Un journaliste plutôt agréable et correct avec moi en privé ne cesse de jeter sur moi toutes sortes d’insultes et d’insanités quand il est sur les réseaux sociaux, grisé certainement qu’il est par la foule de Twitter, qui adore l’odeur du sang et les accusations graveleuses. Récemment, il se défoulait comme d’habitude sur je ne sais quel forfait du régime et en a profité pour accuser à nouveau les «républicains» (les guillemets sont de lui) dont je ferais partie, jugés complices de tous les travers des gens de Benno bokk yaakaar. Il n’est pas le premier à utiliser ces guillemets fielleux pour jeter en pâture les gens qui disent s’inscrire dans la défense acharnée de la République. Un de nos compatriotes, courtier de la culture, personnage intelligent, sympathique et pondéré jusqu’à ce qu’il décide de militer pour un parti depuis dissous, cernait les mêmes guillemets à l’adjectif républicain pour pointer un doigt accusateur vers ceux qui jugeaient que la République devrait être dans l’action au cœur de la cité la première boussole.

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Loin des gesticulations badines de ces travailleurs du net, rétribués au retweet et au like, il y a un vrai enjeu sur la défense de l’idéal républicain dans notre pays, et ce depuis bien longtemps. Une masse de gens, de tous les bords politiques et de tous les segments de la société, veulent en finir avec la République. Pour ma part, 2000 a constitué un tournant. Les libéraux ont fait sauter toutes les digues de la pratique et des usages en matière de gestion de l’Etat et de préservation de la culture républicaine. C’est ainsi que se sont multipliées les agressions contre la laïcité et contre les pratiques héritées d’un temps ancien et qui jusque-là préservent notre pays du désordre et de relégation de la République au rang de décor vieillot sans grand intérêt.

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Le vivre-ensemble est menacé depuis dans une sorte d’entreprise morbide où dans les chapelles d’ordre politique ou moral le discours pour en finir avec la République n’est plus feutré ni murmuré. Les voix deviennent plus audibles, les manifestations plus virulentes et les sentiments plus expressifs sur un retour en arrière et une désacralisation de ce qui fait de nous un Peuple uni dans la diversité de ses composantes. Les fractures sont réelles dans le bloc social sénégalais, comme dans de nombreux pays qui font face à l’hydre populiste dont la raison d’être est le chaos. Ici nous sommes dans un pays jeune où les allégeances sont diverses et les chemins disparates. Ce qui nous unit et nous préserve de la guerre civile est notre commune allégeance à la République dont la nature laïque permet l’expression de tous les cultes sans entrave mais dans le respect de la neutralité de l’Etat vis-à-vis des clergés.

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Ces dernières années, les partis politiques de l’arc républicain ont été débordés par des groupes populistes, des mouvements sociaux islamistes, des activistes aux méthodes crapuleuses dont certains sont financés par une pléthore de puissances et de lobbies. Tout ce beau monde a un agenda nourri par le complotisme et la méfiance vis-à-vis des institutions républicaines et dont le ticket d’entrée reste la dénonciation de «l’impérialisme français». Ces partis républicains, désireux encore d’exister face à la machine dite de l’antisystème, ont cédé à la surenchère, versent dans l’outrance et ne reculent devant aucun reniement pour obtenir des suffrages. Ce constat est le même pour de nombreux intellectuels et universitaires qui ont également cédé à la démagogie populiste et ne se rendent même plus compte que les termes du débat public sont désormais xénophobes et conservateurs.

S’installe dans le pays un climat nauséeux dans lequel on ne cesse d’indexer l’autre, d’appeler à un nationalisme éculé, de prôner le repli sur soi et de diviser les individus selon des catégories exiguës qui ignorent toute forme de complexité. Emprisonner le débat public ainsi c’est préparer les esprits à la violence et renoncer aux belles promesses de l’humanisme de nos pères fondateurs.

La violence n’est jamais une option pour moi

Désormais, peu de gens sont choqués que des bigots traquent et menacent un professeur d’université qui ne doit son salut qu’à la mort, qu’ils organisent des marches main dans la main avec des partis politiques pour de futiles combats d’arrière-garde, qu’ils traquent les artistes et les intellectuels et veuillent imposer une pensée halal dans un pays de liberté.

Nous laissons tous quasiment faire quand une certaine presse et les réseaux sociaux profèrent des accusations abjectes contre le Premier ministre qualifié de citoyen guinéen. Et le pire, ceux-là qui fabriquent ces rumeurs, leurs complices qui les distillent et la presse qui s’en fait l’écho revendiquent chaque jour une conviction panafricaine. Ces brevets de sénégalité sont inacceptables dans la République du Sénégal, car nous sommes le pays ouvert à tous les vents fécondants, qui a accueilli artistes, hommes politiques et hommes d’Etat menacés ou martyrisés ailleurs. Nous sommes le Sénégal.

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Le débat public est médiocre et honteux car peu de gens en son sein ont une haute exigence de la République et s’attellent à la défendre et la préserver quoi qu’il en coûte.

Les attaques contre la laïcité, les discours xénophobes, le recours au arguments ethnicistes, la supériorité invoquée par des parlementaires au sein de l’Hémicycle de leur conviction confrérique sur les lois qu’ils fabriquent, les invocations régionalistes…Tout ceci conduit à un effondrement de la République et à la multiplication des fractures à travers lesquelles peuvent passer ceux-là qui promeuvent l’intolérance et veulent imposer leur foi par la violence.

Ma conception de la République est intransigeante. Elle ne s’accommode pas de guillemets et ne s’attache pas à un appareil ni à des situations. Elle est héritée des écrits des grands républicains socialistes et est nourrie par l’attachement viscéral à l’égalité et au mérite.

Par Hamidou ANNE – hamidou.anne@lequotidien.sn