Le livre témoignage Francophonie, le pacte brisé de l’ancien candidat à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif) Jean Claude de l’Estrac dépeint, sans demi-mesure, les dérives de l’institution. Publié aux éditions du Cherche-Midi, l’ouvrage raconte les coulisses de sa bataille perdue face à la Canadienne Michaëlle Jean. Il y décrit aussi pourquoi il est inquiet pour l’avenir de cette organisation.
Deux ans après sa défaite face à Michaëlle Jean, qu’il n’a visiblement toujours pas digérée, Jean Claude de l’Estrac revient sur le difficile accouchement du Sommet de Dakar, au cours duquel la Canadienne avait été portée à la tête de l’Organisation internationale de la francophonie (Oif). Évoquant dans son ouvrage, un «coup de force» de la France, le Mauricien revient en détail, et avec une amertume évidente, sur les coulisses de cette non-élection qui a abouti à la rupture du pacte de Hanoï et à la perte, pour l’Afrique, de la tête de l’Oif. Un témoignage subjectif et sans fioriture, suivi d’une longue interview, qui nous plonge dans la réalité de la diplomatie franco-africaine autant qu’il éclaire la singularité d’un petit pays, Maurice, qui se vit, un temps, en phase avec la nouvelle francophonie.
Dans Francophonie, le pacte brisé, l’auteur mentionne clairement que sa défaite à Dakar, en novembre 2014, est le résultat d’un «coup de force». A l’en croire, «C’est un coup de force de Hollande puisque ce qui a été annoncé à la séance plénière, c’est-à-dire qu’il y a eu consensus, n’est pas exact». «Il n’y a jamais eu de consensus puisque le président Hollande a levé la séance avant que le Président mauricien ait eu l’occasion de venir dire : «il n’y a pas de consensus, passons au vote. Ce qui est prévu par la Charte de l’organisation. Voilà une organisation qui prêche la démocratie et qui refuse une élection par un coup de force politique», a-t-il expliqué.
On pourrait bien déduire au vu de la posture et des écrits de Jean Claude de l’Estrac qu’il est un mauvais perdant. Mais il se défend à ce propos, affirmant que cet ouvrage, il l’écrit pour l’avenir de la Francophonie, car «il faudra démocratiser les instances. C’est même tout le sens de ce livre. Toutes les organisations internationales passent par la voie des élections pour choisir leur dirigeant. Et pas la Francophonie ? Ils prétendent pourvoir la démocratie», dit-il. A l’en croire son regard critique sur les actions de Michaëlle Jean, n’est en rien celui d’un mauvais perdant. «Ces critiques que je formule, ce ne sont pas des critiques sur la performance de Madame Jean, mais pour porter un regard sur ce qu’est la Francophonie aujourd’hui. Et en réalité, il est un peu une synthèse de tout ce que j’ai entendu. Pendant une année de campagne, j’ai rencontré les chefs d’Etat africains eux-mêmes, j’ai senti beaucoup de scepticisme, de désillusion dans l’espace francophone à l’égard de l’organisation : est-elle encore utile ? Comment peut-elle se rendre utile ? Quelle est sa valeur ajoutée ? Toutes ces questions se posent et plus particulièrement, au Sud, à l’Afrique et souvent aussi en Asie», avance-t-il.
Son regard sur l’organisation
Il faut souligner qu’en décembre dernier sur Rfi, Jean Claude de l’Estrac avait porté un regard assez sévère sur l’action de Mme Jean. Réagissant sur les deux ans de gestion de celle qui l’a battu aux élections du Sommet de Dakar, il mentionnait qu’ «Il y a un certain nombre d’interrogations qui étaient posées déjà au départ sur la vision qu’a Madame Jean effectivement de la Francophonie. Ces interrogations s’étaient exprimées au moment même de son élection, notamment en France où j’ai vu des documents du quai d’Orsay se posant la question de savoir si elle avait effectivement une vision pour la Francophonie. Je ne peux pas répondre à cette question pour l’instant. Elle est à mi-mandat». «On ne peut pas dire qu’il y a eu des initiatives marquantes, sauf peut-être on l’a vu devant le Conseil de sécurité (de l’Onu le 7 novembre 2016), ce qui était une première, sur la question de la Rdc. Mais pour le reste, et notamment sur le rôle de la Francophonie en termes de stratégie économique, à un moment crucial pour l’Afrique, sur la question de l’industrialisation de l’Afrique, je n’ai pas vu d’initiatives nouvelles», a poursuivi Jean Claude de l’Estrac.
Le diplomate Mauricien, auteur de Francophonie, le pacte brisé, exprime également son extrême inquiétude sur le budget annuel de l’Oif, tombé de 85 à 75 millions d’euros. «Au niveau des contributions des pays, il y a de plus en plus de difficultés à faire en sorte que les pays payent la cotisation. Ensuite, il y a de plus en plus de difficultés à mobiliser des fonds pour des projets. C’est peut-être l’illustration d’un manque d’intérêt pour une organisation dont on ne sait pas très bien où elle veut aller, ce qu’elle est réellement. Elle a le souci de vouloir s’agrandir sans cesse, sans vraiment un droit d’inventaire de ceux qui souhaitent y adhérer» a analysé M. l’Estrac. Selon lui, «On est dans un moment de confusion, d’ambiguïté, de manque de réflexion stratégique, de dispersion de petits projets que l’on essaye de faire dans l’un ou l’autre pays comme une manière de satisfaire les égos des uns, des autres. Tout cela ne fait pas une grande ambition pour la Francophonie».
Il ne sera plus candidat à la tête de l’Oif
Sur l’élargissement de la Francophonie, au Qatar, Jean Claude de l’Estrac trouve que c’est «un non-sens». «C’est quoi la Francophonie ? Je n’ai jamais compris pourquoi le Qatar, et moins encore l’Arabie saoudite. Heureusement, je crois que ça a été repoussé, ce n’est pas pour tout de suite. Mais ce dont il s’agit, c’est de définir ce que nous voulons être, ce que nous sommes, ce que nous pouvons être, ce qui nous réunit véritablement et quelles sont ces valeurs-là ? Et si tout le monde peut y adhérer, quel est le projet ? Je ne comprends absolument rien à cette volonté d’élargissement permanent sans une réflexion profonde sur la stratégie à mener», a commenté Jean Claude de l’Estrac, qui dans deux ans, au sommet de la Francophonie qui sera tenu en Arménie, jure qu’il ne sera pas candidat. «Je ne serai plus candidat. C’est la raison pour laquelle j’ai fait ce livre. Je dis que je tourne la page. Je fais ce livre pour que la prochaine élection se déroule de manière démocratique».
arsene@lequotidien.sn