Ababacar Fall retrace «L’Histoire politique et électorale du Sénégal» sur 247 pages, paru à Abis éditions. De cette séquence de 1960 à 2020, l’auteur constate un «éternel recommencement» dans les faits et intrigues politiques, le fonctionnement et l’évolution de la démocratie. Le secrétaire général du Gradec a vécu ce système politique en tant que militant de la Gauche. Il l’observe depuis des années en tant que membre de la société civile. Cet ouvrage est un vade-mecum pour «ceux qui, acteurs comme citoyens, cherchent à connaître un peu la trajectoire politique et électorale du Sénégal», pour reprendre le préfacier Abou El Mazide Ndiaye, président du Gradec. Le Quotidien a choisi un extrait plus qu’actuel : le financement des partis politiques.De la nécessité de moderniser le système partisan
«Comme on l’a vu plutôt, la démocratie représentative est en crise au Sénégal ; en atteste le nombre de partis politiques qui a dépassé la barre des trois cents formatons enregistrées dans les livres du ministère de l’Intérieur, partis dont les lignes idéologiques ou doctrinales restent vagues et très confuses et non adossées à des programmes clairs et cohérents. La crise des partis politiques est devenue systémique et endémique. Systémique parce que cette crise trouve son origine dans le mode de fonctionnement des partis qui apparaissent plutôt comme un prolongement de l’état patrimonial, car le parti a tendance à d’identifier à un homme qui gère le parti comme sa chose, sa propriété et qui en exclut qui il veut dès lors que l’on manifeste des velléités de contestation des décisions du chef où qu’on est soupçonné de lorgner le fauteuil du chef ; ce qui pose le problème de la démocratie interne dans les partis politiques. Cette situation a toujours posé la difficile cohabitation entre le leader et son numéro deux ou l’existence de courants reconnus et acceptés. Naturellement, cette situation a favorisé la naissance et la multiplication des partis politiques à cause de l’absence de démocratie interne. Endémique parce que le phénomène de création de partis politiques est devenu récurrent et préoccupant à tel point que des solutions sont envisagées ici et là dans le cadre d’un débat national autour de la rationalisation des partis politiques. A cette crise interne, s’adosse également une crise externe qui se manifeste par l’absence d’offre programmatique claire et cohérente capable de mobiliser les populations autour d’un idéal et d’une vision axée sur la transformation qualitative des conditions de vie des Sénégalais, mais surtout une dilution de l’activité politique dans le cadre de coalitions où la seule motivation reste l’accès aux ressources financières par le biais de la participation au gouvernement ou l’octroi de subsides, voire de position de rente de la part du parti au pouvoir. Pour d’autres, la faible représentativité favorise la participation à des coalitions perçues comme refuge sous le parapluie du principal parti d’opposition pour espérer bénéficier d’un poste de députés ou de conseillers dans les assemblées locales.
Dans une communication d’une grande valeur scientifique présentée à l’occasion d’un panel organisé par le Gradec sur la nationalisation des partis politiques, le Docteur Mamadou Moustapha Thioune, ancien directeur de Libertés publiques au ministère de l’Intérieur concluait en ces termes : «La problématique de la rationalisation de l’espace politique s’installe progressivement dans le débat public national. En effet, il y a, actuellement 300 partis politiques officiellement reconnus. Mais, il est évident que ces formations politiques, ne sauraient présenter aux citoyens sénégalais autant de projets de société cohérents et distincts. Dès lors, leur rationalisation démocratique devient nécessaire afin de permettre une meilleure lisibilité de l’arène politique. Il ne s’agira pas d’instaurer une démocratie sans partis politiques comme ce fut le cas avec la démocratie en mouvement en Ouganda sous Yoweri Muséveni, car comme l’affirme avec raison Hans Kelsen, ‘’la démocratie interne repose entièrement sur les partis politiques, dont l’importance est d’autant plus grande que le principe démocratique reçoit une plus large application’’. Il s’agira plutôt d’instaurer un cadre juridique permettant d’avoir des partis politiques viables et compétitifs. En définitive, les partis politiques sont pour la démocratie ce que le sel est pour la cuisson : ils sont nécessaires, mais il faut en éviter l’excès. Le débat sur la rationalisation des partis politiques n’est pas seulement celui des politiciens ou des politiques, mais un débat de société qui interpelle, au-delà des considérations partisanes, le citoyen tout court.»
Le financement des partis politiques, la rationalisation des dépenses de campagne et l’assainissement des pratiques
Parler d’un tel sujet n’est pas une chose très aisée dans le contexte de notre pays où la première chose qui frappe c’est l’absence d’une législation, voire d’une règlementation sur la question. Ainsi nous n’avons pu que nous inspirer des pratiques en cours au niveau des partis politiques en nous référant à notre propre expérience politique des années passées mais également en convoquant les pratiques en cours dans d’autres pays qui, sur la question, ont mis en place des législations sur le financement public des partis qui tentent d’encadrer les dépenses de campagnes électorales qui ne sont qu’un aspect du financement public global des partis politiques. Au Sénégal, la première observation que l’on note en traitant un tel sujet, c’est d’abord l’absence d’une législation en matière de financement public des partis politiques. La seule disposition légale qui s’applique aux partis et qui aborde de façon marginale la question du financement, c’est la menace de dissolution à l’endroit de tout parti au cas où celui-ci recevrait directement ou indirectement des subsides de l’étranger ou d’étrangers établis au Sénégal (Loi 89-36 du 12 octobre 1989) qui modifie la loi 81-17 du 6 mao 1981 sur les partis politiques. Des pratiques existent cependant qu’il est difficile d’établir ou de cerner. En faisant un état des lieux en matière de dépenses électorales ou de fonctionnement des partis politiques, on éprouve beaucoup de difficultés à disposer de statistiques sur les dépenses de campagne des partis politiques ou candidats ou les charges de fonctionnement. Il y’a une omerta sur tout ce qui concerne les fonds de campagne, leurs répartition et les dépenses de fonctionnement des partis politiques. L’origine des fonds de campagne et leur gestion relève du top secret. Cependant, tout ceci ne constitue que l’arbre qui cache la forêt car, dans la réalité, les partis ou candidats mettent en œuvre des mécanismes non visibles qui leur permettent de financer leur campagne électorale ou leur parti ou leur mouvement grâce à des réseaux aussi bien internes qu’externes. Il peut s’agir dans ces cas soit de contributions de cadres du parti, nantis, occupant des positions institutionnelles importantes, d’hommes d’affaires qui gravitent autour du candidat ou du parti ou même de sociétés ou agences quand il s’agit d’un parti ou candidat qui est aux affaires.
«Mécanismes de financement occultes»
Au plan externe, des financements indirects peuvent provenir d’investisseurs intéressés par des perspectives de développer des affaires florissantes et d’obtenir le retour d’ascenseur si le parti ou candidat sur lequel ils ont misé gagne les élections. Tous ces mécanismes de financement sont occultes et ne laissent pas souvent de traces connues du commun des citoyens. La seule réalité visible, c’est la circulation de l’argent durant les périodes de campagnes électorales à tel point qu’on assiste de plus en plus à l’inflation des dépenses de campagnes. Ces moyens financiers sont constitués de la location des panneaux publicitaires géants sur l’ensemble du territoire, des posters, des affiches en couleur, des supports de communications (teeshirts, polos, casquettes, tissus imprimés et véhicules neufs achetés ou en location). Il s’y ajoute des dépenses en communication sur les réseaux sociaux, les publireportages, l’animation des meetings, l’achat des votes, etc. Sur la base d’investigations menées auprès de certains responsables de partis, nous pouvons sans risque de nous tromper évaluer ces dépenses de campagnes entre cent millions pour les moins bien lotis et cinq milliards de francs CFA sans exagération pour les plus riches. A titre d’exemple, la coalition Bby lors de la dernière Présidentielle a alloué à chaque section communale la somme de six millions soit une somme d’environ trois milliards et demi (données publies par les organes de presse). Si on y ajoute les dizaines de conteneurs de teeshirts, casquette et tissus commandés en Chine en plus du parc colossal de véhicules, la somme de cinq milliards peut être allègrement franchie. Ces chiffres ne tiennent pas compte des sommes injectées dans la campagne par les responsables de premier plan qui occupent des positions dans l’appareil d’Etat. A cela, il faudra également ajouter l’utilisation des moyens de l’Etat interdite par ailleurs par le Code électoral. Du côté des candidats de l’opposition également, on a noté d’énormes dépenses consacrées à la location de véhicules et aux supports de communication. Mais cela a été sans commune mesure avec les moyens déployés par la coalition au pouvoir. Il en a toujours été ainsi sous les différents régimes qui se sont succédé. Comme nous pouvons le voir à travers ces exemples, il y a là manifestement une rupture d’égalité entre candidats ; c’est comme qui dirait un combat de David contre Goliath. Avec l’introduction du parrainage citoyen dans notre dispositif électoral, on assiste de fait à une double campagne : campagne pour la collecte des signatures et campagne pour la collecte des suffrages. Dans tous les cas, cela nécessite l’injection de beaucoup d’argent qu’il est difficile de quantifier tant cela est entouré de l’opacité la plus totale. Cette situation requiert donc, si nous voulons moraliser la vie politique et assainir certaines pratiques qui sont aux antipodes d’une bonne gouvernance de nos élections en ce qu’elle favorise la corruption et l’iniquité entre les candidats, des mesures d’assainissement. Il nous faudra aller vers un encadrement des dépenses de campagnes en les plafonnant et en mettant en place des mécanismes de subvention directe aux candidats ou partis en compétition comme premier pas vers le financement public des partis politiques qui est plus englobant ; mais qui nécessite d’abord et avant tout la rationalisation des partis et la définition de critères d’accès au financement public ; le financement des campagnes électorales étant un aspect du financement politique.»