Depuis un mois, la rubrique Palimpsestes est privée de son chroniqueur, placé sous mandat de dépôt par le juge d’instruction du Pool judiciaire financier. Depuis un mois, Serigne Saliou Diagne est détenu à la Maison d’arrêt de Rebeuss dans une «procédure dans laquelle il n’a rien à faire», comme l’ont souligné ses avocats. Ils ont entrepris les démarches pour que les charges soient annulées. On croise les doigts en sachant les lenteurs judiciaires qui maintiennent des milliers de détenus dans les cellules lugubres des maisons d’arrêt et de correction du pays. Avisés et engagés dans la bataille, les conseils de M. Diagne se sont mis en charge pour faire sortir toute la famille Diagne de cette situation qui sent le «délit de sang».
Pour le Groupe Avenir Communication, l’arrestation de son administrateur et son placement en détention constituent un dessein à la finalité obscure. Que cherche-t-on en mettant en prison le «patron» du Quotidien ? Que lui reproche-t-on alors que le Parquet financier et le rapport de la Centif ne l’ont jamais visé ? Peut-on mettre quelqu’un en prison en allant chercher les raisons a posteriori ? Mille fois non, bien sûr !
Pour ces 30 jours de détention pour Serigne Saliou Diagne, Le Quotidien a décidé de lui consacrer cette chronique. Car il faut rappeler à tous que la prison ne peut pas être un élément de sanction pour un innocent. Dans le Code pénal et le Code de procédure pénale, le délit de sang n’existe pas. Si les principes qui gouvernement l’Etat de Droit ont encore un sens dans ce pays, il doit être libre. Il n’aurait même pas dû se retrouver dans la froideur d’une cellule de Rebeuss. Le ministère de la Justice ne peut pas se plaindre du surpeuplement des prisons alors que des personnes innocentes sont écrouées dans les centres pénitentiaires avec cette systématisation des mandats de dépôt. Il y a un peu plus d’un an, l’Etat du Sénégal a organisé les Assises de la Justice pour essayer de réformer son fonctionnement. Les mêmes pratiques, les mêmes travers, les mêmes risques de dysfonctionnement demeurent. Les réalités d’hier sont l’héritage d’aujourd’hui : mandats de dépôt à la pelle, retours de Parquet, des procureurs toujours ultra-puissants, qui maintiennent en détention des citoyens par leurs appels, des mesures alternatives aux détentions rangées dans les tiroirs des juges avec des rares cas de cautionnement validés.
Pour tous les justiciables ordinaires, chaque convocation est un chemin de croix, une voie presque ouverte vers les portes d’une prison. Après son démarrage, la machine broie presque tout sur son passage, plongeant toute une structure dans un cycle d’incertitudes. Et aussi d’incompréhensions.
Or, la Justice est un socle commun qui stabilise une société. Elle arbitre les conflits. Elle rassure les citoyens. Elle protège les faibles. Elle ne lie pas les destins des gens. Elle est un voile protecteur pour tous. Car la liberté est un cadeau divin, même si sa jouissance est encadrée. On est sur des principes.
Par une simple opération arithmétique, on constate que les cabinets d’instruction du Pjf se remplissent de dossiers issus essentiellement des rapports de la Centif, constitués sur la base de simples soupçons et de trafic de migrants. On ne peut pas bâtir une société juste en réprimant les voix dissidentes par le biais de délits où se mêlent soupçons et conjectures. En attendant les rapports de la Cour des comptes, de l’Inspection générale d’Etat ?
Actuellement au bord du gouffre à cause d’une crise économique qui l’étreint, le régime obtient ainsi un motif de réconfort avec ses arrestations faites sous le sceau de la «reddition des comptes». Or, le bilan passé de ces opérations interdit d’accorder quelque crédit aux motifs généreux et vertueux dont elles se prévalent aujourd’hui. L’histoire récente rappelle, au demeurant, que la traque des biens mal acquis remporte au début des grands succès fulgurants, autant que largement médiatisés. Mais, les étapes qui suivent sont plus chaotiques et plus discrètes, surtout avec des dossiers montés à la tête du client et à la va-vite. Si ce caractère acquiert de plus en plus l’apparence de l’évidence, chacun étant sommé dans ce pays de «choisir» son camp, cela montre la fracture du pays. Même si pour certains, la minute de vertu permet de gommer des décennies de turpitude.
Sans doute serait-il séant de prendre en compte l’inquiétude démocratique et le sentiment d’impuissance en cours dans le pays ? En vrai, il faut se défaire de l’idée qu’il existe un monde libre définitivement protégé de l’autoritarisme, et rappeler que l’exercice de la liberté suppose des conditions politiques. Aujourd’hui, la question du recul de la démocratie est un sujet central d’inquiétude. Il n’a rien à voir avec le «laissez-faire» ou l’insoumission aux lois, mais il s’agit du désir de faire tenir ensemble la puissante idée du respect de la dignité humaine et de la présomption d’innocence.
Par Bocar SAKHO – bsakho@lequotidien.sn