Littérature – 50 ans des Nouvelles éditions africaines du Sénégal (Neas) : Un âge d’or révolu, un âge d’or à faire revenir

Elles ont aidé mille et une plumes à éclore. Aussi bien au Sénégal que dans la sous-région. Aujourd’hui, pourtant, les Neas peinent à couver le génie littéraire dont dispose le pays. Mais n’empêche, un demi-siècle d’existence ça se fête. Mais, n’empêche encore, fêter n’empêche pas de revenir sur les maux qui pèsent sur l’usine à mots Neas.Par Moussa SECK –
Des portraits, en exposition. Derrière le verre, des visages à jamais figés dans l’éternité. Des visages, figés dans cette éternité par leurs plumes. Derrière le verre, des portraits en noir et blanc, des auteurs. Alioune Badara Bèye qui sourit à moitié ; Mariama Ba, sereine avec une lueur au fond du regard ; Abasse Ndione dans sa spirale, rêvant ; Cheik Aliou Ndao sans lunettes ; Iba Der Thiam, une pose historique, Liliane Kesteloot, un sourire mythique ; Lamine Sall, placide, «comme un iceberg en flamme». Peut-être savait-il, au moment d’être pris en photo, que la flamme du temps ne saurait éroder un iceberg fait de lettres de marbre et enduit d’émaux d’esprit. Et, en avant de la tente disposée sur l’esplanade du Grand-Théâtre, le scénariste dans la pièce de laquelle joue tout ce beau monde cité plus, et tous ceux non cités. Senghor, avec son uniforme d’académicien, a un imposant portrait. Lui aussi, ne regarde personne spécialement. Lui aussi, cependant, interpelle tous les passants. Lui, de l’esprit duquel a jailli l’idée des Nouvelles éditions africaines. Aujourd’hui 2022, qui fêtent ses cinquante ans. 1972, c’était hier. Et il avait raison, Senghor : «en disant que la culture est au début et à la fin du développement, il a dit l’essentiel», a prêché au perchoir, Marouba Fall. M. Fall, qui argumente faisant remarquer qu’«aujourd’hui, les problèmes qui se posent au monde sont des problèmes d’identité, parce que l’homme qui ne se connaît pas, ne peut pas se situer dans le monde». Et l’homme s’oriente par la culture, qui donne le supplément d’âme qui manque à l’homme qui semble n’avoir grandi que matériellement. Parler de culture sans évoquer le livre ? Impensable, selon Marouba Fall. Parler de livre au Sénégal sans évoquer les Neas ? Hérésie, pour lui. «Donc, dit-il, merci au Président-poète Léopold Sédar Senghor, qui a initié que les nouveaux Etats ne devaient pas aller seuls. C’est pourquoi au début il y avait le Sénégal, le Togo et la Côte-d’Ivoire» … Malheureusement, la scission est intervenue.
Il faut beaucoup de ressources pour relancer cette industrie
Le Sénégal a pour sa part gardé ses plumes, les Nouvelles éditions africaines du Sénégal (Neas) qu’on célèbre ces 15 et 16 décembre, se substituant aux Nouvelles éditions africaines (Nea). Des plumes : «des créateurs, des hommes de tempérament, des hommes et des femmes d’émotion», pour parler comme Alioune Badara Bèye, qui s’est exprimé au nom des auteurs pionniers des Neas. Il y avait des jeunes, aussi des adolescents, et avec eux, d’autres, dits du troisième âge, pour marquer le cinquantième anniversaire de l’existence de cette maison d’édition qui a fait sortir de l’ombre, de grands noms de la littérature, selon ce qu’a rappelé Racine Senghor. Les corps subissent les affres du temps, mais, les esprits n’en sont pas autant balafrés. Celui de Amadou Elimane Kane reste vif, lui qui a fait un exposé sur ce qu’il nomme «les trois âges des Neas». Le demi-siècle, malheureusement, coïncidant à un qui est moins luisant. «Nous sommes presque en crise!» Venant de Aminata Sy, c’est un aveu. Poignant. La directrice des Neas avouera en effet rencontrer des difficultés de paiement, pour les travailleurs de la maison dont elle a hérité. Toutefois, l’Etat n’est pas indifférent aux maux qui touchent le peuple des mots, du beau texte, de la bonne phrase, de l’Idée exprimée en vers, en prose… «Nous remercions le président de la République, son Excellence Macky Sall, puisque dès qu’il a pris connaissance de nos difficultés financières, il nous avait envoyé une forte subvention et avait donné des directives pour restructurer la société afin de la sauvegarder comme patrimoine national.» Le ministre de la Culture et du patrimoine historique aurait aimé être au rendez-vous de ce 15 décembre.
Empêché, M. Aliou Sow a été représenté. Ibrahima Lô, directeur du Livre de la lecture, a parlé en son nom. Les Neas sont en crise, qu’il faut aider, et, «Monsieur le ministre de la culture est dans ces dispositions-là». M. Lô ne manquera pas, lui aussi, de louer l’endurance des travailleurs des Neas. De dire en ce sens : «On parle beaucoup de résilience, présentement. Mais, je crois savoir qu’il n’y a pas plus résilients que les personnels des Neas que je côtoie au quotidien.» Il reconnaît en outre qu’ «il faut beaucoup de ressources pour relancer cette industrie. Pour dire, simplement, que le ministre certainement, vous accordera une grande attention dans les semaines à venir». Est-il besoin de préciser qu’il en va de la survie de cette initiative qui a pris corps en 1972. Cette «maison qui a fait la littérature sénégalaise et africaine, avec des auteurs qui sont sénégalais, ivoiriens, maliens…». Cette maison, «qui doit être considérée comme un patrimoine, un important patrimoine qu’on doit sauvegarder, protéger, développer et promouvoir», ainsi que répété par Racine Senghor.
«Nous avons des entreprises commerciales. Il nous faut vendre le livre pour avoir une marge bénéficiaire, pour rentabiliser notre investissement, pour faire marcher nos entreprises.» Et payer les droits d’auteur, a expliqué Mme Sy. Ceci dit, elle souligne la question du coût. Faire des livres coûte cher, et le livre ne se vend pas aussi facilement que le riz ou le pain, a-t-elle dit.