Liberté
Plus qu’un luxe, je crois que la liberté est un bien commun dont la gratuité n’enlève en rien à la valeur. La liberté est sacrée. Contenue dans un cadre légal, elle est facteur de paix et de stabilité. Sans règles écrites ou de dignité partagée sous format gentleman agreement, elle peut déborder et verser dans l’anarchie destructrice et autodestructrice.
La liberté libère. Elle n’enchaîne qu’à la conscience qui, en arbitre intérieur, sait le mobile de tout comportement. Nul ne peut lire la conscience d’autrui. Nul ne doit interpréter abusivement le choix d’autrui. Pour rester libre, il faut respecter la liberté des autres. Liberté d’entreprendre, de ne pas entreprendre, de penser, d’aller, de venir, d’adhérer, de rompre, de choisir, de ne pas choisir, liberté de rester libre. Libre : c’est quoi au juste ? L’Homme libre n’est pas forcément l’électron libre. Il n’est pas dans l’anarchisme qui refuse Dieu et le maître. Il est dans l’exercice d’un droit sacré d’obéir à sa conscience et au bon sens et d’aller en synergie vers d’autres consciences pour soulever des montagnes. Le seul risque dans le maniement de la liberté est dans la suffisance qui peut pousser à rompre avec la nécessaire mutualisation des énergies des hommes.
L’Homme libre et lucide sait choisir et il sait qu’un choix ne signifie point adhésion au tout, mais un pas d’humilité vers autrui.
La quête du choix basé sur l’adhésion au tout pousse à moins de socialisation, cette autre quête vitale qui fonde les libertés. Oui les libertés transcendent la liberté pour qui sait la complexité de l’Homme qui ignore et s’ignore. Souleymane Faye, le poète chanteur, disait : «Lima doon ak ki ma doon ak limay nuru, dama leen di jaawatle ba tey.» En traduction moins poétique : «Qui je suis, ce que je suis et à quoi je ressemble sont trois choses que je confonds.» Souleymane avait raison. Il a raison. Il aura raison.
L’Homme libre a un défi plus important que la quête d’autonomie vis-à-vis des autres. Il doit résister à la tyrannie du moi qui en nous tous dort en diktat. Le libre, n’est-ce pas celui qui s’affranchit de soi-même d’abord ?
Faits et commentaires
Un professeur d’économétrie nous apprenait au siècle dernier que la mesure est à l’estimation, ce que la spéculation est à l’approximation. Le prof nous incitait à essayer de rester près de la réalité pour bâtir un argumentaire. Il nous disait de ne commenter que quand on sait.
Savoir qu’on sait ce qu’on sait et qu’on ne sait pas ce qu’on ne sait pas, voilà en vérité le vrai savoir du sachant. Cela pose la question de la «ligne Maginot» entre le fait et le commentaire. Le commentateur est-il l’historien du temps présent ? Le donneur d’avis de tout bord s’appuie-t-il sur la posture du cameraman qui, face aux faits, restitue le visible et le vu sans détourner son objectif vers sa totale volonté partielle, partiale, voire parcellaire ? En vérité, le commentateur est libre de donner son avis d’expert ou même «d’inexpert» pour, en intention ou sans le chercher, s’essayer à façonner une opinion. Il en a le droit parce qu’étant citoyen. En a-t-il le devoir ? A-t-il le droit de travestir les faits ou de les faire taire face au devoir de vérité totale qui veut qu’il s’oblige de parler des deux trains, celui ponctuel et l’autre en retard ? Question à la conscience. Il n’est pas malsain en position de donneur d’avis d’essayer de persuader. Il est cependant plus noble de le faire avec l’arme de la sacralité des faits têtus qui, tôt ou tard, finiront par ressortir au grand jour, éclaboussant la crédibilité des «contre-façonneurs» d’opinion. La paresse ne doit pas être l’excuse de l’intellectuel distant ou «créateur d’émotions» qui gagnera en crédibilité en asseyant son argumentaire sur le trône des faits palpables et référencés. Au-delà des faits, la spéculation intellectuelle, aussi belle soit-elle, rayonne d’autant en s’adossant aux murs de la probité, guide éclairé des avis différents et pas forcément divergents. La différence d’opinions est comme toute palette de couleurs. Les couleurs ne sont pas antagoniques ! Elles sont juste différentes en beauté. L’intellectuel vertueux n’est pas infaillible. Il peut se tromper. Il peut tromper l’opinion de bonne foi, mais il ne tordra jamais le cou aux faits. Dans un monde d’invectives faciles et de faux courages nihilistes en quête d’applaudissements pompeux, le risque pour l’homme ou la femme de vertu est de céder face à la tyrannie d’une opinion, bulle qui grossit dans la toile pour s’essayer à changer la vérité des faits par un tissu de bonnes intentions. Les faits sont sacrés et le commentaire est libre, nous enseignent les hommes et femmes de presse. Le prof d’économétrie avait raison. Défaire les faits pour bâtir un avis est aussi pénible qu’ensevelir une ombre. C’est une grosse, très grosse perte de temps et d’énergie. C’est pourquoi la rationalité et l’efficience prônent pour un adossement des avis aux faits, pour ensuite emprunter librement le vaste champ du possible, en n’oubliant pas de l’analyser sous le prisme de l’accessible. Oui, le possible se jauge à l’instrument de l’accessible. Naviguer dans le possible avec des pagaies inaccessibles est aussi une forme de déformation des faits à portée d’homme et même de surhomme. Le populisme l’ignore parce qu’il est beaucoup plus dans le dynamitage social revanchard des arbres bruyants qui tombent que dans le progressisme silencieux des arbres qui poussent.
Mamadou NDIONE
Maire de Diass