Libre échange … Abdoulaye Ndiaye, Point focal de la Société civile au Comité national du Pgo : «On n’a aucune information sur la loi portant sur le droit de l’accès à l’information»
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Chargé de programme à «Article 19», Abdoulaye Ndiaye est le Point focal de la Société civile au sein du Comité national du Partenariat pour un gouvernement ouvert (Pgo). Une initiative internationale à laquelle le Sénégal a souscrit depuis 2018 et qui promeut les bonnes pratiques en termes de gouvernance. Dans cet entretien, M. Ndiaye revient sur l’adhésion du Sénégal audit partenariat, les obstacles qui empêchent l’exécution des 12 points d’engagement du Sénégal structurés autour de trois axes : l’amélioration de la transparence dans la gestion publique et de l’accès à l’information, l’amélioration de l’accès au service public et de la qualité des services rendus aux usagers-clients et enfin, du renforcement de la participation et de l’engagement citoyens.Qu’est-ce que le Partenariat pour un gouvernement ouvert (Pgo) ?
Le Partenariat pour un gouvernement ouvert est une initiative internationale de transparence. Il est à l’initiative de l’ancien Président américain, Barack Obama, dès 2008. Elle visait à changer le mode de gouvernance. C’est-à-dire qu’il vise à ouvrir le gouvernement dans la mise en œuvre de son action pour que le citoyen puisse avoir accès à l’information. Que le citoyen puisse être proactif dans les modes de gouvernance. Vous constaterez que lorsqu’on parle de Partenariat pour un gouvernement ouvert, il pourrait y avoir des amalgames par rapport à l’ouverture dont il est question ici. D’ailleurs, certaines organisations religieuses n’ont pas manqué de tenter de manipuler la population, soi-disant que le gouvernement ouvert voudrait dire une catégorie de personnes tendancieuses ou tendancielles à des orientations idéologiques plus ou moins diverses. Ce qui n’est pas le cas. Le Partenariat pour un gouvernement ouvert auquel le Sénégal est membre depuis 2018 et dont on parle, est une initiative internationale de transparence et de participation publique.
Le Sénégal s’est déjà doté d’un plan stratégique de bonne gouvernance. Est-ce à dire que cela n’était pas suffisant pour mieux adresser cette question ?
En fait, la bonne gouvernance est un processus. C’est un idéal. Mais, un idéal qui est mis en œuvre et qui doit connaître des progressions. Donc, un processus qui continue dans le temps. Pour revenir à votre question, cette initiative est intéressante parce que tout simplement elle vient renforcer le dispositif déjà existant de la bonne gouvernance au Sénégal. D’ailleurs, la stratégie de la bonne gouvernance dont vous faites allusion est évoquée dans l’énoncé des motifs du Pgo. C’est comme s’il y avait une reconnaissance de la Stratégie nationale de la bonne gouvernance dont s’est doté le Sénégal et une continuation des principes et idéaux que contiennent la Stratégie nationale pour sa mise en œuvre. Je rappelle qu’après son adhésion en 2018, l’Etat du Sénégal a organisé des consultations nationales dans toutes les régions du Sénégal. C’est pourquoi la notion de gouvernement ouvert est importante et a tout son sens. En ce sens que les démembrements du gouvernement ont été à la rencontre de toutes les populations du pays. Les consultations ont eu lieu en 2020 pour permettre aux acteurs locaux, aux citoyens de dire ce qu’ils pensent et de fixer leur priorité par rapport à chaque région et ses spécificités.
A l’issue de ces tournées, il y a eu une validation qui est intervenue en 2021, assortie de 12 engagements. Vous vous rendrez compte que ce sont toutes les préoccupations nationales qui ressortent dans ces engagements. Quelques éléments essentiels par exemple : ce sont l’accès à l’information, la transparence dans le secteur de la pêche, mais aussi le renforcement des pouvoirs de l’Ofnac. Il y a en outre, la dématérialisation des procédures administratives. Tous ces éléments s’inscrivent dans une logique de renforcer, non seulement la démocratie, mais aussi et surtout, la bonne gouvernance. Il serait difficile d’apprécier la bonne gouvernance aujourd’hui si on n’a pas accès à l’information financière. Si on ne renforce pas les pouvoirs de l’Ofnac dans le cadre de la lutte contre la corruption, etc. En outre, ces engagements s’inscrivent dans une logique d’ouvrir la gouvernance pour que les populations, les collectivités puissent y participer. Je rappelle également que dans le processus, il ne s’agit pas que des Etats. Il y a aussi l’adhésion de gouvernements locaux. Il y a plus de 77 gouvernements locaux qui ont adhéré au processus.
La reddition des comptes est un élément de la bonne gouvernance. Que peut apporter le Pgo pour son effectivité dans notre Etat ?
Elle est fort intéressante cette question, et je m’en vais vous répondre par les engagements. Du Pan-Pgo, je vous ferai remarquer qu’on ne peut parler de reddition des comptes sans pour autant résoudre la question de l’accès à l’information financière. Le premier engagement parle de l’adoption d’une loi sur l’accès à l’information. Sur un autre engagement, on insiste sur le renforcement des capacités de l’Ofnac pour aller au-delà des rapports qui sont déposés et publiés, que l’institution puisse activer la procédure judiciaire en saisissant le procureur directement. C’est tout le mécanisme qui est derrière et qui peut permettre qu’on en arrive à des résultats satisfaisants de pouvoir dire que le Partenariat pour un gouvernement ouvert participe aussi à la transparence dans la gouvernance. Et lorsqu’on parle de transparence, on parle de la reddition des comptes, situation des responsabilités, entre autres.
Le Sénégal a souscrit au Pgo depuis 2018. Quels sont les atouts qu’offre ce partenariat ?
Les atouts : c’est déjà que les engagements se trouvent dans le temps, puisque ce sont des engagements que vous prenez pour deux ans. Vous vous engagez à les réaliser en deux ans. Donc, sur deux ans, on devrait avoir fini, d’ici à 2023, d’adopter la loi sur l’accès à l’information, renforcer les pouvoirs de l’Ofnac et tous les autres engagements qui ont été pris. Sur le plan temporel, il y a une grille de lecture qui nous permet de dire que sur 2 ans, on a pu faire telle ou telle chose. J’insiste sur ces éléments, puisque ce sont des éléments très importants à mon sens, et même pour la Société civile, il y a des engagements de ce genre. «Article 19» et le Forum civil sont connus pour avoir travaillé pendant longtemps sur le processus de la loi de l’accès à l’information. On nous informe que le document est dans le circuit administratif. Hélas ! On n’a aucune information sur l’évolution de ce dossier. C’est la même chose sur les renforcements de capacités de l’Ofnac, l’adhésion du Sénégal à la Fiti, qui est l’indice de transparence sur tout ce qui se passe dans le secteur de la pêche. Il y a aussi l’amélioration des conditions d’accueil au niveau des services publics, qui constitue un réel problème au Sénégal. Il y a eu beaucoup de situations regrettables dernièrement, surtout dans le secteur de la santé. Mais, avons-nous des indices pour savoir si l’accueil a été amélioré ou pas dans nos structures sanitaires ? Je crois que non. Si tout ceci est mis en œuvre dans le temps imparti, même si on n’atteint pas l’objectif initialement fixé, on aurait au moins fait des bonds en avant.
Justement qu’est-ce qui a été fait jusqu’ici par le Sénégal dans le cadre du Partenariat pour un gouvernement ouvert ?
Voilà qui est intéressant à savoir. Nous partons du constat que dès lors que des engagements ont été pris et validés sur le plan technique, on devrait les mettre en œuvre. Malheureusement, vous connaissez notre pays. Le temps politique est différent du temps technique, si je peux le dire ainsi. Depuis la validation technique en 2021, il n’y a pas encore de validation politique. Autrement dit, ce n’est pas encore adopté en Conseil des ministres. Ce n’est ni en loi ni en décret.
Où se trouve le blocage ?
Le blocage est à chercher au niveau institutionnel. On pourrait parler d’absence de volonté politique. Retenons, cependant, que ça c’est sur le plan formel. Mais sur le plan matériel, le ministère de la Justice est désigné comme étant le Point focal du gouvernement, représenté dans le Comité national par la Direction de la promotion de la bonne gouvernance. Elle participe aussi à la mise en œuvre. J’ai omis de préciser qu’il y a un Comité paritaire, Comité national Pgo composé de 9 démembrements ou services de l’Administration et neuf organisations de la Société civile. En début juillet, la Direction de la promotion de la bonne gouvernance a organisé une activité de planification du plan d’actions national. Lorsqu’on planifie, c’est parce qu’on n’a pas encore mis en œuvre. Cependant, plusieurs éléments peuvent renforcer notre argumentaire. Un représentant du ministère de la Justice disait, à l’occasion de cette rencontre, je le cite : «Vous dites qu’il faut construire des Maisons de justice. S’il faut en construire 10, est-ce que toutes ces choses n’ont pas été réalisées dans le temps ?»
Cela renvoie à une recommandation qui a été donnée par le Mécanisme d’évaluation indépendant. Le Sénégal a été évalué pour voir ce qui bloquait, et donner des recommandations. L’une des recommandations, c’est la création d’un site web. Il y avait un site web Pgo qui était logé au ministère de la Justice et qui informait régulièrement. Malheureusement, il n’existe plus. Pour nous Société civile, ce site doit être réactualisé d’ici à la fin de l’année.
Est-ce que l’absence d’une validation politique ne constitue pas une souffrance pour l’appropriation du Pgo ?
Certaines autorités ou collectivités territoriales ne connaissent même pas le Partenariat pour un gouvernement ouvert (Pgo). Il faut le constater pour le regretter. Le Pgo n’est pas bien connu. Toutes les populations ne savent pas ce qu’est le Pgo. Cette ouverture dont on parle devrait dans un premier temps, être connue. Pour la Société civile, il s’agit de disséminer le contenu des engagements. Ce travail de dissémination a commencé au niveau de la Société civile, car la région de Saint-Louis, qui n’avait pas pu être consultée lors des consultations régionales puisqu’on était en période de pandémie, a organisé une dissémination à Saint-Louis, avec la présence de toutes les autorités et les populations. On a également organisé un atelier d’information et de partage avec les professionnels de l’information et de la communication.
Parlant de bonne gouvernance et de Partenariat pour un gouvernement ouvert, il y a un rapport de notation des assemblées qui a été publié récemment. Quelle est la note du Sénégal ?
Dans le mécanisme du Pgo, il y a ce qu’on appelle l’évaluation indépendante, qui est fait par le Pgo et nous adresse, nous Société civile, des correspondances pour savoir ce qui a été fait d’une part, et d’autre part, qui s’adresse à l’Etat. Ce sont toutes les parties qui sont entendues pour évaluer le processus. Pour notre plan d’actions national, il a connu une évaluation indépendante en début de cette année. Dans votre question, vous faites allusion à un indice du gouvernement ouvert. A l’international, il y a un indice du gouvernement ouvert qui permet d’évaluer le rôle des parlements selon des critères bien définis. Il y a quelques jours, une institution du Ghana a rendu publique une évaluation sur les parlements africains en Afrique de l’Ouest et portant sur treize (13) parlements. Le Sénégal est classé 11e sur 13 Etats. Le Sénégal n’a recueilli que 44% sur les 100%.
Propos recueillis par Pape Moussa DIALLO