L’insulte, mal absolu en démocratie

Pour nous, Sénégalais, le mois de mars, au-delà de la revendication des droits des femmes, a une autre histoire : il marque le début de la grande insurrection de Pastef. Au départ : un fait prosaïque entre deux citoyens ; résultat des courses : une sédition généralisée et permanente qui a secoué les pilastres de notre République. Depuis ces événements tragiques, une nouvelle manière de faire la politique s’est invitée dans notre démocratie : les invectives et les insanités font office de viatique pour défendre des positions, et un homme. Dans le débat public, devenu un tintamarre, les paroles les plus abjectes et creuses sont portées aux nues. La déification d’un Messie a supplanté la confrontation des idées -matrice de la démocratie.
Depuis que Ousmane Sonko a été catapulté à la tête du gouvernement par son meilleur ami de tous les temps, il fait l’objet de virulentes critiques. Le président de la République, lui, en a pris ombrage. Mais son sens extraordinaire de l’amitié et de la fidélité a fait qu’il se contente de cette situation, heureux comme jamais. Les détracteurs du Pmos, déterminés à lui rappeler ses vieilles années de maquisard, n’ont pas de limite dans leurs propos de hussard. Ces torrents d’injures sur un héros national de son calibre -celui qui a dépêtré ce pays des mains d’un satrape comme Macky- sont intolérables. Cela ne peut pas continuer. Qu’on ne s’y trompe pas : la geste et la sainteté du Pmos sont incorruptibles. A bon entendeur !
Les insulteurs de la République n’ont qu’à se tenir à carreau, car les «bons juges» -c’est le Pmos qui fait la dichotomie entre les bons juges et les mauvais, après avoir exposé son ambition d’épurer la Justice de fond en comble- ont le mandat de dépôt leste ; ils en distillent à la mitrailleuse. Offenser le chef de l’Etat ou son grand frère est un crime de lèse-majesté, donc impardonnable. La rupture, c’est aussi rafistoler nos mœurs si dévergondées. Certains Sénégalais, surtout les pourfendeurs du «Projet», sont libres, trop libres…
Le drame de l’histoire, c’est quand les insulteurs d’hier censurent aujourd’hui l’insulte. Celle-ci, comme par magie, est devenue un mal absolu en démocratie. L’opposition jadis incarnée par Pastef, faut-il le rappeler, fut une insurrection permanente, marquée par des agissements aux fins de torpiller les institutions de la République. C’est le chef de file de cette horde de populistes, théoricien de la violence, qui a fait de la politique, dans ce pays, une entreprise de fabrique et d’expression des inimitiés. Il sera très difficile pour ce parti frondeur, violent parce que manichéen, de donner des leçons de morale, de démocratie, de Justice, de respect des institutions à ses opposants. Les archives sont là. Et nous ne sommes pas amnésiques.
Il est peut-être temps de rappeler à nos ministres et directeurs généraux qu’ils ne sont pas nommés pour jouer au gendarme, mais pour produire des résultats. Une once de décence et de respect de la séparation des pouvoirs devrait prémunir ces agités de telles incartades. Ces gens-là, qui ont l’amateurisme et la médiocrité comme caractéristiques fondamentales, ne mesurent ni la portée ni la symbolique de leurs fonctions respectives. Pour plaire à l’ogre et s’attirer les vivats de la meute, il faut être vu, même dans l’insolence et la vulgarité. Abass Fall, qui devait s’occuper de la grogne des travailleurs abusivement licenciés pour des motifs aussi fallacieux que comiques, s’est érigé en bouclier du chef. Il faut que le mythe de
perfection du guide suprême soit entretenu par la terreur de ses sbires.
Cette menace du ministre est, au fond, une tentative de museler toutes les voix hétérodoxes qui s’élèveront contre le Premier ministre. Depuis l’arrivée de Pastef au pouvoir, les arrestations pour délits d’opinion ne se comptent plus.
Chroniqueurs, activistes, journalistes et hommes politiques sont traqués et jetés en prison pour des propos jugés offensants envers l’archange. Cette pratique anti-démocratique commence à devenir une routine. Un journal fréquentable a révélé qu’un certain M. Sarr, horripilé par la nouvelle marotte de nos autorités qu’est le licenciement, a été extirpé des bras de Morphée, chez lui, puis placé en garde à vue. On lui reproche d’avoir profané le saint homme…
POST-SCRIPTUM : J’ai eu à discuter longuement de ma dernière chronique avec mon ancien professeur de français, M. Wone. Pédagogue exceptionnel, démocrate dans l’âme et chantre de l’altérité, nous avons célébré nos convergences et discuté de nos divergences. Il m’a rappelé l’importance de la contradiction des idées dans une société qui veut progresser. C’est dans l’affrontement des points de vue, insiste-t-il, que se forgent les grands progrès. On ne peut que s’inquiéter quand, dans ce pays, une voix comme celle du Premier ministre bafouille l’idée de la restriction des libertés, pour des progrès économiques hypothétiques. L’étiolement de la démocratie commence par des renoncements peu ou prou insignifiants. C’est à chacun d’être vigilant et exigeant, pour continuer de jouir de la liberté d’expression.
Par Baba DIENG