Par Hamidou ANNE –

Comme il fallait s’y attendre, les sanctions de la Cedeao à l’encontre du Mali ont provoqué des commentaires populistes au sujet de l’abandon et de l’asphyxie du pays par ses partenaires, et des fadaises sur la sempiternelle injonction de la France aux chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest. Quels sont les faits ? Le Nord du Mali a été occupé un an durant par des jihadistes qui ensuite ont voulu marcher sur Bamako, avant d’être arrêtés par l’opération Serval. En mars 2012, des militaires, avec à leur tête le fantasque capitaine Sanogo, qui ont échoué face aux milices du Mnla et aux jihadistes, renversent Amadou Toumani Touré à un mois de l’élection présidentielle. Pour éviter que le Mali ne sombre et devienne un territoire d’expérimentation d’un Etat islamiste, les forces de la Minusma ont été déployées pour préserver la stabilité du pays et y maintenir la paix.
En 2020 et 2021, deux nouveaux coups d’Etat viennent assombrir la tragédie malienne. A l’heure où Assimi Goïta, qui se prend pour un héros anti-impérialiste alors qu’il n’est qu’un sous-Sankara des réseaux sociaux, trône dans les bureaux climatisés de Bamako au lieu de combattre les hordes jihadistes, 12 789 militaires et 1774 policiers dont un millier de soldats sénégalais, sont prêts à mourir pour son pays. Face à la volonté de la junte malienne de se maintenir au pouvoir, les sanctions sont dures, mais légitimes. Il faut seulement reprocher aux Etats membres de la Cedeao, même face à la perte de la bataille de l’opinion, de ne pas se soumettre à l’obligation d’expliquer leur décision dont les conséquences à plusieurs niveaux sont importantes.
Quid du Sénégal ? Le Sénégal est dans son rôle en appuyant les décisions de la Cedeao du Sommet d’Accra, malgré la profondeur de nos relations avec le Mali, pays frère avec qui nous partageons une histoire et un destin. Amadou Toumani Touré a été exfiltré par les diplomates et soldats sénégalais, et notre pays lui a offert l’hospitalité digne de son rang et digne de l’histoire commune entre nos deux pays.
Des militaires sénégalais sont morts loin de leurs familles, dans les combats contre les ennemis du Mali. Entre décembre 2020 et février 2021, 850 Jambaars ont été envoyés au Mali pour une durée de douze mois. Ces pères de famille qui partent risquer leur vie doivent recevoir le respect des hommes politiques, activistes et journalistes.
Il est consternant de voir les mêmes s’agiter en disséminant mensonges et preuves d’ignorance. Les politiciens, qui saluent la junte en jouant de démagogie et de populisme, devraient faire preuve de décence. «Un homme ça s’empêche», disait Camus. Quand un élu de premier plan de la Nation applaudit un putsch, il faut avoir peur. Le même appelle à la dissolution de la Cedeao et salue la non-application des sanctions par la Guinée Conakry (dirigée par un régime inconstitutionnel) et la Mauritanie (qui a quitté la Cedeao depuis 22 ans). Certains se rêvent Castro alors qu’ils ne sont au mieux que le prototype d’un général Boulanger des tropiques, l’uniforme en moins.
Et je passe outre les journalistes, à qui l’analyste Barka Ba sur la Tfm a essayé d’expliquer avec mesure et rigueur, la complexité du dossier malien et qui répandaient par la transposition à la télé, à une heure de grande écoute, des ragots dignes de comptoirs de bar.
Si quelqu’un veut voir des putschistes en puissance ou ceux qui demain pourraient légitimer une rupture constitutionnelle au Sénégal, il faut se tourner vers ces gens.
Le populisme le plus crétinisant s’est emparé de nombreux esprits réfractaires à la complexité, voire à la vérité tout simplement. Aucun mensonge, aucune confusion ne sont de trop pour nourrir le discours identitaire et ameuter une base électorale, afin de la rendre méfiante vis-à-vis des institutions. Les artisans de cette virée vers l’absolue bêtise, qui flattent les bas instincts du Peuple par l’excès, sont responsables de la dissémination dans le corps social des germes de la guerre civile demain, dont ils ne sortiront pas eux-mêmes indemnes. L’exportation des divergences liées à la politique intérieure dans le champ de la politique étrangère est irresponsable.
Le patriotisme n’est pas un slogan vaseux ; il s’agit d’aimer son pays et de faire preuve de responsabilité quand de graves dangers menacent sa survie. Laisser le Mali succomber à ses maux, c’est fragiliser le Sénégal et l’ouvrir aux vents morbides du terrorisme islamiste.
En 2022, j’observe des politiciens qui ne se soucient ni de la sécurité nationale, ni du droit international, encore moins du prestige et de la respectabilité diplomatique de la Nation. Les médias ne filtrent plus aucun discours. Pire, des journalistes sont des porte-parole non officiels de partis populistes aux idées rances et conspirationnistes. Comme si le Sénégal était devenu un pays que la raison a abandonné.
hamidou.anne@lequotidien.sn