Malgré une hausse de la couverture contraceptive au Sénégal, au Mali et en Guinée, un vent contraire menace les politiques de santé publique : la discontinuité. Réunis à Lomé pour le Partenariat de Ouagadougou (Rapo 25), les experts tirent la sonnette d’alarme. Distribuer des contraceptifs ne suffit plus ; sans suivi médical et social, l’investissement reste stérile face à des taux d’abandon qui frôlent parfois les 60%.

Par Alioune Badara CISS – L’abandon : le nouveau fléau des politiques de santé. En Guinée, les données sont frappantes : près de 60% des femmes interrompent leur parcours contraceptif. Si le Mali et le Sénégal affichent des hausses de prévalence, le phénomène de l’abandon fragilise l’objectif de réduction de la mortalité maternelle à l’horizon 2030. Le diagnostic des experts est sans appel : le frein n’est plus seulement financier ou géographique, il est désormais physiologique et informationnel.

Le corps et l’information : premier point de rupture
La principale cause d’arrêt réside dans la gestion des effets secondaires. Faute de préparation, les femmes subissent les réactions de leur corps et renoncent. «C’est la première cause d’arrêt. Cela nécessite une communication pour que la femme comprenne qu’ils peuvent être gérés», souligne le Dr Ahmadou Bouya Ndao (Dsme Sénégal).

Au Mali, le Dr Mamadou Berthé (Insp) note qu’une femme sur dix abandonne l’implant à cause des effets indésirables, tandis que d’autres rejettent les injectables ou la con­trainte quotidienne de la pilule.

Le «veto du mari» : le verrou social
Au-delà du médical, le facteur socioculturel demeure un obstacle majeur. Le refus du conjoint provoque souvent des ruptures de parcours brutales. Pour lever ce verrou, le Sénégal déploie des stratégies ciblées comme l’école des maris, qui est une approche pour impliquer les hommes dans la santé du couple. Il y a aussi l’argumentaire religieux, notamment comment utiliser la voix des leaders d’opinion pour légitimer la planification familiale. «Nous avons élaboré un argumentaire des religieux pour impliquer les maris à travers «l’école des maris», afin qu’ils deviennent des parties prenantes de la santé de leur femme», rappelle Dr Amadou Diallo, enseignant-chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.

Vers une «logique de suivi» plutôt que de prescription
Le passage à l’échelle se heurte également au manque de personnel qualifié pour les méthodes de longue durée (stérilet, implant) dans les zones rurales. Pour le Dr Pierre Fenano, épidémiologiste guinéen, le changement de paradigme est urgent : «Aujourd’hui, le problème n’est plus l’accès, mais le suivi. Offrir des méthodes sans accompagnement est un investissement sans rendement.»

La souveraineté budgétaire en question
Si le Mali a progressé (de 16, 4% en 2018 à 20, 9% en 2024), la pérennité de ces chiffres inquiète. La dépendance aux partenaires internationaux reste forte, surtout quand les budgets nationaux sont aspirés par des crises sécuritaires. Ce qui remet en cause l’objectif 2030 pour atteindre moins de 70 décès maternels pour 100 000 naissances. Un défi qui exige d’emmener les méthodes au «dernier kilomètre», mais surtout de garantir que chaque femme soit accompagnée bien après avoir quitté le centre de santé.
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