L’ancien chef rebelle Gibril Massaquoi est jugé pour une série d’atrocités qu’il aurait commises ou ordonnées entre 1999 et 2003, pendant la guerre civile.

Un Tribunal finlandais s’est déplacé jusqu’aux confins du Liberia, jeudi 18 février, pour retrouver les traces de l’ancien chef rebelle Gibril Massaquoi, surnommé «l’Ange Gabriel», qu’il juge pour une série d’atrocités commises pendant la guerre civile ayant ravagé le pays à la fin du siècle dernier.
Les magistrats finlandais ont visité jeudi le village de Kamatahun, dans une région montagneuse proche de la frontière sierra-léonaise, à une journée de route de Monrovia, ont constaté des journalistes de l’Afp. Accompagnés des autorités locales, ils ont inspecté les restes de maisons incendiées pendant l’une des pires guerres du continent africain qui a fait 250 mille morts et des millions de déplacés entre 1989 et 2003.
Le procès de Gibril Massa­quoi, 51 ans, s’est ouvert le 3 février devant le Tribunal de Tampere, ville du sud de la Finlande où il avait été arrêté en mars 2020 après la mobilisation d’Ong. Les audiences ont ensuite été suspendues afin de permettre aux juges de se délocaliser quelque 6 500 km plus au sud. Pendant deux mois, le Tribunal visitera des scènes de crimes en Sierra Leone et au Liberia et entendra quelque 80 témoins. La Cour de Tampere prévoit de revenir en Finlande en mai pour deux mois supplémentaires d’audience, avec un jugement attendu en septembre.

Des cadavres «transformés en nourriture»
A Kamatahun, des habitants ont accusé Gibril Massaquoi d’avoir ordonné d’enfermer des civils, dont des enfants, dans deux bâtiments, avant de les réduire en cendres, selon le dossier d’instruction. Au moins sept femmes ont été violées et tuées dans la même localité, tandis que les cadavres d’autres habitants ont été découpés en morceaux et «transformés en nourriture que Massaquoi a mangée», selon la même source.
Les juges devaient ensuite se rendre dans un hameau voisin, Yandohun, où l’ex-chef rebelle est également accusé d’être responsable d’atrocités. «Mon père a été tué sous mes yeux en face de ce bâtiment», une ancienne maison de la jeunesse encore criblée d’impacts de balles, a raconté à l’Afp un habitant de Yandohun, Kerfah Kamara. «J’étais un enfant, je ne pourrai jamais pardonner à ses meurtriers», a ajouté l’homme de 27 ans, sans directement accuser Gibril Massaquoi.
Le chef du village, Massaquoi Swaray, 60 ans, se souvient lui aussi du passage des miliciens. «Ils ont violé ma femme et m’ont obligé à les regarder faire. Après, elle avait tellement honte qu’elle est partie dans la forêt et elle est morte», explique-t-il, très ému. Le dossier inclut également des accusations de meurtres et de viols de masse ailleurs dans la province de Lofa (nord) et à Monrovia, la capitale, ainsi que des mises en cause pour esclavage et recrutement d’enfants soldats.
Gibril Massaquoi, qui est resté dans sa prison en Finlande où il vit depuis 2008, affirme qu’il était engagé dans des négociations de paix ailleurs dans la région à l’époque des atrocités. Il encourt la prison à perpétuité pour meurtres, «crimes de guerre aggravés» et «crimes contre l’humanité aggravés», qu’il est accusé d’avoir commis ou ordonnés entre 1999 et 2003. Il était alors un haut responsable du Front révolutionnaire uni (Ruf), un groupe armé sierra-léonais dirigé par le caporal Foday Sankoh, proche de l’ex-chef de guerre libérien devenu Président Charles Taylor.

Un jugement attendu en septembre
Celui qu’on surnommait «l’Ange Gabriel» comparaît pour une litanie d’accusations de crimes, viols et actes de torture commis en personne ou par ses soldats, selon le dossier d’accusation de près de 4 000 pages compilé par la justice finlandaise. Celle-ci permet de poursuivre des crimes graves commis à l’étranger. Jadis professeur, il avait été autorisé à s’installer en Finlande après avoir témoigné en 2003 devant le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (Tssl) mis en place par l’Onu. Il avait alors reçu une immunité pour les actes commis dans son pays, mais pas au Liberia.
Après la guerre civile, la plupart des commandants des différents groupes armés ont fui le pays et les poursuites restent l’exception, même si des condamnations ont été prononcées aux Etats-Unis et des procès et des poursuites sont en cours en Suisse et en France. L’ex-Président Taylor purge une peine de cinquante ans de prison depuis 2012, mais pour des crimes commis en Sierra Leone, pas dans son pays, où aucun Tribunal pour crimes de guerre n’a été institué.
Le Monde