Les premiers titres de la rentrée littéraire de l’automne 2019 ont commencé à faire leur apparition dans les rayons des librairies de France et de Navarre. On attend un total de 524 romans d’ici la fin octobre. L’Afrique est présente dans cette offre foisonnante, avec des œuvres fortes signées par quelques-unes de ses plus remarquables auteures.
Il n’y a pas de rentrée littéraire sans l’Afrique. La petite musique africaine qui s’est mise en marche avec l’attribution du prix Goncourt en 1921 au Guyanais René Maran pour son roman Batouala, véritable roman nègre (Albin Michel), a progressivement imposé le continent africain comme une source majeure d’inspiration pour l’imaginaire littéraire français, devenu désormais résolument multiculturel.
Le phénomène se confirme régulièrement. On a pu le constater l’année dernière encore, avec l’extraordinaire succès populaire rencontré par le beau roman du Franco-Sénégalais David Diop sur les tirail-leurs. Frère d’âme (Seuil) a révélé un très grand écrivain qui a su magistralement transformer la fiction en un exercice de catharsis national, en faisant monter à la surface les secrets enfouis et douloureux de l’histoire franco-africaine commune.
Les rentrées littéraires se suivent et ne se ressemblent pas. L’échéance 2019 qui démarre ne verra peut-être pas émerger un nouveau David Diop car les têtes d’affiche de cette année littéraire africaine sont essentiellement des auteurs installés, dont le principal souci est moins de renouveler que d’approfondir leur sillon. Secrets de famille, mémoire, aspiration à la liberté, tels sont les principaux thèmes au cœur des livres des «quatre femmes puissantes» qui dominent la rentrée littéraire africaine 2019.
Le roman familial de Nathacha Appanah
La Franco-Mauricienne, Nathacha Appanah, est l’auteure d’une œuvre singulière composée d’une dizaine de livres. La romancière poursuit dans son nouveau roman très verlainien, Le ciel par-dessus le toit, son entreprise de destruction du mythe de la famille comme refuge et espace de régénérescence. Ce sixième roman, sous la plume de cette auteure talentueuse, raconte l’histoire d’une famille dysfonctionnelle, composée d’une mère célibataire et anxieuse, d’un fils qui se retrouve en prison à dix-sept ans et la sœur qui déteste la mère.
Avec son écriture où grâce et ironie cohabitent, Nathacha Appanah trace le chemin escarpé vers une possible réconciliation de ses protagonistes accablés sous le poids des émotions contradictoires et des souvenirs des traumatismes anciens. La perte de l’innocence sera le prix à payer pour le jeune Loup dont le monologue narrativisé ouvre ce roman qu’on lit d’une seule traite.
Fatou Diome et Léonora Miano
Les Veilleurs de Sangomar (Albin Michel) de la Franco-Sénégalaise, Fatou Diome, et Rouge impératrice (Grasset) sous la plume de la Franco-Camerounaise, Léonora Miano, sont aussi des romans très attendus de cette rentrée littéraire. Les parcours de ces deux auteures, qui appartiennent à la même génération et qui ont publié leurs premiers opus à une poignée d’années d’intervalle durant la première moitié de la décennie 2000, illustrent la grande diversité d’inspiration et de sensibilités qui caractérise les lettres africaines con-temporaines. Plus proche des Sembène Ousmane, des Ahmadou Kourouma et des Mongo Beti, Fatou Diome inscrit ses récits dans le social-réalisme à l’africaine, donnant à voir les heurs et malheurs des petites gens aux prises avec les injustices sociales ainsi qu’avec leurs propres démons intérieurs. Cela donne des œuvres poignantes telles que Le Ventre de l’Atlanti-que (Anne Carrière, 2003) qui a fait connaître cette écrivaine sénégalaise.
Le nouveau roman de Fatou Diome raconte le parcours initiatique de Coumba, jeune veuve qui a perdu son mari dans le naufrage du Joola, en 2002, au large du Sénégal. Celle-ci tente de se reconstruire en se ressourçant dans les traditions de son île, toujours habitée par les esprits des ancêtres. Roman au long cours, Les Veilleurs de Sangomar est une invitation au voyage au cœur d’une Afrique lumineuse et solidaire.
Quant à Léonora Miano, c’est une romancière atypique dans le monde francophone. L’œuvre dense et engagée qu’elle a construite depuis son premier livre L’Intérieur de la nuit (Plon, 2005) est plus proche du corpus littéraire de l’Américaine Toni Morrison, récemment disparue, où la narration procède en déconstruisant les mythes et les préjugés. Les romans de Léonora Miano, exigeants dans leur construction narrative, interrogent l’identité, l’histoire, la mémoire et ses abîmes. Son nouveau roman ne déroge pas à la règle.
Rouge impératrice imagine une Afrique du futur, unifiée et prospère, baptisée Katiopa, et vers laquelle se ruent les réfugiés de la vieille Europe. Renversant les codes de la domination, l’auteure a imaginé cette Afrique qui vient comme un lieu de déploiement de complots politiques et sentimentaux aux enjeux identitaires complexes. Le roman questionne également le devenir humain. Enfin, Rouge impératrice est une fable afro-futuriste qui s’inspire, au dire de son auteure, de la vitalité imaginative des séries à rebondissements inattendus et de l’inventivité de… Black Panther.
Une fable algérienne par Kaouther Adimi
La liste des femmes puissantes de la rentrée littéraire africaine restera incomplète sans la Franco-Algérienne qui, en quatre livres, s’est imposée comme une auteure incon-tournable des lettres africaines contemporaines. Son nouveau roman, Les Petits de Décembre (Seuil), ainsi nommé en référence à la cité du 11-Décembre située à quelques encablures de la capitale algérienne, où se déroule l’action du récit.
Le livre met en scène une population de banlieusards aux prises avec le pouvoir militaire, tout-puissant et corrompu. L’enjeu est local. Il tourne autour d’un terrain de football convoité par les généraux en quête de terrain pour leurs villas de rêve, mais la portée de la fable sous-jacente dépasse le fait divers pour embrasser l’histoire de l’Algérie indépendante. A travers un récit construit comme une farce au premier plan, la romancière développe avec maestria une critique en règle du régime politique algérien. Subversif et jouissif.
L’autofiction de Abdourahman Waberi
Si les femmes occupent le terrain, les hommes ne sont pas totalement absents de ce festival de l’imaginaire qu’est la rentrée littéraire. Est au rendez-vous, le grand Abdourah-man Waberi, auteur du Pays sans ombre (Le Serpent à Plumes), Cahier nomade (Le Serpent à Plumes) et Balbala (Le Serpent à Plumes), qui ont fait la réputation de ce conteur hors pair de la dérive africaine. Le Franco-Djiboutien signe avec Pourquoi tu danses quand tu marches, un récit intimiste, qui relève de l’autofiction. A mille lieux des écrits habituels de Waberi, mais c’est un livre très réussi.
Le romancier a raconté que le titre de son nouveau livre lui a été soufflé par sa petite fille. Inquiète de voir son papa ne pas marcher comme les autres papas, celle-ci a pris un jour son courage à deux mains et lui a posé la question fatidique. Pourquoi tu boites, mon papa ? Le papa ne se dérobera pas et le livre, structuré comme une adresse à sa fille, sera sa réponse.
Une réponse honnête et touchante qui remonte à l’origine du mal, à l’enfance, à Djibouti, à la colonisation, au désert, à la mer Rouge, à plage de la Siesta. Enfin évidemment, à la polio qui a affaibli sa jambe à l’âge de sept ans. Depuis, papa ne peut plus faire du vélo, ni peut-il s’aventurer sur un skateboard, au grand désespoir de son enfant. Pourquoi tu danses quand tu marches est un formidable récit sur la résilience, la volonté et l’amour de nos proches qui nous donne la force de gravir des montagnes malgré nos handicaps.
Jean-François Samlong, primo-romanciers et romans traduits
Autre poids lourd de cette année, le Réunionnais Jean-François Samlong. Le Soleil en exil est le treizième roman de ce mastodonte des lettres africaines, entré en littérature depuis plus de trente ans. Poète et romancier, Samlong a construit une œuvre puissante et engagée, puisant son inspiration dans les drames et les violences qui secouent régulièrement son île. Son nouveau roman raconte la tragédie que les Réunionnais ont vécue dans leur chair en découvrant il y a quelques années le scandale des mineurs de l’île envoyés en exil forcé vers la métropole, entre 1964 et 1982. Des exilés du soleil, mais aussi de la vie car certains de ces jeunes se sont suicidés pour oublier leurs traumatismes, alors que d’autres restent encore enfermés dans des hôpitaux psychiatriques. C’est sous la forme de témoignage des victimes que le romancier a entrepris de raconter le drame de ceux qu’on appelle à la Réunion «les enfants de la Creuse».
Enfin, parmi les autres romans attendus de cette rentrée, signalons Tous les enfants sont dispersés (Autrement) de Beati Umbuyé-Mairesse ou encore Boy Diola de Yancouba Diémé. Les deux sont des primo-romanciers. Ils se sont saisis du thème du génocide rwandais et de la migration africaine respectivement. Les deux sont des écrivains talentueux. Parions que leurs romans ne passeront pas inaperçus.
Rfi