Des universitaires, proches et anciens collaborateurs, entre autres, ont mis en exergue la vision du développement que prônait l’ancien président du Conseil du gouvernent sénégalais de 1957 à 1962, samedi, à la librairie Harmatan, à l’occasion de la cérémonie de dédicace du livre Sur les traces de Ma­madou Dia : les enjeux de la Fondation Mamadou Dia pour l’économie humaine.

Cet ouvrage a été publié par la Fondation Mamadou Dia, sous la direction de Moustapha Nias­se, Roland Collin et Pape Sène.

Moustapha Niasse, ancien président de l’Assemblée nationale du Sénégal, est également ancien collaborateur de Mamadou Dia. Roland Colin, auteur d’une biographie sur Mamadou Dia, se prévaut également de ses liens avec Léopold Sédar Senghor, premier Président du Sénégal, qui fut son professeur à l’Ecole nationale de la France d’Outre-mer.

L’ancien président de l’Assemblée nationale, Mousta­pha Niasse, a estimé que la pensée de l’ancien président du Conseil devrait être enseignée dans les écoles et universités pour permettre aux jeunes de mieux connaitre ce «grand homme d’Etat qui a beaucoup travaillé» pour le Sénégal.

M. Niasse a rappelé le parcours de Mamadou Dia et sa vision politique. «Mamadou Dia disait que le développement commence par les paysans. C’est ce qu’il appelait le développement par les communautés de base», a déclaré Moustapha Niasse, vice-président de la Fondation Mamadou Dia.

Roland Colin revendique une «double proximité» avec Mamadou Dia et Léopold Senghor dont les antagonismes politiques et la rivalité à la tête de l’Etat ont conduit à la crise politique de 1962 au Sénégal.

Les «évènements de 1962» font référence à une crise institutionnelle sur fond de divergences politiques liées notamment à des visions contraires de la décolonisation.

Mamadou Dia était partisan d’une rupture avec la France, contrairement à Senghor, resté jusqu’au bout attaché à l’ancien colonisateur.

Des visions opposées qui ont conduit à une crise de régime et à la rupture de l’amitié liant les deux hommes, qui entretenaient des relations profondes nées de combats politiques qu’ils ont menés après 1945 et jusqu’à l’indépendance.
Mamadou Dia et quatre de ses ministres, accusés de tentative de coup d’Etat, sont arrêtés et condamnés à de lourdes peines. Ils seront longtemps détenus dans un centre spécial de détention à Kédougou, dans le Sud-est du Sénégal.
Une médiation entreprise par Roland Colin a facilité la libération de Dia et de ses compagnons (Valdiodio Ndiaye, Ibrahima Sar, Joseph Mbaye et Alioune Tall) en 1974.

Selon Moustapha Niasse, la mise sur pied de la Fondation Mamadou Dia pour l’économie humaine constitue «un acte de nature humaine pour perpétuer le legs d’une personnalité multidimensionnelle».

«Au-delà de l’homme d’Etat qu’il fut, il faut toujours voir le soufi derrière», a-t-il dit au sujet de Mamadou Dia, un homme qui a, selon lui, «toujours allié rigueur et morale» dans tout ce qu’il entreprenait.

Il était revenu, avec force anecdotes, sur le séjour de l’ancien président du Conseil à Kédougou, que l’intéressé considérait comme «une retraite spirituelle et non comme de la pénitence».

Le choix porté sur l’Ecole supérieure d’économie appliquée (Essea, ex-Enea) pour abriter cette Assemblée générale constitutive représentait à ses yeux un symbole important, d’autant que cet établissement va également servir de siège à la Fondation Mamadou Dia pour l’économie humaine.

Moustapha Niasse avait rappelé que l’Enea est une création de Mamadou Dia visant à donner corps au «socialisme autogestionnaire, à l’animation rurale et à l’éducation populaire» dont il était le chantre.

Selon l’ancien ministre des Affaires étrangères, c’est Mamadou Dia qui, en 1962, avait demandé au ministre français de la Coopération de l’époque, de l’aider à créer au Sénégal un établissement de formation de haut niveau pour les cadres du développement sénégalais. «L’expérience a prouvé qu’il était souvent désastreux d’envoyer à l’extérieur des cadres coopératifs en formation, du fait qu’ils se trouvent absolument coupés des réalités paysannes africaines, les mouvements coopératifs européens n’offrant qu’une lointaine analogie, dans la plupart des aspects, avec la coopération africaine», écrivait-il alors dans une correspondance adressée au ministre français.

Instituteur de formation, Mamadou Dia a été secrétaire général du Bloc démocratique sénégalais (BDS), ancêtre de l’actuel Parti socialiste, pendant 13 ans.

De 1949 à 1955, Dia a été Sénateur français, avant de siéger au Palais Bourbon (Paris) en tant que député du Sénégal de 1955 à 1956.

Il a également occupé les fonctions de maire de la commune de Diourbel, avant de devenir vice-président, puis président du Conseil du gouvernement.
En décembre 1962, en raison de profondes divergences l’opposant au Président Léopold Sédar Senghor, qui l’accusait de fomenter un coup d’Etat, il est arrêté et condamné à la perpétuité en 1963.

Gracié en mars 1974 puis libéré, il est amnistié en avril 1976, un mois avant le rétablissement du multipartisme au Sénégal.

Il n’a malgré tout gardé aucune rancune à l’égard de Léo­pold Sédar Senghor, al­truis­te au point de prier pour le rétablissement de Senghor, lorsque ce dernier était tombé malade.

Dans un film documentaire projeté lors de la cérémonie, Moustapha Niasse a témoigné que «Senghor et Dia étaient deux figures qui se complétaient». Senghor incarnait la Nation, dit-il, Mamadou Dia, l’Etat.

Mamadou Dia est décédé le 25 janvier 2009. Il est resté, pour la postérité, comme le chantre d’une «vision socialiste du développement» inspirée en priorité par les réalités locales.
Aps