«A soul of small places» (Une âme des petits endroits), la nouvelle qui vient d’être récompensé par le Prix Caine à Londres, a été écrite par l’écrivain Mame Bougouma Diène. Mais le récit s’inspire du militantisme de son épouse, Woppa Diallo, dans le Nord du Sénégal où l’association qu’elle a fondée lutte pour le maintien des filles à l’école.Par Mame Woury THIOUBOU – 

C’est un duo sénégalais qui vient de remporter le Prix Caine de l’écriture africaine. Woppa Diallo et Mame Bougouma Diène ont été sacrés à Londres pour un texte intitulé A soul of small places, Une âme des petits endroits en français. Cette histoire «tendre et poétique» s’inspire des expériences de violence sexiste de la juriste et militante féministe Woppa Diallo au Sénégal.
Avec Mame Bougouma Diène, le duo signe une fiction qui raconte cette histoire dans un contexte de cosmologie africaine, dans laquelle les esprits et les humains coexistent. The Guardian, qui publie un article sur le sujet, indique que la présidente du jury, Fareda Banda, professeur de Droit à l’Ecole des études africaines et orientales (Soas), et ses collègues juges, les écrivains Edwige-Renée Dro, Kadija George Sesay, Jendella Benson et Warsan Shire, ont estimé que le travail collaboratif parlait «puissamment, mais pas de manière didactique, à l’un des problèmes mondiaux urgents de notre époque». «L’histoire gagnante laisse une impression durable et invite les lecteurs à y revenir», souligne le jury cité par The Guardian.
Dans cette fiction, Mame Bougouma Diène raconte une histoire que son épouse Woppa Diallo a fortement inspirée. «On avait fait une visite à la Maison rose à Guédiawaye et elle a décrit son travail sur les violences basées sur le genre à Matam, la façon dont son association a été créée et le contexte géographique. Tout dans ce qu’elle disait, la description, la passion, a évoqué quelque chose, et c’est ça qui a lancé l’écriture. Certains éléments sont de vrais éléments d’Agnam Thiodaye qui sont décrits de manière fictive, y compris certaines descriptions de Woppa sur Matam qui se sont retrouvées dans le récit. C’est vrai que j’ai écrit l’histoire, mais ça n’aurait pas été possible sans Woppa», raconte Mame Bougouma Diène.

Une histoire d’horreur, de fantaisie et de magie
Une âme des petits endroits est une histoire d’horreur, de fantaisie et de magie. «C’est l’histoire d’une jeune fille qui se venge de ceux qui violent des jeunes filles dans ce village fictif d’Agnam Thiodaye. La jeune fille est possédée par un soukougno, un nom pulaar qui désigne un esprit un peu similaire à un vampire cannibale et qui se manifeste lors de son adolescence. Elle utilise donc cet esprit pour se venger», raconte l’auteur. La nouvelle est ainsi un «message d’affirmation pour les femmes», indique l’auteur. «Cette histoire nous permet d’évoquer les violences basées sur le genre dans la région de Matam, l’aspect social et la difficulté des victimes à être reconnues. Mais à travers le combat de cette jeune fille, ça amène un changement profond dans le village, mais aussi un changement d’elle-même, et c’est une histoire qui traite de l’adolescence, de l’amour filiale et romantique, et des conséquences de la violence autant sur la communauté que sur l’individu. L’idée, c’était d’écrire une histoire d’horreur et de fantaisie, mais avec un fond social très marqué et très profond, de véhiculer un message sur le besoin de soutien des victimes, de les reconnaître au lieu de les blâmer, et même de les contraindre à épouser leur agresseur», résume l’auteur.

Un activisme précoce
L’activiste féministe Woppa Diallo, qui inspire ce récit, a démarré son militantisme alors qu’elle n’avait que 15 ans.
C’est à cet âge qu’elle crée l’Association pour le maintien des filles à l’école à Matam (Amfe). Elle s’insurge ainsi contre les mariages précoces et les multiples contraintes qui sortent de l’école de brillants esprits féminins. «Je m’étais rendu compte que nos filles étaient très brillantes, mais nous n’avions pas la chance d’achever nos études pour plusieurs raisons : situationnelles, positionnelles et institutionnelles, alors je me suis lancée, mais le déclic, c’est qu’une camarade de classe s’est mariée et a dû abandonner pour les travaux domestiques alors qu’elle était très brillante», raconte Woppa Diallo à propos de la genèse de cette association. Le Prix Caine est doté de 10 mille livres. Et la moitié va être consacrée à l’achat de serviettes hygiéniques pour les filles de Matam, annonce Woppa Diallo. Mame Bougouma Diène a déjà été finaliste du Prix Splatterpunk en 2019 pour son premier recueil de nouvelles, Fistules (Dark Moons Rising on a Starless Night en anglais). Le Prix Caine, qui a enregistré un nombre record de 297 candidatures provenant de 28 pays différents cette année, est décerné à une nouvelle d’un écrivain africain publiée en anglais. Nommé en mémoire de l’ancien président du Comité de gestion du Booker Prize, Sir Michael Harris Caine, le prix vise à faire connaître l’écriture africaine à un public plus large. Parmi les lauréats précédents, figurent Idza Luhumyo, NoViolet Bulawayo et Irenosen Okojie.
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