Le directeur de l’Animation scientifique au Conseil économique, social et environnemental (Cese) note un déphasage entre l’émission des avis de conseils de son institution et de l’Académie nationale des sciences du Sénégal et l’action gouvernementale. Dans cet entretien, qu’il a accordé au journal Le Quotidien, en marge du colloque international scientifique de promotion et de partage des bonnes pratiques en conseils scientifiques aux gouvernements, Madiagne Diallo prône la mise en place d’un centre régional de formation des conseillers scientifiques, afin d’aider les décideurs à la prise de décision.Employabilité des jeunes et l’entreprenariat féminin, a été le thème de votre colloque. Qu’est-ce qui justifie le choix d’un tel sujet ? Est-ce pour coller à l’actualité ?

Nous avons choisi l’employabilité des jeunes et l’entreprenariat féminin, depuis octobre 2019. Il n’y avait ni Covid-19 ni les événements de mars 2021 au Sénégal. Et aujourd’hui, notre vision prospective est devenue l’actualité. Ce qui démontre aux Etats et aux gouvernements qu’il est bon de suivre l’opinion des spécialistes, d’écouter les scientifiques, parce qu’ils ont l’avantage de voir demain au moment où les autres sont au présent. Leur fonction et mission c’est imaginer ce qui va se passer demain en se basant sur des données factuelles, sur de l’évidence scientifique, sur des données probantes, sur une stratégie scientifiquement démontrée. Donc quand le chercheur dit, demain préparez-vous sur cette chose, il faut s’y préparer, parce qu’il a des bases scientifiques pour le dire. Ce qui manque aux gouvernements, c’est la prise en compte de l’évidence des éléments de preuve dans leurs décisions. Nos gouvernements doivent être capacités à pouvoir expliquer aux populations leurs décisions quand il s’agit de décisions qu’on peut rendre publiques.
Des fois, les scientifiques ont des difficultés à communiquer en masse. Les scientifiques doivent apprendre à comprendre les politiques publiques et à mieux transmettre leurs con­naissances. Les gouvernements doivent apprendre à mieux absorber la connaissance scientifique pour mieux situer et prouver aux populations que leurs décisions ne sont pas des décisions anodines mais basées sur des preuves scientifiques.

Qu’attendez-vous au sortir de ce colloque ?
Nous nous sommes rendu compte que dans nos pays francophones, institutionnellement parlant, nous possédons des conseillers sociaux et institutions similaires. Nous avons noté aussi que nos chefs d’Etat ont installé des académies de sciences et institutions similaires. Ces deux institutions sont dites institutions de conseil privilégiées des chefs d’Etat. Chaque autorité a ses conseillers dans son cabinet, mais je parle d’institutions de conseil qui sont des institutions d’assemblées consultatives. Le président de la République, l’Assemblée, le gouvernement et même les citoyens peuvent consulter ces institutions pour avoir leurs avis. Nous nous sommes rendu compte qu’il y a un déphasage entre l’émission de ces avis et l’action gouvernementale. Les ministres élaborent des lettres de politiques sectorielles entre mars et août pour les défendre en octobre à l’Assemblée nationale. Au même moment, les institutions de conseil sont en sessions plénières, de février à avril pour le Sénégal et en général entre février et mars pour tous ces pays concernés par le projet, notamment le Bénin, le Burkina, le Cameroun, le Mali, le Togo et le Sénégal. Au deuxième semestre, entre août et octobre jusqu’à novembre, ces conseils aussi sont en sessions au moment où le gouvernement lui, défend son budget et sa lettre de politique générale. Quand les institutions de conseil émettent des avis à nos chefs d’Etat, c’est annuellement que cela se fait et en même temps le gouvernement est en train de dérouler son programme sur des urgences. Des fois les rapports de ces institutions de conseil tardent à arriver au gouvernement. Donc c’est un problème de timing. Il s’agit juste d’ajuster les horloges entre les institutions de conseil et les gouvernements, de manière à pouvoir les atteler. On pouvait, par exemple, laisser les institutions de conseil choisir librement leurs sessions ordinaires et extraordinaires et surtout ordinaires quand elles veulent. Ce qui permet de pouvoir commencer tôt, fournir les recommandations tôt aux gouvernements pour que ces derniers les prennent en compte dans leurs lettres de politiques sectorielles. Mais c’est toujours courir après le gouvernement. Et les institutions de conseil, de par la loi pour le cas du Sénégal et plusieurs autres pays, les chefs d’Etats demandent aux gouvernements de rendre compte de comment ils ont utilisé ces recommandations. Donc là, il y a une difficulté pour rendre compte parce que les recommandations viennent en déphasage avec leurs actions, bien que les thèmes et thématiques étudiés par ces institutions de conseil soient très pertinents. Le diagnostic est fait, pour pouvoir informer le gouvernement et ce gouvernement doit en prendre compte. D’octobre 2019 à ce jour, nous avons mobilisé 57 experts de six pays. Ces experts sont d’origine, des cadres de gouvernements, du secteur privé, de la Société civile, des cadres d’Ong, des scientifiques…, donc un groupe multidisciplinaire. Dans chaque pays nous avons organisé un cluster, c’est un groupe de travail d’environ 59 personnes composées par ces quatre catégories et ces clusters ont travaillé pour produire le rapport pays sur l’état des lieux sur le conseil scientifique, comment ce pays utilise le conseil scientifique en le faisant aussi sur deux thématiques, l’Em­ployabilité des jeunes et l’entreprenariat féminin. Nous avons été au Bénin, au Cameroun, au Burkina, au Mali et nous avons restitué nos travaux, bientôt nous restituerons nos travaux au Sénégal et au Togo. Cela veut dire que, si dans un pays nous avez monté environ 50 personnes, on en est à 300 et il y a d’autres pays qui sont intéressés, le Rwanda, le Tchad, la Gambie, la Côte d’ivoire, le Niger… nous ont manifesté leur intérêt. Cela veut dire que nous sommes en train de réussir le réveil scientifique de nos décideurs, parce que dans tous les pays où on a été, cinq à neuf ministères sont venus avec des ministres qui président aux réunions de restitution. Et comme les ministères sont dans le travail, cela veut dire que ce qu’on est en train de faire est déjà dans l’action parce que c’est orienté sur les politiques publiques en cours. A travers ce colloque, plus de 35 personnes sont venues de l’étranger, tous des experts et il y a plus de 25 organisations internationales qui ont répondu à l’appel au niveau de représentant pays, de directeur pays et de directeur régional. Cela démontre l’intérêt.

Le Sénégal est-il bon élève en matière de conseils scientifiques par rapport aux autres pays où les institutions de conseil n’existent pas ou bien elles viennent de naître ?
Le Sénégal a l’avantage d’avoir été la capitale de l’Aof. Les premières institutions sont nées ici avec les premières universités. C’est un avantage historique, mais cela ne veut pas dire que les autres ne sont pas en train de faire des efforts. Non. Quand nous regardons les chiffres, le Sénégal est bon sur certains, les autres sont meilleurs sur d’autres chiffres. Ce qui se passe en Afrique, c’est que nous sommes de petits pays, nous avons démontré que dans la Cedeao, nous formons un marché de presque 300 millions de personnes. Un marché de cette taille, si nous nous comparons au Brésil qui a 210 millions de personnes et qui est entre la 6e et la 9e puissance mondiale, la Cedeao réunie devait pouvoir aussi être entre 6e et 9e puissance économique mondiale. Qu’est-ce qui nous empêche de le faire. C‘est parce qu’on n’a pas le tissu industriel pour exporter. On ne fait qu’importer. Notre 1 franc est dépensé presque plusieurs fois pour accueillir une unité de produit de l’autre côté, alors que si nous produisions, notre 1 franc va nous permettre d’accueillir plusieurs unités et nous réussirons à vendre notre unité a plusieurs francs et avoir des bénéfices. C’est comme cela qu’on crée de la richesse. Aujourd’hui, dans la zone Cedeao, beaucoup de pays ont beaucoup de choses, mais on ne les produit pas. Pourtant, on a la masse critique et un capital humain pour pouvoir faire partie des puissances mondiales. Mais ce capital humain-là il faut le qualifier pour que certains aillent dans la main d’œuvre, d’autres dans la réflexion, dans la professionnalisation pour qu’on soit plus complémentaire. Mais tant que nous restons à commander tout à l’extérieur et à croire que n’est bien que ce qui vient de l’extérieur, nous ne produisons rien chez nous et qui ne produit rien ne peut pas être riche.

Quels sont les défis au niveau national et régional ?
Ce sont des défis de confiance, les Etats doivent faire confiance aux institutions. Il faut que les décideurs publics et privés aient confiance aux scientifiques et ne pas croire que scientifique c’est juste la chimie, le physique, la biologie. Non. Ce n‘est pas la science dure comme on le dit. C’est la manière logique d’organiser la pensée. C’est la manière logique d’organiser la décision. C‘est la séquence dans le processus décisionnel. C’est cela le conseil scientifique, qui n’est rien d’autre que la manière d’organiser le conseil.
On l’a démontré, pour prendre une décision on passe par 7 étapes. Mais, combien de décideurs maîtrisent ces sept étapes ? Alors que tout décideur doit maîtriser ces étapes. Et scientifiquement, quand on ne maîtrise pas ces sept étapes du processus décisionnel, on a des problèmes de mise en œuvre, parce que chaque étape ratée impacte la mise en œuvre. Raison pour laquelle nos plans et nos programmes ont des difficultés de mise en œuvre. Nous avons d’excellentes visions, d’excellents documents, d’excellentes personnes très bien formées, pourquoi on ne réussit pas à commencer un programme et à le finir correctement et à temps ? C’est parce qu’on ne sait pas planifier et la planification c’est la clé de la mise œuvre et donc tant qu’on bute là-bas, on ne va pas se développer.
Vous souhaitez avoir un centre de formation en conseil scientifique
Conseiller c’est une chose difficile qu’il faut maîtriser. La fonction de conseil est ingrate. C’est pour cela nous prônons la création au niveau régional d’un centre de formation des conseillers de cabinet, de gouvernement, des institutions pour que ces gens soient outillés à aider à la prise de décisions.
C’est un métier et il faut l’apprendre. On forme les agents de la Fonction publique pour qu’ils puissent tenir cette administration solide que nous avons. On doit former les gens au métier de conseil pour qu’ils puissent rendre nos cabinets d’autorités résilientes capables d’aider les preneurs de décisions et qu’ils prennent des décisions moins risquées et qu’on puisse se développer.
Propos recueillis par Khady SONKO – ksonko@lequotidien.sn