La République populaire de Chine enregistre depuis 30 ans un franc succès dans la lutte contre la pauvreté. D’après les statistiques officielles chinoises, le taux de pauvreté au niveau national est tombé, entre 2012 et 2017, de 10,2% à 3,1%.
Selon la Banque mondiale (1) : «Le taux de pauvreté extrême en Chine a considérablement chuté, passant de 88,3% en 1981 à 1,9% en 2013, faisant sortir plus de 850 millions de Chinois de la pauvreté.» La contribution de la Chine à la réduction mondiale de la pauvreté dépasse ainsi les 70%.
Ces hautes performances résultent de stratégies protéiformes mises en place par le gouvernement chinois.
D’abord la promotion de la croissance économique (9,4% en moyenne entre 2000 et 2016) fortement pro-pauvres (2) a été un déterminant clé de l’éradication de la pauvreté. Selon les calculs de la Banque mondiale (3), «la croissance chinoise, entre 1981 et 2004, a entraîné une baisse de la pauvreté d’un niveau supérieur de 50% aux résultats du Brésil et bien plus important encore qu’en Inde». Selon les mêmes données, «l’effet sur la réduction de la pauvreté de la croissance de l’agriculture en Chine est quatre fois plus important que celui du développement du secteur manufacturier ou des services». En Chine, l’agriculture a donc été le premier moteur de réduction de la pauvreté (qui est d’abord rurale).
Le deuxième instrument de lutte contre la pauvreté en Chine concerne la mise en œuvre de politiques sociales dédiées. La qualité de l‘assistance ciblée aux personnes démunies et d’éradication précise de la pauvreté a ainsi fortement contribué à accélérer le processus d’éradication de la pauvreté. La Chine a pu notamment assurer une couverture totale des régions et des personnes pauvres par l’assistance et la sécurité sociale.
De fait, la Chine est en phase avec plusieurs principes considérés comme des bonnes pratiques en matière de lutte contre la pauvreté (4).
Principe 1 : La stratégie de lutte contre la pauvreté ne pourra réussir que si elle est accompagnée d’une ferme volonté politique et d’un bon leadership.
Application en Chine :
En Chine, c’est le chef de l’Etat Xi Jinping lui-même qui est le champion de la lutte contre la pauvreté
Fin 2015, le Comité central du parti et le Conseil des affaires d’Etat ont lancé une offensive décisive contre la pauvreté, pleinement intégrée dans le 13e Plan quinquennal (2016-2020)
Toutes les échelles administratives se sont engagées à faire de la lutte contre la pauvreté leur affaire et à se solidariser avec les districts et les villages les plus démunis, à travers des transferts monétaires et des détachements de cadres.
Principe 2 : Le groupe-cible doit être bien appréhendé, à travers un véritable recensement des pauvres dans des registres fiables, au niveau de chaque région, district, ville et village. Le groupe-cible doit être segmenté (petits producteurs ruraux, pêcheurs, habitants des bidonvilles urbains, personnes âgées, femmes, handicapés, minorités ethniques, etc.) de façon à concevoir une stratégie appropriée pour chaque segment des pauvres.
Application en Chine :
La gestion de la pauvreté en Chine se distingue par la précision dans l’identification des pauvres, à travers un système national statistique de suivi des pauvres, couvrant les aspects multidimensionnels de la pauvreté : revenus, logement, éducation, santé, accès aux marchés, inégalités de revenus et de genres, protection sociale, etc.
En Chine, il existe un dossier pour chaque village pauvre et pour chaque ménage pauvre qui exprime lui-même la demande d’y figurer. Des vérifications sont ensuite faites avant la publication officielle de la liste des autres.
Les résultats des enquêtes sont analysés pour comprendre les causes de la pauvreté et diffusés à toutes les structures publiques qui les intègrent dans leurs programmes d’action. Ils servent également pour la planification globale des interventions au niveau de l’Etat chinois.
Les programmes mis en place sont effectués avec la participation des pauvres bénéficiaires.
Principe 3 : Les zones urbaines et rurales doivent être approchées par des stratégies différentes, leur définissant des indices spécifiques de pauvreté (seuil de pauvreté, etc.) et donnant à chacune d’elles un «package» approprié.
Application en Chine :
En 2015, le seuil de la pauvreté était fixé à 670 Rmb (soit environ 60 mille F Cfa par mois) pour les zones rurales et à 710 Rmb (soit 64 mille F Cfa par mois) pour les zones urbaines.
Principe 4 : Un «package» doit être donné à chaque pauvre, plutôt que des programmes partiels. Les ménages pauvres pourront ainsi bénéficier concomitamment de crédit, de formation, d’assistance technique et technologique, d’infrastructures de désenclavement et de mise à niveau, etc.
Application en Chine :
La stratégie chinoise de lutte contre la pauvreté se fonde d’abord sur l’augmentation de la productivité et des revenus des pauvres (en leur permettant de conserver davantage de parts sur le profit généré dans la chaîne de valeurs ajoutées). L’action mise en place intègre ainsi toutes les dimensions allant du développement des infrastructures au renforcement de capacités et à l’octroi d’opportunités de financement par les institutions financières locales, au soutien au développement d’industries locales spécifiques.
Principe 5 : Les différents départements, communautés rurales, villes (ou quartiers dans une ville) du pays doivent être classés dans trois groupes, selon leur niveau de développement : développé, en voie de développement, sous-développé. Les zones les plus démunies doivent recevoir des programmes intégrés de développement visant à améliorer leurs conditions.
Application en Chine :
Les données statistiques chinoises permettent d’identifier des districts dits «pauvres» qui pourront ainsi bénéficier de programmes d’appui spécifiques.
Fin 2015, la chine comptait 14 zones extrêmement pauvres contiguës, 832 districts pauvres, 128 mille villages pauvres, et 55,75 millions de personnes démunies.
Les districts ayant réussi sont déclassés au fur et à mesure (s’ils satisfont le critère d’avoir un faible nombre de la population qui vit sous le seuil de la pauvreté : moins de 2% au Centre de la Chine, et moins de 3% à l’Ouest).
Principe 6 : Des moyens financiers conséquents doivent être mobilisés par les pouvoirs publics pour lutter contre la pauvreté.
Application en Chine :
Un programme de 400 milliards de yuans (soit près de 64 milliards de dollars) sera mobilisée, d’ici 2020, par la Banque nationale de développement chinoise (championne nationale en matière de lutte contre la pauvreté) pour financer des projets intégrés d’infrastructures, de relogement, de développement d’industries locales et d’éducation dans les régions pauvres.
Principe 7 : Le secteur privé doit être invité à joindre ses efforts dans la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, en créant des fondations ou en contribuant en nature et ressources financières aux programmes destinés aux pauvres. Ces initiatives devraient être rendues obligatoires pour les entreprises publiques.
Application en Chine :
Les entreprises chinoises qui ont réussi soutiennent les initiatives entrepreneuriales des pauvres (au niveau agricole ou micro-industriel), à travers la formation, le renforcement technologique et l’offre de services pour la commercialisation des produits. Le Patronat chinois mobilise ses membres à cet effet, soit 46 mille 200 entreprises en fin 2017, pour des actions bénéficiant à 51 mille 200 villages.
Principe 8 : Les institutions publiques doivent, autant que possible, se concentrer sur le contrôle général des programmes et sous-traiter leur exécution aux organisations de base.
Application en Chine :
En Chine, 70% des programmes de lutte contre la pauvreté sont exécutés au niveau local par le biais de contrats de performance
L’utilisation des fonds est également évaluée et supervisée par la communauté bénéficiaire et par des experts mobilisés à cet effet.
Pour l’avenir, la Chine devra néanmoins prendre en charge deux défis.
Défi n° 1 : Eradiquer totalement la pauvreté d’ici 2020 et bâtir une Société modérément prospère (objectif du Président chinois) :
La lutte contre la pauvreté constitue ainsi l’une des «trois batailles cruciales» de la Chine, concomitamment avec la lutte contre la pollution et les risques majeurs
L’objectif «pauvreté zéro» demeure ambitieux, car les pauvres actuels sont localisés dans des régions difficiles d’accès de l’Ouest et du Centre de la Chine
Il faudra également éviter que les personnes sorties de la pauvreté y retournent à cause de chocs divers.
Stratégie qui sera mise en œuvre pour relever ce défi :
Sortir de la pauvreté, par le biais du soutien industriel, 30 millions de personnes démunies ayant la capacité professionnelle ou de travail
Sortir de la pauvreté 10 millions de personnes pauvres par le biais du transfert de la main-d’œuvre des zones les plus avancées vers les zones les plus démunies
Sortir de la pauvreté, par le biais du déplacement, 10 millions de personnes pauvres souffrant de conditions naturelles hostiles
Sortir de la pauvreté, par la couverture totale des minimas sociaux, le restant des personnes démunies.
Chaque année, 10 millions de personnes devront ainsi sortir de la pauvreté. (5)
Défi n° 2 : Réduire les inégalités :
Les inégalités sont plus prononcées en Chine (coefficient de Gini de 0.482 en moyenne sur la période 2008-2015) que dans l’Union européenne (coefficient de Gini de 0,305), même si la situation s’améliore légèrement en Chine depuis 2009 (6).
Solution choisie par la Chine pour réduire les inégalités :
augmentation des niveaux de salaires
amélioration de la protection sociale
Amélioration de la productivité des paysans pauvres
Promotion de l’entrepreneuriat chez les personnes démunies à travers  les industries spécifiques
Lutte contre la corruption.
En définitive, deux principaux enseignements peuvent être tirés de l’expérience chinoise de lutte contre la pauvreté.
Premièrement, il importe de poursuivre activement les échanges d’expériences entre l’Afrique et la Chine sur les stratégies de lutte contre la pauvreté (redynamiser les sessions de formation du Centre international de réduction de la pauvreté basé en Chine, organiser des voyages d’études de cadres africains dans les provinces chinoises, tenir des séminaires et effectuer des publications communes entre experts africains et chinois, développer des programmes de recherche sur la pauvreté au sein des universités africaines et chinoises, etc.).
En second lieu, il importe d’orienter l’action de la Chine vers les initiatives qui permettent d’accélérer la réduction de la pauvreté en Afrique, en répliquant les actions menées en faveur des régions chinoises de l’Ouest et du Centre :
En faire une composante majeure des financements attribués par la Chine aux pays africains
Passer de l’aide ad hoc, sur demande, à un programme de partenariat à moyen terme décliné selon un cadre logique.
Références :
Banque Mondiale, «Promouvoir un développement plus inclusif et plus durable pour la Chine», Rapport d’analyse systématique par pays, Février 2018.
La croissance économique est dite pro-pauvre si elle réduit fortement la pauvreté et bénéficie plus aux pauvres qu’aux autres catégories de la population.
Discours du Vice-Président Afrique de la Banque Mondiale M. Makhtar Diop, « La croissance chinoise, une source d’enseignements pour l’Afrique », Beijing, janvier 2015.
https://www.dakaractu.com/Lutte-contre-la-pauvrete%C2%A0-changer-de-paradigme-Par-Moubarack-LO_a103697.html
En 2017, la Chine comptait environ 40 millions de pauvres. L’objectif est de les sortir tous de la pauvreté en 2020, sans générer de nouveaux pauvres.
Calculs effectués par Jin Han, Qingxia Zhao, Mengnan Zhang (2016) “China’s income inequality in the global context”, Perspectives in Science, Volume 7, March 2016, Pages 24-29.
Moubarack LO
Directeur général du Bureau de prospective économique du Sénégal