Je suis né à Kaolack, dans la région du Sine-Saloum, le grenier arachidier du Sénégal, mon pays chéri à qui un poète donna l’indépendance dans la paix, en «cinq minutes d’entretien avec le Général De Gaulle», comme Senghor nous le rapporte. Toujours rappeler les faits. L’histoire ne retient que ce que chacun mérite. Le Général De Gaulle aimait chambrer Senghor, en lui disant dans un grand éclat de rire de son entourage : «Avec votre Négritude, vous finirez un jour par entrer à l’Académie française.»

J’aimais et pratiquais le football et le handball. Je suis né le 26 mars 1951. Les 1ères coupes du monde pour moi et ma génération, c’était Pelé. Le roi Pelé : Edson Arantes do Nascimento !

Collé à nos transistors à une époque où la télévision n’existait pas encore, nous écoutions, le cœur battant, Thierry Roland, reporter sportif français, faire son direct des matchs de Coupe du monde. Ceux du Brésil et de l’Allemagne nous scotchaient à la radio. C’était également l’époque de la montée de reporters sportifs sénégalais talentueux et de génie comme Pathé Fall Dièye, Magib Sène, et un peu plus tard le surdoué Abdoulaye Diaw. Je n’ai pas connu Alassane Ndiaye Allou, le reporter sportif magicien. J’entendais parler de lui et beaucoup comme un extraterrestre, tellement son talent était déroutant. Mais Pathé Fall Dièye comme Magib Sène l’étaient également. A leur manière pour ceux qui les ont connus au cœur de l’action. Ils m’ont fait aimer le football, très jeune !
J’étais un petit numéro 10 policé, comme le dit mon frère et ami d’enfance, le non moins redoutable attaquant Mamadou Lamine Loum, devenu plus tard Premier ministre du Sénégal sous Abdou Diouf. Un Pm et homme d’Etat inoubliable, humble, d’une compétence telle qu’elle relevait presque de la prestidigitation ! Le football a toujours été dans mes veines. Pelé, Vava, Garrincha, le Kaiser Beckenbauer, Gerd Müller le tueur des surfaces, Cruyff l’insolent technicien et tacticien, Jean Tigana, Dominique Rocheteau, Platini, Papin. Il y a eu aussi les Italiens Riva, Boninsegna, Mazzola, Facchetti, Albertosi. Une époque de rêve presque inégalable ! Pourquoi je ne me souviens pas de Raymond Kopaszewski dit Raymond Kopa, le Franco-Polonais, considéré comme le meilleur joueur français de l’histoire du football ? Quand il a obtenu son ballon d’or en 1958, j’avais sept ans !

Mon amour pour Pelé m’a toujours fait refuser de croire que Maradona fut le meilleur. Je n’ai «vu» Pelé jouer que des années plus tard, à la télévision, mais j’ai  «entendu» ses matchs en direct, à la radio, puisque la télévision n’existait pas encore. Par contre, J’ai vu de mes yeux Maradona jouer en direct. Les Brésiliens sont différents, magiques. Ils ne jouent pas. Ils dansent, et Pelé avait la «samba» dans les pieds. Un dribleur et un technicien prestidigitateur. Sa touche de balle, ses courses, sa vision, ses passes, ses dribles, ses buts relevaient d’une chorégraphie, d’un ballet hors du temps ! Je le garde comme meilleur numéro 10 de l’histoire du football ! Regardez Ronaldinho ou Neymar jouer, ce n’est pas regarder Messi ou Cristiano Ronaldo jouer. Ronaldo est un pur athlète, d’abord. Messi est inoubliable, infiniment doué, atypique, génial, mais il n’est pas Brésilien, il n’est pas Pelé ! La touche des joueurs du pays de la samba est unique, inimitable, irréelle ! Mais ils n’ont pas l’efficacité et la rigueur étouffante des Allemands ! Tant pis !

On arrive à lui : Kylian Mbappé, pour le nommer, j’aime. Avec le talent on fait ce que l’on veut. Avec le génie, ce que l’on ne pouvait imaginer faire ! Mbappé est dans ce registre, ce cercle de feu ! Un jeune garçon émerveillé et émerveillant ! Il aime le ballon, il va vite, très vite, comme une fusée, au point que l’on se demande comment est-il possible de conduire et de contrôler un ballon à cette vitesse supersonique ! Hélas, il ne manque à Mbappé que la danse, comme le Brésilien Pelé ! D’ailleurs, ni Thierry Henry, un pur joyau technique, français d’origine antillaise, n’avait la «samba» de Pelé. Un seul l’a eu sans l’avoir : Zidane, né à Marseille et d’origine arabe ! Zidane signifie en arabe «l’emblème de la religion !» Mais Mbappé, c’est Mbappé ! Il nous a fait encore aimer le football ! Sa dernière Coupe du monde 2022, et son match final contre l’Argentine de Messi, était du pur chocolat. Une très haute performance personnelle au sein de l’Equipe de France qui aurait dû lui valoir de rentrer à Paris avec la Coupe du monde. Moi, je la lui ai donnée. Pas à Messi. Pas à l’Argentine soudée, décidée, bagarreuse. L’Equipe de France a manqué de peu l’histoire. Peut-être que Le Seigneur avait un béguin pour Messi, pour l’Argentine.

Le Psg, pour citer son club ahurissant et maudit, n’a pas hélas remporté une seule finale de Ligue des Champions avec Mbappé. Le Psg remportera un jour cette coupe tant rêvée et convoitée, quand il aura des joueurs moins célèbres et célébrés. Si Messi, Neymar, Mbappé ne lui ont pas fait gagner la Ligue des Champions, il ne la gagnera qu’avec une équipe autrement composée, plus efficace parce que plus humble, plus homogène, moins individuelle, vaniteuse, moins lustrée, moins Paris-Paris ! Comment peut-on ne pas gagner la Ligue des Champions avec Mbappé, Neymar, Messi ? Cela prouve et démontre toute l’alchimie du football.

Pour mon cher pays le Sénégal, mon équipe de cœur était la Jeanne d’Arc de Dakar dans les années 70-80. Mais j’avais un faible pour le Jaraaf. Je quittais Kaolack pour Dakar, à partir de la gare routière, pour aller assister à des matchs du championnat de 1ère Division et regagnais Kaolack dans la nuit. Des joueurs que j’aimais : Badou Gaye, Amadou Diop dit «Boy Bandit», Thierno Youm, Boubacar Sarr dit Locotte, Ibrahima Ba dit Eusobio, Mbaye Fall, Baba Touré, Alpha Touré, Louis Camara, Séga Sakho, Blek Ciss du Mbossé de Kaolack, Yamagor Seck, Diakhou Gaye, et d’autres et d’autres si talentueux dont les noms se sont perdus dans le puits de ma mémoire !

Sur un autre registre, j’ai toujours souhaité et demandé que l’on enlève le nom de Senghor du stade qui porte son nom à Dakar pour le donner à Mawade Wade. C’est ridicule de faire porter des noms de chefs d’Etat à des stades de football ! A défaut, le Stade de Diamniado devait porter le nom de Mawade Wade ou d’une autre figure du football sénégalais ! Ce pays a souvent une mémoire trop courte et cela fait mal ! Mawade, c’était Mawade ! Il n’était pas seulement un entraîneur, il était une voix, et quelle voix, une autorité, un rebelle, un redoutable théoricien du football, un dialecticien, un accoucheur et un «dérangeur».

Par ailleurs, tiens, pourquoi les reporters d’aujourd’hui n’ont pas l’aura de leurs aînés des années 70-80 ? Qu’est-ce qui a manqué ? Qu’est-ce qui a changé ? Tout est devenu si insipide, monotone, sans éclat ! Il manque à la fois de grandes gueules, du style, des voix, de l’audace, bref des artistes à l’art consommé du reportage sportif ! A vrai dire, en 2024, aucun nom n’émerge comme il se doit et pourtant ceux qui officient ont l’amour du foot et ont, tant bien que mal, cultivé sa culture ! C’est le minimum requis ! Peut-être qu’il faut laisser le temps faire pour débusquer des noms qui chantent comme hier les noms de Allou, Pathé Fall Dièye, Magib Sène, Abdoulaye Diaw, Thierry Roland en France et même Habib Bèye ? notre compatriote sur Canal !

De la même manière, à la télévision, dans un autre registre et compartiment, des voix d’or ou de toucan nous manquent comme jadis Djadji Touré, la totale. Sada Kane pour l’élégance et le charme. Elisabeth Ndiaye, une voix, une classe, une assurance, un attrait. Sokhna Dieng la légende, en un mot ! C’était hier. Sur leurs pas, aujourd’hui, doués, stylés, travailleurs et déjà bien installés dans leur dur et cruel métier, mais bravant l’instabilité et la durée : à la Tfm Chérif Dia si insolemment brillant, Sara Cissé, douée, originale, stylée, studieuse et si charismatique. A la Rts : Mariama Dramé, jeune, pleine d’avenir, déjà si éclatante et si étonnamment talentueuse. Ibrahima Diédhiou à la tâche, sûr, altier, professionnel et créatif. Et puis, arrive un pur joyau de reporter de la Rts, voix sûre et une culture crevant l’écran -ce qui nous manque tant dans ce pays- : Omar Diaw de son nom. Gardez ce trésor ! Tous ceux qui ne sont pas ici cités par ignorance, journalistes et acteurs dévoués et chaînes de télévision attitrées, sont à saluer, à respecter, à bénir.

Le meilleur joueur dans l’histoire du football ? Pelé, bien sûr ! Le plus élégant, le plus classe, le plus charismatique ? Franz Beckenbauer, bien sûr ! Celui dont on retiendra le nom pour toujours ? Lionel Messi, bien sûr ! Celui dont personne n’oubliera le nom et le génie hors norme : Diégo Maradona, bien sûr ! Celui qui résume ce que nous aimons de plus beau au football ? Ronaldinho, bien sûr ! Dans l’histoire du football Sénégalais, qui retenir ? A chaque génération, son miroir, son idole ! Pour la mienne propre, j’ai choisi de 1960 à 2024 -en remerciant Dieu de m’avoir donné de vivre si longtemps-, le nom de Boubacar Sarr dit Locotte et de Jules François Bocandé ! Pour la grâce et la finesse footballistique du premier pour ceux qui l’ont connu ! Pour l’engagement, la conviction, la gagne et la rage du buteur, pour le second.

Et l’inévitable Sadio Mané, me demandera-t-on ? Il restera une très grande étoile dans l’histoire du football sénégalais, africain et mondial, comme joueur et comme modèle d’éducation et d’humilité ! Pour le choix du cœur -à chacun ses choix-, je pense, comme hier et aujourd’hui, aux joueurs attitrés ci-après, qu’importe le palmarès  : Ryad Mahrez de l’Algérie, Mohamed Salah de l’Egypte, George Weah du Liberia, Abedi Pele du Ghana, Roger Milla et Samuel Eto’o du Cameroun, Didier Drogba de la Côte d’Ivoire, El Hadji Diouf de Saint-Louis du Sénégal, Kara Mbodji du Sénégal pour sa rage et son don de soi, Kalidou Koulibaly du Sénégal pour son talent et son intense fibre patriotique, lui qui est né à Saint-Dié-des-Vosges, en France. Ceux qui ne sont pas ici cités ne sont pas à oublier !

Pour ce qui est de l’Equipe nationale du Sénégal qui a joué en ce mois de juin 2024 les phases de qualification de la prochaine Coupe du monde avec le Congo à Dakar et la Mauritanie à Nouakchott, avec Sadio Mané ou sans Sadio Mané, elle peinera à se qualifier. Si d’aventure elle se qualifiait, telle qu’elle se présente aujourd’hui, elle sera loin, très loin du dessert et peinera même à arriver à table pour la première fourchette ! Au travail ! Une nouvelle époque s’ouvre. Ne faisons pas semblant de ne pas voir que l’oasis tarit.
A vos godasses, chers compatriotes !
Juin 2024.
Amadou Lamine Sall
Lauréat des Grands Prix de l’Académie française.