Le Prix Nobel 2024 de littérature est décerné à l’autrice sud-coréenne Han Kang «pour sa prose poétique intense qui confronte les traumatismes historiques et expose la fragilité de la vie humaine». Née dans la ville sud-coréenne de Gwangju, Han Kang a 53 ans et est issue du milieu littéraire puisque son père, Han Sung-won, est un romancier réputé. Elle avait reçu en 2023 le Prix Médicis du roman étranger.

C’est une énorme surprise pour le monde littéraire, mais aussi pour l’autrice sud-coréenne Han Kang, récompensée pour l’ensemble de son œuvre du Prix Nobel de littérature. Elle était apparemment en train de dîner avec son fils lorsqu’elle a appris la nouvelle grâce au message envoyé par l’un des 18 membres de l’Académie suédoise. Sa première réaction : «Jusqu’ici, j’ai eu une journée tout à fait ordinaire, je n’étais vraiment pas préparée pour cette annonce.»

«Un jour ordinaire»
En ce jour ordinaire, elle vient donc de remporter, en tant que première Sud-coréenne, le plus prestigieux et aussi le mieux doté des prix littéraires au monde, avec 11 millions de couronnes suédoises, c’est-à-dire plus de 970 000 euros. Elle devient la 18e femme parmi les 117 lauréats à avoir remporté la récompense ultime. Les membres du comité célèbrent une autrice qui a su affronter «les traumatismes historiques et les règles invisibles. Et dans chacune de ses œuvres, elle expose la fragilité de la vie humaine. Elle a une conscience unique des liens entre le corps et l’âme, les vivants et les morts. Et, par son style poétique et expérimental, elle est devenue une innovatrice dans le domaine de la prose contemporaine». Avec le choix d’une écrivaine sud-coréenne, l’Académie suédoise a déjoué, comme d’habitude, tous les pronostics.

Dans un monde dominé par les guerres en Ukraine et à Gaza, elle ne s’est pas sentie obligée d’honorer un auteur russe, ukrainien, palestinien ou israélien. Ce n’est pas non plus une autrice dédiée au féminisme, à l’antiracisme, aux droits de l’Homme, à la question du genre, aux tragédies liées à la migration ou aux catastrophes écologiques qui a été couronnée.

Mais une autrice au service de la littérature, qui se confronte dans un style poétique et expérimental aux traumatismes individuels et collectifs, aux règles invisibles, à la fragilité de l’être humain. Ceci dit, une nouvelle règle de l’Académie semble se confirmer : depuis pratiquement dix ans, le Prix Nobel de littérature est décerné en alternance à un homme et une femme.

La percée internationale avec «La végétarienne»
Née le 27 novembre 1970 à Gwangju, ancienne capitale de la province du Jeolla du Sud, la famille de Han Kang s’installe à Séoul quand elle a neuf ans. Comme son père est un romancier connu, elle baigne depuis sa naissance dans un univers artistique. Très vite, Han Kang s’exprime par les mots, mais aussi par la musique et l’art qui se retrouvent souvent dans ses créations littéraires. Ses premières publications sont consacrées à la poésie. Tes mains froides, l’un de ses premiers romans, publié en 2002, reflète son implication dans l’art, par exemple quand elle évoque un manuscrit laissé par un sculpteur disparu, obsédé par la réalisation de moulages en plâtre de corps féminins. Le jeu, l’ambiguïté, voire le conflit entre le visible et l’invisible, le réel et l’irréel, la révélation et la dissimulation, se trouvent souvent au centre de ses préoccupations. Avec La végétarienne (2015), elle réussit pour la première fois à attirer l’attention du monde littéraire au niveau international. Il s’agit d’une exploration de l’expérience radicale d’une femme, Yeong-hye, qui refuse de se soumettre aux normes de l’alimentation et entre en résistance contre le contrôle social. Quand elle persiste à ne pas manger de la viande, elle suscite des réactions violentes et imprévisibles, même auprès de sa propre famille, cela va de son mari, en passant par son père autoritaire, jusqu’à l’exploitation sexuelle par son beau-frère, artiste vidéo. Internée finalement dans une clinique psychiatrique, elle cherche à se sauver par sa propre imagination en s’éloignant encore plus de la société qui l’entoure. Une œuvre récompensée par le Booker Prize en 2016 et dont l’adaptation au cinéma avait été sélectionnée au Festival de Sundance.

L’empathie et la politique
L’empathie joue un rôle majeur dans l’œuvre de Han Kang. The Wind Blows, Go, paru en 2010, aborde les questions complexes de l’amitié et de l’art. Greek Lessons (2011) parle du lien extraordinaire entre deux personnes vulnérables et la capacité de créer un langage commun. L’histoire raconte la rencontre entre une jeune femme traumatisée devenue muette et un professeur de grec ancien qui est en train de perdre la vue. Portée par les valeurs humaines et des univers souvent intimes, l’autrice n’écarte pas non plus la dimension politique de la vie. Dans Human Acts (2014), elle parle d’un massacre commis à Gwangju, sa ville natale, par l’Armée sud-coréenne en 1980, en donnant une voix aux centaines d’étudiants et de civils désarmés qui ont été assassinés.
Avec son roman Impossibles adieux, publié en 2021 et aussi récompensé en France, elle récidive avec ses pensées profondément politiques. Un hommage à des dizaines de milliers de personnes dont aussi des enfants et des personnes âgées, qui ont été fusillées à la fin des années 1940 sur l’île sud-coréenne de Jeju, parce qu’elles étaient communistes ou soupçonnées d’être des collaborateurs. Dans The White Book, la puissance poétique de son style et l’omniprésence de la couleur blanche et du vide prennent le dessus pour raconter une tragédie personnelle vécue par sa mère et son père, mais qui a eu aussi de fortes répercussions sur sa propre vie : le décès de sa sœur aînée quelques heures après sa naissance. En se demandant si cette mort précoce n’a pas aussi rendu sa vie possible, elle inclut la mort et les morts dans sa vision de la vie.

Les écrivains africains restent-ils les oubliés du Comité Nobel ? 
Plusieurs noms africains circulaient avant l’annonce surprise de ce 10 octobre : par exemple Nuruddin Farah, écrivain né en 1945 en Somalie, mais qui écrit en langue anglaise et qui a grandi dans une province de l’Ethiopie proche de la Somalie. Ce grand défenseur de l’histoire de son pays est notamment le premier écrivain somalien à rompre avec la tradition orale du Somali, en lui donnant aussi une version écrite suivant l’alphabet latin. Ou Ngugi wa Thiong’o. Né en 1938, l’écrivain kényan écrit en langue kikuyu et anglaise, et s’est donné la mission de «décoloniser l’esprit», œuvre du même nom publiée en 1986. Depuis son premier roman, Enfant, ne pleure pas, publié en 1962, un an avant l’indépendance du Kenya, l’écrivain, réputé pour son style à la fois sophistiqué et populaire, est considéré comme l’un des plus grands écrivains de l’Afrique de l’Est.

Cependant, jusqu’à aujourd’hui, seulement cinq écrivains du continent africain ont reçu le Prix Nobel de littérature : le chantre de la liberté, le Nigérian Wole Soyinka, devenu, en 1986, le premier écrivain noir et le premier auteur africain nobélisé, suivi en 1988 par le «Victor Hugo du Caire», l’Egyptien Naguib Mahfouz, la militante contre l’apartheid, la Sud-Africaine Nadine Gordimer en 1991, devenue la première femme du continent africain distinguée par le prix, l’écrivain anti-raciste John Maxwell Coetzee («écrivain occidental vivant en Afrique du Sud») en 2003 et le Tanzanien Abdulrazak Gurnah, qui s’est vu décerner le prix en 2021 et qui a été félicité pour ses récits sur le «destin des réfugiés pris entre les cultures et les continents». Depuis 1901, l’Europe et l’Amérique du Nord représentent les trois quarts des auteurs récompensés de la plus prestigieuse distinction littéraire du monde. Avec Han Kang, le Prix Nobel de littérature a récompensé aussi l’écriture et la culture d’un autre continent. L’an dernier, le Prix Nobel de littérature avait été remis au dramaturge norvégien Jon Fosse.
Rfi