Le gouvernement a fait ses annonces. Maintenant, il doit transformer l’encre des communiqués en réalité tangible, car le Sénégalais juge l’effort à la caisse du marché, pas au Journal officiel.
Le Sénégal vit à l’heure de la déflation officielle.
Les chiffres sont tombés : le carburant baisse, le gaz recule, le prix du riz doit suivre. Sur le papier, le gouvernement a rempli sa part du contrat en injectant un signal fort de soulagement dans une économie asphyxiée. Ces gestes, salués comme des actes de bonne volonté politique et répondant à une pression populaire immense, devraient en théorie apaiser la conversation incessante qui mine les foyers, celle du «comment survivre à la fin du mois ?».
Pourtant, la rue sénégalaise, pragmatique et méfiante, ne s’est pas encore laissé bercer par cette mélodie optimiste. La raison de ce scepticisme n’est pas une question de mauvaise foi, mais d’amère expérience : entre les colonnes de chiffres du régulateur et la caisse enregistreuse du marché, il existe un écart béant, que l’on pourrait appeler «le fossé de l’application».
L’inertie du marché et la loi des domaines non régulés
Ce fossé est alimenté par l’inertie implacable du marché. Le carburant baisse à la pompe, c’est un fait, mais le transporteur, déjà étranglé par des mois de cherté et d’amortissement de ses coûts, rechigne à répercuter intégralement cette réduction sur le prix de la course. La même logique s’applique aux denrées : le riz est affiché moins cher à l’importation, mais la chaîne de distribution, des grossistes aux détaillants, maintient ses marges, réduisant l’impact à une goutte d’eau pour le consommateur final.
Plus grave encore, l’effet des subventions est immédiatement absorbé par la loi des domaines non régulés. Si le gaz coûte moins cher, le loyer, lui, continue son escalade silencieuse. L’eau, l’électricité (en attendant la baisse promise), les fournitures scolaires, les médicaments… toutes ces dépenses vitales maintiennent le cap à la hausse. Pour le citoyen moyen, ces réductions ne sont, au final, qu’un pansement sur une hémorragie structurelle du pouvoir d’achat. L’allègement est plus une illusion d’optique qu’un changement de réalité.
Le prix de la confiance politique
Le second facteur est l’érosion de la crédibilité. A force d’annonces politiques répétées dont l’impact concret est resté marginal ou temporaire, l’incrédulité s’est installée. Le Sénégalais n’attend plus un communiqué ; il attend un changement visible et durable dans son portefeuille. Quand le revenu stagne et que l’on vous annonce une baisse de 5% sur une seule ligne de dépense, la frustration est inévitable. L’effort est ressenti comme étant uniquement statistique, jamais structurel.
Le vrai travail du gouvernement ne s’arrête pas à la signature d’un décret. Il commence là où l’Etat est souvent le plus faible : dans le contrôle de l’application sur le terrain.
Il ne suffit pas de vouloir que les prix baissent ; il faut obliger les prix à baisser, en déployant une vigilance de fer contre les spéculateurs et les intermédiaires qui s’engouffrent dans ce fossé pour capter la marge destinée au pouvoir d’achat des citoyens. C’est un impératif de justice sociale et de souveraineté économique. Il en va de la légitimité même de l’action publique.
Le gouvernement a choisi de subventionner l’espoir, c’est un acte politique fort. Maintenant, il doit prouver que ces annonces sont plus qu’un simple exercice de communication. Le pari de la confiance ne sera gagné qu’à une seule condition : que le Sénégalais, en allant faire son marché demain matin, sente réellement que le poids de la vie quotidienne s’est allégé.
A défaut, le coût de la vie restera un cri de frustration, et les annonces, un murmure vite oublié. L’Etat doit agir pour que sa promesse d’une vie meilleure ne reste pas coincée entre les lignes d’un Journal officiel. C’est le prix à payer pour rétablir la foi dans l’action publique.
Serigne Saliou Mbacké FAYE
Etudiant en Master II, Droit public, UGB
Droit de la décentralisation et gestion des collectivités territoriales
Gouvernance locale et développement durable







