collatérales. La candidature du professeur Abdoulaye Bathily à la Commission de l’Union africaine, le rêve de Seydina Oumar Diagne d’être Secrétaire général de l’Association des comités nationaux olympiques d’Afrique (Acnoa), le projet de Me Augustin Senghor de se faire élire au Conseil de la Fifa, entre autres déceptions, suffisent à ce que le président de la République interroge la politique diplomatique que mène notre pays. Les raisons profondes de notre perte de vitesse doivent être identifiées et les changements nécessaires faits.
On dit dans le football américain que le meilleur des quaterbacks, s’il n’est entouré que de plots et poutres, peut mettre quelques touchdowns dans un match. Toutefois, il gagnerait difficilement une rencontre. Le Sénégal aura fait de Amadou Hott un quart-arrière esseulé, qui aura joué de bon cœur et montré une volonté de bouger des lignes. Il aura tenté efficacement ses passes en catastrophe («Hail Mary») tout le long de la campagne, et cela est tout à son honneur. Il restera malheureusement dans l’opinion, entre le feu d’une transition entre deux pouvoirs, et le traitement médiatique de sa campagne dans notre pays renseigne à juste titre de l’incompréhension et de l’hostilité dont il a malheureusement souffert.
Pour le challenge de la Bad, il aurait fallu une équipe complète avec ses unités spéciales et tout ce qu’il faut de douzième homme pour le pousser au succès. Il est sûr qu’il saura rebondir et sortir grandi de ce défi, mais son échec devra être un rappel à nos autorités qu’une candidature sénégalaise se défend avec toute énergie. Le temps pour une remontada de notre diplomatie est bien là. Il faudra écouter les gens de ce métier et leur donner la possibilité d’apporter des réponses. Pour ce qu’est le Sénégal, on ne peut être autant à la ramasse. Ce pays n’est que par ses idées, ses enfants et son influence.
Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn