Bâtis sur une superficie de 35 ha, le Marché d’intérêt national Mamadou Lamine Niang et la Gare des gros porteurs de Diamniadio sont ouverts et opérationnels. Ayant entre autres objectifs, la mise à disposition de locaux destinés au stockage et à la conservation des produits agro-alimentaires, l’appui technique à la formalisation de producteurs en sociétés coopératives, l’orientation des acteurs vers des lignes de crédit partenaires de la Société d’exploitation du Marché d’intérêt national et de la Gare des gros porteur (Semig), le Marché d’intérêt national a été mis en service le premier septembre dernier. C’est un service public de gestion des marchés dont l’accès est réservé aux producteurs et commerçants qui contribuent à l’organisation et à l’animation des circuits de distribution des produits agro-alimentaires, à l’instauration d’une concurrence saine et loyale dans ces secteurs économiques et participe à l’objectif de sécurité alimentaire des populations. En marge de l’activité marquant le démarrage de sa mise en service, le Directeur général, Mouhamedou Abdoulaye Mbaye, s’est entretenu avec le journal Le Quotidien. Il revient sur les enjeux du marché, ses potentialités et opportunités, son rôle de fédérateur des acteurs, en plus d’être un cadre d’échanges commerciaux…Propos recueillis par Pape Moussa DIALLO – La mise en service du Marché d’intérêt national a été lancée ce jeudi 1er septembre 2022. Que représente ce démarrage pour le Sénégal et son économie ?

Le Marché d’intérêt national, en réalité, est la première expérience d’un marché de cette envergure. C’est la première fois qu’on a un marché de cette dimension en Afrique de l’Ouest. C’est une fierté pour le Sénégal d’abriter un marché d’intérêt national qui répond parfaitement aux attentes des producteurs, partenaires et autres acteurs du secteur agricole mais aussi des commerçants. Il est adossé à une vision audacieuse et ambitieuse du chef de l’Etat qui veut faire de la sécurité alimentaire, une réalité. On a créé ce marché à la suite d’un constat sur un vieux marché de la Chambre de commerce de Dakar. On note énormément de pertes post-récolte que subissent nos braves producteurs. Ils ont souvent des difficultés dans la conservation des productions, des difficultés de commercialisation. Souvent la qualité du produit ne suit pas et cela constitue un manque à gagner et pour eux et pour notre économie. Le but final étant de satisfaire le consommateur, le marché apporte une solution de taille en veillant à la qualité des productions avec son laboratoire phytosanitaire de dernière génération. C’est un service qui sera exploité par le service national de contrôle, de sorte que tous les produits qui entrent ou sortent du marché auront une certification qualité. On aura un œil sur la qualité du produit. Cela aura un impact réel sur le coût du panier de la ménagère, l’économie et le producteur. On aura un outil qui servira de relais entre la production et la commercialisation. Auparavant, il y avait x intermédiaires avant que le produit n’arrive dans le panier de la ménagère. De même les producteurs n’auront plus de problèmes de stockage de leurs productions. Ils vont se retrouver au niveau du marché avec les commerçants d’une part, et d’autre part, avec les partenaires. Le marché sera un lieu de rencontre, d’échange et de mise en relation. Le marché est spécifiquement destiné à la vente en gros, les professionnels, les restaurants, les grandes surfaces, etc., ils vont tous venir se retrouver dans ce même lieu. Une telle approche inclusive va impacter le panier de la ménagère mais aussi l’économie du pays. Cela aura comme avantage de réguler les prix et ce sera un avantage pour tout le monde.

Quels sont les enjeux d’un tel projet pour le Sénégal ?
Les enjeux, c’est surtout la souveraineté alimentaire. Vous n’êtes pas sans savoir qu’avec la guerre en Ukraine, il y a des difficultés que connaissent tous les pays. Il n’y a pas longtemps, l’oignon coûtait très cher à titre d’exemple. Au Sénégal, on peut produire suffisamment d’oignon. On peut être autosuffisant. On produit énormément, mais plus de la moitié pourrit au niveau des champs, faute d’un bon stockage. Si on a aujourd’hui une telle structure, on peut mieux maîtriser nos productions, parce qu’il y aura moins de pertes post-récolte d’une part, et d’autre part, on pourra réguler le prix des denrées. On a connu dans un passé récent, une rupture d’oignon ainsi que le pourrissement du produit, mais avec l’ouverture de ce marché, ceci est derrière nous.

Le marché démarre ses activités dans un contexte où la question de l’homologation des prix se pose. Quel rôle pourrait-il jouer dans la stabilisation des prix ?
En tout cas, je peux vous assurer que si chacun joue son rôle comme il se doit, cela est possible. Il faut savoir en outre que notre mission est de créer un cadre propice de travail mais que la continuité devra se faire avec l’ensemble des services. D’ailleurs, je vais adresser un courrier en urgence à L’Agence de régulation des marchés pour avoir une agence dédiée de l’Arm au niveau du marché. On va l’étendre au Service d’hygiène, à la gendarmerie, entre autres, afin que tous les services de l’Etat puissent se retrouver dans un cadre. De notre côté, on mettra tous les atouts nécessaires pour que tout le monde se sente concerné et s’implique dans la bonne marche des choses. Il y aura un seul lieu de vente et d’achat. L’Arm va réguler, la Direction du commerce intérieur sera présente de sorte qu’il y ait une meilleure maîtrise. Je le répète encore, pour que ce projet puisse avoir l’impact attendu et le résultat escompté, il faut que chaque service de l’Etat joue sa partition. Je tends ma main à tous les services de l’Etat pour qu’ils puissent avoir des agences dédiées au sein du marché.

Dans un contexte de mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), de quelle utilité peut-être le marché dans la facilitation des échanges commerciaux entre le Sénégal et les autres pays d’Afrique ?
C’est le premier Marché d’intérêt national dans toute la sous-région ouest-africaine. C’est un marché dont la modernisation n’est pas une utopie. On a un laboratoire phytosanitaire de dernière génération, nos alarmes incendie sont de dernière génération. Certains pays d’Europe n’en disposent même pas. Dès lors, on peut à partir d’ici, valoriser et réguler nos produits. On peut servir le Marché national mais aussi faire le maillage avec tous les pays concernés par la Zlecaf. Ces pays vont bénéficier des mêmes qualités des produits «made in Sénégal» et cela ne peut qu’être bénéfique pour nous et les autres pays.

Le marché comporte un garage de stationnement pour les gros porteurs. Est-ce une manière de décongestionner Dakar et de libérer les espaces de l’occupation anarchique de ces derniers ?
Je ne sais vraiment pas comment a fait le chef de l’Etat pour avoir une idée aussi merveilleuse, des choses aussi stratégiques que la mise en place d’un Marché d’intérêt national de cette dimension en l’associant à une gare des gros porteurs. C’est à la fois une bonne articulation et une bonne vision. Aujourd’hui, on ne peut plus vivre comme avant. Ce n’est pas possible. Les populations n’ont plus de cadre de vie. Il faut que cesse cette anarchie. On ne peut pas se permettre de construire un tel marché d’un coût de 55 milliards de francs Cfa et laisser les gens continuer de stationner comme ils veulent, sans une règlementation. On dispose d’une gare sécurisée, fonctionnelle et opérationnelle, avec des ateliers de maintenance. On ne peut pas laisser les gens stationner comme ils veulent. D’ailleurs, j’ai pris langue avec le Gouverneur de Dakar. On va faire la sensibilisation qu’il faut. Aujourd’hui, on a un marché où ces derniers peuvent stationner et aller ravitailler le reste du pays. Je pense qu’à ce niveau, l’Etat doit prendre ses responsabilités et faire en sorte que tous les gros porteurs qui arrivent s’arrêtent à Diamniadio. Et à partir de Diamniadio, faire en sorte que les camionnettes fassent le ravitaillement. On doit aussi contraindre les camions maliens à stationner à la gare, qu’on leur permette plus de dépasser Diamniadio. Les gros porteurs peuvent stationner au niveau du marché en toute sécurité, se loger et se restaurer en toute quiétude. On ne peut pas continuer à vivre dans l’anarchie. Il est temps aussi pour nous autres Africains qu’on dise non et qu’on tende vers l’émergence.

Comment comptez-vous vous y prendre pour une meilleure appropriation de cette Gare des gros porteurs de Diamniadio ?
Tout le monde sera mis à contribution pour qu’ensemble, nous puissions trouver les solutions idoines et que d’ici 2023, nous puissions aller dans une même dynamique. On est dans un pays où on ne peut pas se réveiller un beau matin et imposer aux gens ce qu’ils doivent faire. Tout se fait dans la discussion, la concertation.

Qu’attendez-vous des partenaires et des opérateurs ?
On leur souhaite la bienvenue et s’engage à mettre tout en œuvre pour rendre leur séjour au marché agréable. On a une équipe qualifiée. On leur offre un cadre de vie attrayant et accueillant. L’entretien et la maintenance des infrastructures seront notre cheval de bataille. J’exhorte également les opérateurs à être dans une dynamique de s’organiser en Groupement d’intérêt économique (Gie), en coopérative. Un petit producteur ne pourra pas à lui seul gérer un magasin. Lorsqu’ils décident de se mettre en groupe, aussitôt, ils apportent de la plus-value. Les opérateurs ont compris tout cela et on va continuer à aller les voir pour davantage leur faire comprendre les avantages que le marché leur offre et l’importance de se réunir en groupe. Pour le démarrage des activités, on a volontairement mis un taux de remplissage du marché de 30%. On veut aller crescendo. Le marché est un Marché national et on doit promouvoir au mieux les producteurs nationaux qui font notre fierté. A partir de là, l’import et l’export seront au rendez-vous et le panier de la ménagère ne pourra que se sentir mieux.

Quel sera le rôle de Lanac dans tout ça au niveau du marché ?
Quand on a eu le laboratoire phytosanitaire, j’ai voulu le confier à des professionnels. On dépend techniquement du ministère du Commerce. Et d’un commun accord, on a porté notre choix pour la gestion du laboratoire, sur le Laboratoire national d’analyses et de contrôle (Lanac). Qui est en outre un démembrement du ministère du Commerce. Le directeur a été très ouvert et le Laboratoire national va gérer directement ce laboratoire. Mais, ce dernier ne sera pas uniquement un laboratoire du marché. A partir de ce laboratoire, Lanac veut créer des bureaux annexes de sorte que tous les opérateurs qui sont dans la zone n’aient pas besoin d’aller jusqu’en centre-ville. Le Laboratoire national va nous appuyer. Elle a en charge l’analyse pour beaucoup de grands hôtels. Si les hôtels sont au courant de son existence au niveau du marché, ce sera la ruée. Cela m’intéresse beaucoup dans la mesure où cela facilite les échanges commerciaux et permet à tous les acteurs de se retrouver dans un même lieu pour réaliser leurs opérations de vente ou d’achat. Lanac aura un rôle primordial à jouer dans le marché. Puisqu’un échantillonnage sera fait sur tous les produits qui entrent au niveau du marché. Nous voulons labéliser nos produits, et tous les produits qui en seront issus seront aptes à la consommation. Nous tenons à rassurer le consommateur sur la qualité de nos produits. Avec l’ambassadeur de Turquie, qui vient de nous rendre visite, on va amener une équipe du Laboratoire national d’analyses et de controle en formation en Turquie.

Qu’en est-il de l’occupation du marché avec des camions qui commencent déjà à décharger des produits ?
C’est vrai qu’on a un taux de remplissage de l’ordre de 136%. J’ai voulu jouer la carte de la transparence avec le président de la Chambre de commerce, qui est par ailleurs le président du Conseil d’administration. On s’est dit qu’on va volontairement et prudemment aller étape par étape. On aurait pu remplir le marché d’un coup, mais est-ce que c’est stratégique ? Si l’on sait qu’au Sénégal, les gens attendent toujours que les autres agissent pour ensuite en faire de même : suivre la mouvance. Je travaille en outre avec le ministère de l’Agriculture, à travers la Direction de l’horticulture, pour qu’on puisse sensibiliser les petits producteurs. Dans cette affaire, il ne faut pas oublier que le rôle du producteur, c’est de produire, et celui du commerçant, de vendre. Jusqu’ici, pour éviter les pertes, les commerçants se rendaient dans les champs pour acheter à vil prix, les productions. Avec ce marché, les opérateurs seront mis en coopérative et pourront mieux vivre de leurs productions.