Fini le temps où pour déchiffrer un livre, il fallait nécessairement savoir lire. Aujourd’hui, les outils du numérique permettent d’accéder au livre de différentes façons à travers les audios et autres livres électroniques. Une «révolution» qui renforce l’inclusion, mais qui pose aussi des risques sécuritaires réels.Par Mame Woury THIOUBOU – 

Lire, ce n’est plus seulement de se plonger entre les pages d’un bouquin, d’en humer l’odeur autant que les mots. Lire prend désormais de nouvelles formes, portées par une révolution numérique qui transforme le rapport au livre, à l’auteur et au savoir. Voici le temps des ebook et autres livres audio. Ce samedi, au 2e jour du Salon du livre féminin de Dakar, le débat a été posé. «Edition et numérique : vers une nouvelle ère du livre en Afrique», la discussion autour de ce thème a réuni auteurs, spécialistes et éditeurs. Pour les panélistes, nul doute que cette révolution est déjà en cours. «Le numérique a introduit une révolution qui touche tous les acteurs de la chaîne de valeur du livre», souligne Ababacar Sadikh Ndiaye. L’expert en stratégies numériques indique que si on pensait que le livre était destiné aux personnes sachant lire, ce n’est plus le cas. «Aujourd’hui, avec le livre audio et le ebook, le livre devient un outil d’inclusion qui peut dépasser les frontières physiques.» En effet, avec la généralisation de l’usage des smartphones, beaucoup de lecteurs accèdent à des ouvrages par un simple clic. Dans un continent où les frais d’impression restent très élevés, le recours aux ebook et l’ouverture de plateformes de lecture sont une véritable aubaine pour les auteurs et les éditeurs. Cette nouvelle donne règle les problèmes de distribution puisque les ouvrages franchissent les frontières physiques. Pour le directeur des Editions Saaraba (Sénégal), c’est la découvrabilité des œuvres littéraires qui s’en trouve renforcée. «Le numérique offre la capacité de faire voyager son livre. C’est une formidable opportunité», dit-il.
Auteure de chroniques sur wattpad, une plate-forme numérique, Marième Bathily Diop a pleinement profité de cette révolution numérique. Sous son pseudonyme de Nana, ses œuvres ont été lues des millions de fois sur cette plateforme et à travers le monde. «Le numérique nous a permis de toucher beaucoup plus de monde dans la sous-région, en Afrique anglophone et même dans les Caraïbes. C’est grâce au numérique que je suis reconnue comme auteur», souligne-t-elle. Un livre n’aura ainsi plus besoin de passer par une chaîne d’impression très lourde, complexe et onéreuse. La multiplication des lecteurs, le choix d’utiliser un livre écrit ou audio, sont autant de gages de l’élargissement de la cible. «Avec le numérique, on peut écrire pour être lu et être entendu. Dès l’instant qu’on a une version numérique, on peut avoir un livre sous différentes langues et ça peut nous amener dans des zones inespérées», souligne Aboubacar Sadikh Ndiaye en évoquant l’utilisation de l’Intelligence artificielle.
Toutes ces possibilités sont importantes et participent à la vulgarisation des œuvres. Mais dans nos pays, des obstacles doivent d’abord être levés. C’est le faible niveau de connectivité, les coûts élevés de l’accès à internet, les faibles pouvoirs d’achat. Les communautés les plus reculées, qui devraient être les premières à bénéficier de ces outils numériques pour accéder aux livres au même titre que les populations des zones urbaines, se retrouvent à payer le prix de cette fracture numérique. En outre, l’usage du numérique dans l’édition pose de nouveaux défis. «Tous les risques liés au numérique existent aussi pour l’écosystème du livre», souligne M. Guèye. Ces menaces sont liées à la sécurité des plateformes, mais aussi à une utilisation non autorisée des ouvrages et leur duplication frauduleuse. Déjà l’on commence à s’interroger sur les apports de l’Intelligence artificielle au regard du droit d’auteur et de la propriété intellectuelle. Mais pour Souleymane Guèye, même si le pas doit être franchi, il faut quand même régler déjà les problèmes structurels de la chaîne du livre. Et, selon lui, l’Etat à un rôle d’encadrement, de réglementation et d’aide à la structuration de l’écosystème. Mais à Saaraba comme dans d’autres maisons d’édition sénégalaises, le numérique est bel et bien présent, même s’il ne fait pas encore de chiffres conséquents. L’adoption de modèles hybrides est déjà une réalité.
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