Sur l’île de Ngor, au large de Dakar, dix femmes se sont retirées du monde pour mieux y revenir, plume en main. Dix histoires, dix sensibilités, dix parcours et une même ambition : écrire, pour dire, pour guérir, pour transmettre. Du 5 au 11 mai 2025, elles ont participé à la 4e édition de la résidence d’écriture de création de nouvelles organisée par «Les Cultur’elles», en marge du prochain Salon du livre féminin de Dakar prévu en octobre. Par Ousmane SOW –

 La résidence, dirigée par Amina Seck, elle-même écrivaine et militante de la cause littéraire féminine, n’est pas un simple atelier d’écriture. C’est un refuge, une couveuse, un cri. Et bientôt, un livre. A lire avec le cœur, et peut-être les poings serrés. «On choisit d’abord le texte, pas la personne. Le sujet traité, la qualité de l’écriture, puis la posture, la capacité à défendre un projet. Enfin, le parcours. On choisit le parcours académique, professionnel. Aussi, on a besoin de femmes qui puissent vraiment écrire», explique Amina Seck, directrice de «Les Cultur’elles» et initiatrice du Salon du livre féminin de Dakar, prévu du 10 au 12 octobre 2025. Et cette année, une Tunisienne vivant à Dakar, Sarah Assidi, a assuré la formation, entre techniques narratives, relecture minutieuse et accompagnement personnalisé. Parmi les participantes, une Camerounaise, une Ivoi­rienne, une Burkinabè, une Congolaise, et des Sénégalaises, certaines issues de la diaspora, ont offert la pluralité de leurs voix. Des femmes en quête d’un espace d’expression, parfois d’un souffle nouveau. «L’objec­tif de cette résidence, c’est de faire écrire les femmes. Parce que la plupart du temps, la demande c’est : «je veux être accompagnée pour écrire mon livre, comment écrire un livre ?» Puisqu’on fait la promotion de la littérature féminine, le mieux, c’est d’organiser une résidence», explique Amina Seck, déterminée à promouvoir une chaîne du livre féminin de bout en bout.

Cheffe de studio dans une agence de communication à Dakar depuis plus de 20 ans, Njiki Laure est arrivée dans cette résidence par pure grâce. Son premier livre autobiographique, Mère solo, le pouvoir de la résilience, vient à peine de sortir, et elle ne s’est jamais définie comme écrivaine. «Je suis arrivée dans cet atelier, je dirais, par pure grâce. Mon premier livre en autobiographie est sorti en décembre 2024. Et quand j’ai vu l’annonce de cette résidence, je me suis dit, c’est l’occasion de me lancer dans cette passion peut-être camouflée en moi. C’était comme une victoire quand j’ai été retenue. On a reçu un encadrement vraiment, je ne m’y attendais pas. Entre le texte que nous avons envoyé pour soumettre la candidature et le texte que nous allons soumettre également à l’éditeur, l’esprit est le même, mais il y a une réécriture qui a été faite», a-t-elle fait comprendre. Aujourd’hui, elle repart avec une promesse : «L’écriture est vraiment un projet à soutenir. Et soutenir «Les Cultur’elles», c’est soutenir la femme. Parce qu’on s’est rendu compte que chacune avait une histoire. Et c’est ça qui fait la particularité de cette 4ème édition de la résidence d’écriture. Pour moi, c’est une très belle expérience. Je vais me mettre à l’écriture d’un roman.»

«Amina nous a donné des ailes»
Etudiante en Master d’art dramatique à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, Fata Ngom porte une sensibilité à fleur de peau. «Cette résidence, c’est une de mes plus belles expériences. J’ai rencontré de belles âmes, avec qui j’ai partagé des récits de vie surtout. Ma nouvelle parle de sororité, de la femme, de souffrance, d’amour. C’est un silence pas du tout muet»,  explique la comédienne Fata Ngom. Avant de poursuivre : «Amina nous a donné des ailes. Maintenant, il faut les plumes et prendre l’envol. Et moi, je vais le faire. Et toutes ces femmes aussi, je suis sûre qu’elles feront pareil, parce que nous sommes toutes animées par l’envie d’aller de l’avant, l’envie de dire non surtout, par l’envie de faire face à nos propres démons, aux problèmes, en quelque sorte, que nous rencontrons tous les jours. Et préparez-vous, ce recueil, c’est beaucoup de colère qui est dedans. Pas seulement notre colère, mais la colère de tous ceux et celles qui nous entourent et qui ne peuvent pas parler.»

Venue du Burkina Faso, où elle anime un club de lecture, Awa Ouédraogo, de son côté, a trouvé, dans cette résidence, un véritable laboratoire de perfectionnement. «Person­nelle­ment, je fais un peu la correction des manuscrits avec des maisons d’édition, mais ici, on a appris à manier les outils stylistiques, c’est-à-dire les stéréotypes, tout ce qui concerne l’écriture parfaite d’une nouvelle. C’était une formation de taille. Je rentre chez moi avec des bagages intellectuels. Et là, je suis très contente», dit-elle avec satisfaction. Militante dans l’âme, elle entend impulser une dynamique féminine dans la littérature burkinabè : «D’où je viens au Burkina Faso, il n’y a pas assez de femmes engagées dans la littérature. Et j’aimerais changer ça. J’ai un club de lecture, où j’ai des amis que j’incite à lire et à écrire. Donc, je veux que là d’où je viens, on ait une littérature féminine engagée et dynamique», assure-t-elle. De cette résidence, qui s’est tenue sur l’île de Ngor, elles étaient dix, venues d’horizons variés. Certaines sont des autrices confirmées, d’autres, comme Njiki Laure, à peine sorties de l’anonymat. Mais toutes ont en commun cette même colère lucide, ce désir de briser le silence, de raconter «ce qui nous consume de l’intérieur». A travers la fiction, elles ont toutes, d’une manière ou d’une autre, inséré des fragments de leur vécu. Le recueil collectif issu de cette résidence, qui sera publié prochainement par une maison dirigée par une femme, promet une mosaïque d’émotions, de luttes et d’espoirs. «On va publier un recueil collectif qui est produit durant la résidence. Et qui va être publié avec une maison d’édition gérée par une femme. Donc c’est juste faire la promotion de toutes les femmes qui évoluent dans la chaîne du livre», promet Amina Seck.
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