La Fondation pour le renforcement des capacités africaines (Acbf) de l’Union africaine (Ua) a organisé du 7 au 10 mai 2024, à Dakar, le 4er atelier sur le suivi et le reporting de l’Agenda 2063. Cela, afin de documenter les meilleures pratiques et les réussites émanant des Etats membres qui ont préparé et soumis des rapports nationaux complets et de qualité comme requis, au cours de la 1ère décennie (2014-2023) de mise en œuvre de l’Agenda 2063. En marge de cette rencontre, Barassou Diawara, expert principal en gestion des connaissances à l’Acbf, l’institution spécialisée de l’Ua en charge des renforcements de capacités, basée à Harare (Zimbabwe) est largement, revenu sur le bilan des dix premières années de mise en œuvre de l’Agenda 2063 et les perspectives pour les dix prochaines années.
Le Sénégal a accueilli le 4e atelier sur le suivi et le reporting de l’Agenda 2063. Qu’est ce qui justifie le choix et quels sont les objectifs de cette rencontres?
Le fait d’organiser cet atelier à Dakar n’est pas fortuit, parce que le Sénégal fait partie des dix pays qui ont parfaitement, eu à faire de très bons rapports et atteindre certains indicateurs pour la mise en œuvre de l’Agenda 2063. Après l’évaluation de la Commission de l’Union africaine, le Sénégal a été considéré comme étant un des bons élèves. C’est pourquoi, cet atelier a eu lieu à Dakar.
L’objectif c’est d’appuyer les pays pour qu’ils puissent faire mieux le reportage, mais aussi le suivi et l’évaluation pour la mise en œuvre de l’Agenda 2063. On a entamé la deuxième décennie de mise en œuvre de l’Agenda 2063. Donc, il est nécessaire qu’on fasse le point sur ce qui a été fait jusque-là ; et quels sont les défis auxquels font face les pays et comment on peut les appuyer à mieux mettre en œuvre la deuxième décennie.
Quel bilan tirez-vous de la première décennie de mise en œuvre de l’Agenda 2063 ?
Les résultats de la première décennie de mise en œuvre de l’Agenda 2063 sont mitigés, parce que c’était plutôt une décennie de préparation. C’était une phase pilote, donc les pays avaient beaucoup de difficultés à collecter les données, à mettre en place les systèmes, les procédures nécessaires pour pouvoir domestiquer l’Agenda 2063. L’Agenda 2063 a été décidé au niveau de la Commission de l’Union africaine, au niveau continental. Mais la mise ne œuvre se passe au niveau des pays. Donc, il faut que les pays se l’approprient.
Quelles sont les difficultés auxquelles les pays ont été confrontés pour réussir la domestication de l’Agenda ?
Les difficultés sont multiples. La première difficulté est liée à l’engagement politique, parce que les pays suivent leur plan national de développement. Alors que nous voulons que les plans nationaux de développement soient adossés à l’Agenda 2063, c’est-à-dire que l’Agenda 2063 serve de référence aux pays pour la mise en œuvre de leurs politiques de développement. La deuxième difficulté a trait à la compréhension de l’Agenda 2063. Par exemple, les Odd (Objectifs de développement durable :ndlr) sont beaucoup plus populaires que l’Agenda 2063, alors l’Agenda 2063 est le programme de développement et la vision de l’Afrique adoptée par les pays africains. Malheureusement, l’Agenda 2063 n’est pas bien connu. Il faut qu’on fasse encore beaucoup d’efforts à ce niveau. La troisième difficulté à laquelle les pays font face, c’est le financement pour la mise en œuvre, parce que l’Agenda 2063 comprend beaucoup de projets phare, mais les financements ne suivent pas.
Comment comptez-vous faire pour relever ces différents défis ?
Il y a beaucoup de stratégies qui sont actuellement mises en place. La première chose à faire, c’est de mettre en place un programme continental de renforcement des capacités inclusif qui prend en compte les acteurs de la société civile, les médias, mais aussi le secteur privé. Parce qu’on croit fermement que la mise en œuvre et le succès de la mise en œuvre de l’Agenda 2063 dépend fermement de l’appui du secteur privé. On va aussi beaucoup travailler sur la communication, le partage d’information. D’ailleurs, on compte, à la fin de l’atelier, avoir ce qu’on appelle des documents de notes d’enseignement, c’est-à-dire les dix pays parmi lesquels fait partie le Sénégal, quels sont les enseignements qu’ils peuvent partager. Pourquoi le Sénégal a pu avoir de bons résultats en terme de reporting, de suivi évaluation, alors que d’autres ne l’ont pas. Au sein de la Commission de l’Ua, l’équipe de travail technique a remarqué que sur 55 pays membres, seuls 12 ont pu effectivement, produire des rapports acceptables pour la première décennie de mise en œuvre de l’Agenda 2063. Donc tout le reste n’a pas produit de rapport. Maintenant, on compte se baser sur les enseignements tirés des dix pays, meilleurs élèves, pour aider les autres pays à suivre et à produire de très bons résultats.
Le financement qui relève des pays membres est l’un des freins à la bonne mise en œuvre de l’Agenda 2063. Quelle solution à proposer pour y faire face ?
On utilise une batterie de solutions. Bien sûr, on ne va pas faire fi des contributions des bailleurs, mais on ne pense pas qu’elles soient la bonne voie pour soutenir le développement de l’Afrique, mais aussi la mise en œuvre de notre propre Agenda, validé par les chefs d’Etat. Il faut que les pays africains trouvent leurs propres moyens pour financer cet Agenda. Au sein de l’Ua, il y a plusieurs réformes, mais aussi plusieurs stratégies mises en place. Par exemple, il y a un taux d’imposition sur les importations, qui est une réforme qui a été proposée, il y a quelques années. Donc les pays membres sont en train d’appliquer une telle recommandation qui pourra générer beaucoup de ressources, pour les pays africains, pour mettre en œuvre cet Agenda. Il y a d’autres initiatives beaucoup plus structurelles et qui ont une portée de longue durée, par exemple la mise en place des institutions financières africaines ou la mise en place d’une Banque centrale africaine. Tout ça, c’est des réformes qui certainement, ne vont pas générer des ressources immédiatement, mais plutôt dans la durée.
Est-ce que l’organisation de cet atelier technique suffira pour appuyer les Etats ? Vous avez souligné le problème de volonté politique. Comment y faire face ?
En fait cet atelier reste un atelier technique, mais qui a été voulu par les chefs d’Etat eux-mêmes. Donc, les résultats de cet atelier vont servir d’outils, d’instruments pour un peu inciter les chefs d’Etat à prendre des décisions. On a par exemple, un tableau de bord qui renseigne sur l’évolution des pays par rapport à chaque indicateur. Et bien sûr, un chef d’Etat ne veut pas voir son pays sur une liste rouge. On est en train d’utiliser ce mécanisme basé sur des évidences, des preuves et des indicateurs pour dire de façon scientifique, un pays donnée n’est pas en train de bien faire des efforts dans un tel indicateur ou dans un autre. Ça permet un peu, au vu et au su de tout le tout le monde, de dire qu’un pays x n’est pas en train de faire des efforts. On ne s’arrête pas en si bon chemin, parce que cette batterie d’indicateurs donne également, des sous indicateurs qui permettent aux pays de dire que si on fait des efforts dans un tel sous indicateur on pourra peut-être améliorer les performances. Donc l’équipe technique va donner ses résultats aux chefs d’Etat, qui je pense bien ont la volonté politique. Car c’est eux qui ont adopté l’Agenda 2063 et qui ont donné mandat à l’équipe technique de travailler sur le reporting.
Parlez-nous des perspectives pour la deuxième décennie de mise en œuvre de l’Agenda 2063.
Pour la deuxième décennie, il y a une stratégie qui est déjà mise en place. Il y a un document qui est accessible en ligne qui s’appelle la «Deuxième décennie pour la mise en œuvre de l’Agenda 2063». C’est une décennie d’accélération et de mise en œuvre. En effet, dans nos pays, il y a de très bons documents, de très bonnes stratégies. Mais c’est la mise en œuvre, qui pose problème. Donc, cette décennie est axée sur la mise en œuvre effective, l’atteinte de certains indicateurs d’ici 10 ans, à commencer cette année 2024 jusqu’en 2033. La mise en œuvre reste le mot clé. Mais pour la mise en œuvre c’est important d’avoir les capacités institutionnelles, mais aussi, les capacités techniques. Des institutions fortes, capables d’amener les pays vers le développement qu’on veut. Le travail continue et la participation de tout un chacun est important.
Propos recueillis par Dialigué FAYE-dialigue@lequotidien.sn