«Là où la volonté fait défaut, les excuses prospèrent.» Cette idée, attribuée à Cicéron, semble aujourd’hui décrire avec une précision chirurgicale l’attitude du Premier ministre Ousmane Sonko dont l’action gouvernementale ressemble davantage à une tactique d’évitement qu’à un exercice de responsabilité. Le Sénégal traverse une période de crispations sociales et politiques, et au lieu d’apaiser, de dialoguer ou de gouverner, le chef du gouvernement paraît préférer l’installation d’un désordre programmé.

Ainsi se dessine un premier constat, celui que Sonko ne démissionne pas parce qu’il ne cherche pas à quitter la scène exécutive le front haut. Il attend d’être démis afin de se réapproprier son rôle favori, celui d’un opposant perpétuel, figure qu’il maîtrise infiniment mieux que celle d’un gestionnaire d’Etat. Ce calcul rappelle l’avertissement de Machiavel lorsqu’il écrivait que «les hommes oublient plus vite la mort de leur père que la perte de leur patrimoine». Le patrimoine politique de Sonko, c’est son image d’opposant. Le perdre lui serait plus douloureux que de perdre la confiance de la Nation.

Dès lors, la crise actuelle, loin d’être un accident, semble devenir un instrument. Les grèves étudiantes et en­seignantes persistent, les revendications syndicales se multiplient, et rien dans la gestuelle gouvernementale ne montre une volonté d’y répondre avec bonne foi, méthode ou courage. Au contraire, l’inaction graduelle, la lenteur organisée et l’obstination silencieuse contribuent à laisser pourrir la situation. Hannah Arendt nous rappelait que «le pouvoir ne se manifeste que là où les mots ne sont pas vides». Ici, les mots du Premier ministre sonnent creux parce qu’ils ne cherchent ni la vérité, ni la résolution, mais l’alibi.

Il devient alors évident que le maintien de la crise vise un objectif politique plus profond. Si le gouvernement tombe sous la pression sociale, Sonko pourra alors clamer que les institutions l’ont empêché d’agir. Cette stratégie n’est pas neuve. Elle appartient à tous les leaders populistes qui, à défaut de résultats tangibles, fabriquent un récit victimaire pour réactiver la ferveur militante. Rousseau avait mis en garde contre ce type de dérive lorsqu’il écrivait que «le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir». Incapable de transformer l’exercice du pouvoir en acte politique productif, Sonko tente de substituer à l’autorité légitime une dramaturgie permanente.

Le pays observe désormais une mécanique inquiétante où chaque tension sociale devient une opportunité politique. Les grèves prolongées des universités servent de combustible, les frustrations étudiantes deviennent matière à instrumentalisation, les difficultés écono­miques sont converties en arguments contre l’Etat. Pourtant, comme le rappelait le philosophe Paul Ricœur, «la politique n’est pas l’art du possible, mais l’art de rendre possible ce qui est nécessaire». En refusant d’agir, Sonko renverse cette équation et fait de l’immobilisme une stratégie.

Tout cela converge vers une ambition dissimulée derrière les apparences. Le chef du gouvernement souhaite surtout retrouver la place qui lui réussit le mieux, celle où il n’a jamais à rendre de comptes. Redevenir opposant n’est pas un choix idéologique, mais un refuge tactique. Déjà, les défaillances de son action quotidienne sont patentes, notamment l’absence de feuille de route claire, l’incapacité à annoncer des mesures structurantes et la tendance à convertir chaque espace gouvernemental en scène de discours. Comme le disait Montesquieu, «il faut de la force pour se relever, mais il faut du courage pour rester debout». Gouverner exige ce courage. Faire semblant exige seulement de l’audace.

Sa méthode révèle surtout une faiblesse profonde. Faute d’assumer l’exercice du pouvoir, Sonko développe un rapport conflictuel aux institutions. La Justice devient sa cible privilégiée, non parce qu’elle dysfonctionnerait, mais parce qu’elle incarne la limite de ses ambitions personnelles. Tocqueville avait prévenu que «le despotisme peut se passer de la foi, mais non de l’instrument de la Justice». Celui qui attaque la Justice n’essaie pas de la réformer, il tente de neutraliser ce qui pourrait le contraindre.

A partir de ce stade, s’impose une question essentielle : à qui profiterait la crise ? Certainement pas aux familles éprouvées par la vie chère, ni aux étudiants dont l’année académique s’effrite, ni aux enseignants privés de conditions de travail dignes, ni aux travailleurs dont les revendications sont repoussées aux calendes grecques. La crise profite uniquement à ceux qui veulent remplacer la responsabilité par l’agitation. Comme le disait Alain, «le pessimisme est d’humeur, l’optimisme est de volonté». Ici, l’humeur l’emporte sur la volonté, et l’ambition personnelle supplante l’ambition nationale.

Pendant que le Sénégal attend une orientation, des réformes, une vision, un travail acharné, son Premier ministre choisit d’abandonner la gouvernance pour renouer avec la confrontation. Il se comporte moins comme un chef de gouvernement que comme un chef de file de protestation. Pourtant, Churchill rappelait que «la responsabilité est le prix de la grandeur». A force de refuser le prix, Sonko renonce à la grandeur et préfère le confort des discours.

En définitive, le pays mérite mieux qu’un théâtre permanent. Il mérite une main qui construit, pas une voix qui accuse. Il mérite un leadership qui assume, pas un stratagème qui esquive. Il mérite un Premier ministre qui gouverne, pas un acteur qui fabrique des crises pour ensuite se proclamer victime.

Car l’histoire retiendra une vérité simple, parce que gouverner n’est pas créer la tempête pour ensuite se présenter comme naufragé héroïque. Gou­verner, c’est tenir le cap, même quand la mer se lève. C’est faire face, même lorsque le vent tourne. C’est avancer, même quand la facilité invite au recul.
Et surtout, gouverner n’est pas saboter pour renaître.

Amadou MBENGUE
Secrétaire général de la Coordination départementale de Rufisque, Membre du Comité central et du Bureau politique du Pit/Sénégal