Au lycée, pour nous expliquer le communisme et le capitalisme qui font alors fureur dans le monde, les profs, afin de nous éviter le surmenage, nous servent, pour l’un, «chacun selon ses besoins» ; et, pour l’autre, «chacun selon son mérite».

Ben, le futur ex-Président Macky Sall doit être un communiste contrarié…
Il parlera, tout au long de son mandat, de sa «fibre sociale» qui lui indique d’octroyer des bourses familiales aux plus démunis ; les pauvres de chez nous sont son souci majeur : les Sénégalais sont congénitalement fatigués, il le sait, et se plie en quatre pour leur alléger les souffrances. Quand vient le Covid, il décide de consacrer mille milliards de nos misérables francs Cfa à panser les plaies du désœuvrement, plutôt que se pencher sur la dette intérieure, en français facile, comprenez ce que l’Etat qu’il dirige doit aux entreprises, qui s’estime alors à… mille milliards de tout aussi misérables francs Cfa.

Les riches peuvent devenir pauvres, tant pis ; mais les pauvres ne peuvent plus être plus pauvres. Ce serait inhumain ?

C’est par cette logique, à n’en pas douter, qu’il nous faudrait comprendre l’audience que le chef de l’Etat accorde à la quarantaine de «recalés» des parrainages, obstacles insurmontables qui les privent du cirque de la Présidentielle.

Ça va causer entre has-been, d’avenir politique… L’un, celui qui a le beau rôle, se voit déjà dans quelque paradis terrestre, étendu paresseusement sur une plage, doigts de pieds en éventail, à ressasser les occasions manquées durant douze haletantes années de magistère ; tandis qu’en face de lui, quarante pleurnichards lui cracheront à la figure son fait, comprenez cette histoire de parrainages qui les réduit pour les prochaines cinq interminables années au rôle humiliant de spectateurs.

Leur audience est le salaire de leur immaturité : cinq années durant, ils n’ont pas pris la mesure de la compétition suprême, la Présidentielle, que beaucoup chez nous assimilent à une cour de récréation où tout est permis… Là, honneur suprême, ils peuvent, face au président de la République, afficher leur amertume, se lamenter de la marche délibérément faite trop haute, de la partialité des sept «membres» (leur nouvelle appellation version Mimi Touré) du Conseil constitutionnel, ce machin qu’il faudrait dissoudre dans l’acide, à en croire les inconditionnels du Franco-Sénégalais Karim Wade.

Soit dit en passant, quand on est du Pds, ça devrait éviter de trop parler du Conseil constitutionnel : il y a un fantôme dans ses couloirs qui erre depuis trois décennies dans l’attente que justice lui soit définitivement rendue…

Revenons au Palais.
La République sous Macky Sall a du temps pour les loosers ; elle prête une oreille attentive aux jérémiades des enfants gâtés de la scène publique et révèle même du génie, «Dialogue national» oblige, à trouver des arrangements avec sa conscience en donnant à des repris de justice des chances de s’emparer du Trésor public, alors qu’ils ne devraient plus s’en approcher à moins d’un kilomètre.

Quant aux vingt candidats que le Conseil constitutionnel vient de labelliser, dont l’un présidera à notre destinée commune pour les prochaines années, ils peuvent aller se faire voir ailleurs.

Vingt personnages aux personnalités différentes s’apprêtent à aller en compétition avec, pour certains, le coutelas entre les dents et peut-être des envies de meurtre. Le chef de l’Etat, Macky Sall, dont la responsabilité ultime est d’organiser des élections irréprochables avant de rendre les clés du Palais, n’a sans doute pas le temps de les recevoir, pour discuter avec eux d’un gentleman agreement qui pourrait nous éviter les coups en dessous de la ceinture et les appels à l’insurrection après la proclamation des résultats.

Certes, l’Armée, la gendarmerie et la police savent maintenir l’ordre dans la rue, il ne faudrait pas en douter, surtout les fauteurs de troubles. Le chef de l’Etat pourrait leur épargner le recours à la manière forte, en recevant les futurs acteurs de la vie publique dont le sort va se décider dans un tout petit mois. Ils méritent, plus que les quarante loosers, l’attention des Sénégalais, surtout du premier d’entre eux. Le thème à débattre, je vous le donne gratis : comment rester républicain et chevaleresque, en dépit des enjeux, parce que le Sénégal est au-dessus de tous et de tout ?

C’est à cette hauteur-là que personnellement j’attends le président de la République du Sénégal, qui qu’il soit.

C’est bien pour cela que durant les 50èmes Assises de la presse francophone, devant le parterre des confrères venus des cinq continents, j’aurais préféré entendre le premier des Sénégalais rappeler au monde combien ce p’tit pays, avec son nez en trompette qui hume l’Atlantique, est un géant sur la scène diplomatique.

Il aura préféré évoquer un drôle de loustic de la banlieue devenu député-maire, dont la gestion de sa ville laisse émaner de scabreux relents.

Sans fanfaronner, nous autres Sénégalais, pouvons compter nos plus belles victoires : la défense et l’illustration du monde noir, avec Senghor en porte-drapeau, qui aboutissent à nos indépendances sans effusion de sang en 1960, et qu’un festival planétaire en 1966 parachève ; la création de l’Oua avec la victoire du club de Monrovia, que Senghor, encore lui, domine de la tête, dont la formule réaliste devient le fondement de l’unité du continent africain ; et, enfin, la Francophonie.

Lorsque Senghor, toujours lui, émet l’idée d’un espace d’échanges culturels pour les pays qui ont en commun la langue de Molière (et de… Senghor !), De Gaulle, alors le demi-dieu des Français, ne l’écoute que d’une oreille distraite. Il prête plus d’attention aux conseils de Jacques Foccart, son «Monsieur Afrique», lequel ne cache pas ses liens de complicité avec un planteur baoulé, Félix Houphouët-Boigny. De cette alchimie sulfureuse naît la maladie honteuse que l’on désignera sous l’appellation péjorative «Françafique», qui charriera des monstruosités que l’Histoire ne finit pas de révéler…

Quant à la Francophonie de Senghor, elle est devenue une organisation aussi respectable que tentaculaire, où la voix du Sénégal résonne avec fierté et distinction.

A n’en pas douter, même si parfois, notre démocratie prend l’allure de la confiture que l’on jette aux cochons, nous demeurons une grande Nation et il est utile de nous le rappeler à chaque instant, au nom de la sacro-sainte citoyenneté.

C’est à cette hauteur-là que j’attends le Président sénégalais, qui qu’il est, ou sera. Le futur ex-Président Macky Sall devrait le marteler aux vingt futurs candidats, au lieu de papoter au sujet du sexe des anges avec quarante tocards.
Par Ibou FALL