L’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) a eu droit mercredi dernier, à une leçon de vie prononcée par l’écrivaine sénégalaise Mariétou Mbaye, Ken Bugul. Un discours de l’espérance. De l’espoir. D’autres diront une leçon de développement personnel… Et une fois encore, la romancière a montré qu’elle avait réussi, face à tous les obstacles, à inverser le sort.Par Ousmane SOW –
«Je suis tellement émue que je ne sais pas si je vais bien parler aujourd’hui. Je suis très honorée et très heureuse de venir pour la première fois à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Ça, c’est quelque chose que je vais retenir toute ma vie.» Ces mots sont de la romancière sénégalaise Ken Bugul. Auteure d’une dizaine de romans et Commandeure des arts et des lettres de la République française, elle animait mercredi dernier, une conférence sur le thème : «Déconstruire la fatalité : une vie, une œuvre», organisée par l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. La conférencière, Ken Bugul, a témoigné son admiration pour cette université, où elle avait toujours désiré venir. Mariétou Mbaye Bileoma, Ken Bugul de son nom de plume, a salué l’initiative du «Dialogue des savoirs», organisé par l’université Cheikh Anta Diop de Dakar une fois par mois en diffusant les savoirs vers le grand public et en créant les conditions d’un dialogue avec les communautés. L’Ucad est dans une logique de dialoguer avec la société, pour lever les clivages et barrières établis entre les intellectuels francophones et non francophones. Une initiative que Ken Bugul trouve «excellente». A l’en croire, dans un monde de plus en plus mondialisé, les universités, les étudiants doivent s’ouvrir à d’autres cultures. «Ouvrez-vous à tout ce qui se passe. Refusez les acquis, ouvrez-vous au monde ! Soyez curieux !», a confié l’auteure d’Aller et Retour et Cacophonie. Ken Bugul n’a pas de diplômes universitaires à faire valoir, mais elle produit des œuvres qu’on étudie et/ou lit dans toutes les universités du monde.
Ecrire pour exister
Eu égard à son expérience, elle estime que le développement humain n’est pas une question de filiation, ni de diplôme, mais une dynamique permanente, une question de volonté, de foi, de mental, de disponibilité, d’imaginaire et de curiosité. Elle explique : «Je n’ai pas été conditionnée à devenir quelque chose et jusqu’à présent, je cherche toujours à devenir quelque chose. Mais l’école a été quelque chose de déterminent.» A l’université, Ken Bugul pouvait parler de littérature, des livres et de l’ensemble de sa vie et de son œuvre, tout est intimement lié. «Ma vie, c’est mon œuvre, et mon œuvre, c’est ma vie», dit-elle avec une touchante sincérité. En narrant sa vie, son parcours, Ken Bugul s’est considérée comme exclue de sa famille. Cet abandon est un déchirement qu’elle rapporte comme étant à l’origine de son besoin d’écrire. Elle fait allusion à ce traumatisme dans plusieurs de ses romans, notamment dans De l’autre côté du regard. «Je souffrais. Une énorme souffrance parce que je ne comprenais pas pourquoi ma mère partait», se souvient l’auteure du célèbre roman Le baobab fou, son premier, paru en 1982. Durant l’absence de sa mère, elle reste auprès de son père qui est alors âgé de 85 ans. Aujourd’hui, à 76 ans, la romancière montre qu’elle a réussi, face à tous les obstacles, à inverser le sort. Ken Bugul, celle dont personne ne voulait, est aujourd’hui celle que tout le monde veut désormais. Mais si elle évoque la douleur avec autant d’aisance, c’est qu’elle la connaît trop bien. Quand elle parle, ses mains, longues et fines, accompagnent ses paroles. Avec des mots authentiques, souvent durs, parfois crus, l’écrivaine puise dans son vécu d’être qui était à la conquête de la liberté pour livrer un cours magistral aux étudiants. Celle qui a erré dans les rues de Dakar, dans la précarité à 33 ans, a trouvé les mots justes pour réconcilier les étudiants avec le destin et leur offrir de l’espérance.
Déconstruire la fatalité
L’écrivaine a aussi expliqué que c’est grâce à l’écriture qu’elle a pu déconstruire la fatalité. «Vous pouvez me poser toutes les questions que vous voulez, mais c’est avec Le Baobab Fou, Cendres et Braises et la rencontre avec le Serigne dans Riwan, c’est à partir de là que j’ai commencé à déconstruire la fatalité», a-t-elle déclaré à l’assistance. Dans un récit autobiographique, Ken Bugul montre comment avec la confiance en soi, la persévérance, on peut déplacer des montagnes. A la question, qu’est-ce qu’il y a à écrire encore ? «Je vais écrire un livre sur le regard parce que je n’ai jamais vu le regard de mon père, car il était devenu aveugle», a-t-elle répondu. Tout en saluant à l’unanimité, les qualités humaines, intellectuelles et la résilience de la romancière, l’Ucad a annoncé un autre rendez-vous du «Dialogue des savoirs» pour le 23 juin prochain, avec Felwine Sarr. Ensuite viendront l’écrivaine sénégalaise, Fatou Diome, et Mouhamed Mbougar Sarr, le premier Africain subsaharien à remporter le prix français le plus prestigieux. «Nous avons des philosophes, des historiens, des juristes, des économistes qui n’utilisent pas les mêmes paradigmes, les mêmes normes que nous universitaires et qui ont aussi leur regard sur le monde. Nous avons voulu créer ces cadres de dialogue entre ces différents cercles de production de savoir», a soutenu Amadou Aly Mbaye, Recteur de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.