Macky, l’amnistie et l’oubliette

Depuis qu’il a cessé de présider à nos destinées, le Président Macky Sall continue de briller sur la scène internationale. Partout dans le monde, il est acclamé, accueilli comme un prince, et écouté. Sa connaissance approfondie des défis protéiformes et complexes de notre monde lui donne, aujourd’hui, la possibilité d’avoir de grandes ambitions, de mener des combats historiques pour l’Afrique (la réforme des mécanismes de la dette, par exemple), après avoir réalisé de belles choses pour son pays deux mandats durant. L’on murmure, et cette rumeur ne semble pas lui déplaire, sa candidature au poste de Secrétaire général des Nations unies, pour donner à l’institution d’après-guerre une nouvelle énergie créatrice. Macky Sall, et cela saute aux yeux, est un leader incontestable. J’ai l’habitude de dire qu’au-delà des considérations politiques et personnelles, son richissime parcours symbolise la promesse de la République, incarnée par l’école publique : l’égalité des chances de réussite, quelle que soit son extraction sociale.
On peut lui reprocher, entre autres, et il ne s’agit pas là d’une tentative de faire l’inventaire du Sénégal sous son égide, sa vision matérielle du développement, fortement orientée vers les infrastructures. Encore faut-il préciser que celles-ci, si tant est qu’elles permettent de relier les espaces de production et de consommation, sont incontournables dans tout processus de développement. Mais la fabrique de l’homme total a été considérablement marginalisée. En revanche, pour avoir vécu dans le monde rural, j’ai compris à quel point des politiques publiques comme le Programme d’urgence de développement communautaire (Pudc) ont été transformatrices. L’accès à l’eau et à l’électricité (le taux d’électrification des zones rurales est passé de 25% en 2012 à 63% en 2024), la réduction considérable du travail quotidien des femmes par le truchement des batteuses… sont devenus une réalité, grâce à sa forte fibre sociale. L’économie du pays, avec lui, ne s’est pas dépêtrée de ses goulots séculaires, loin s’en faut, mais d’importants progrès significatifs, il faut le reconnaître, ont été réalisés.
A ausculter le débat public de notre pays, devenu un grand embrouillamini, l’on se rend compte que le Président Macky Sall continue de porter ombrage à nos ex-souverainistes. Dans toutes les discussions, il est mis sur le tapis. Les responsables politiques de Pastef, pour se soulager et éluder leurs contradictions, prennent du plaisir à ergoter sur son avenir. Si certains lui promettent le feu de la géhenne pour ses nombreux «crimes», d’autres, plus zélés, rêvent d’éradiquer tout simplement les souvenirs de son passage à la tête de notre pays, en commençant par la dissolution de son parti et l’emprisonnement de ses lieutenants. Le combat politique -et surtout moral, c’est-à-dire la désignation d’un bien à choisir et d’un mal à conjurer- qui l’oppose au parti Pastef n’est pas encore près à connaître son épilogue. Des temps ensanglantés de l’opposition jusqu’aux dorures et lambris du Palais présidentiel, le meilleur Premier ministre de l’Histoire et ses factotums ne cessent de s’attaquer violemment à celui qui leur a «donné» le pouvoir.
Donner ? Entendons-nous bien : en démocratie, c’est le Peuple souverain, conscient des multiples enjeux grâce à un débat public de qualité, qui donne le pouvoir aux détenteurs du projet politique considéré à tort ou à raison comme le plus satisfaisant. Mais, en regardant la manière dont Pastef est venu aux affaires, la responsabilité du Président Macky Sall est largement engagée. C’est lui qui a été, rappelons-le, l’instigateur de la loi d’amnistie, laquelle a libéré des gens accusés de crimes on ne peut plus graves, en dehors de toute procédure judiciaire. Mais, pis encore, il a décidé contre toute raison de trahir sa propre formation politique, amenuisant ainsi les chances de son propre candidat. Sa conduite, lors de la dernière Présidentielle, n’obéit à aucune logique. Et nombreux sont les Sénégalais qui continuent de se demander les raisons pour lesquelles il a agi ainsi contre ses hommes et, dans une certaine mesure, contre son pays. Est-ce par peur de voir l’actuel Premier ministre exécuter ses innombrables menaces ? La réponse à cette question est négative, si l’on sait que lorsque cet homme a été envoyé en prison pour ses nombreux appels à l’insurrection, les rues, naguère théâtres de la grande chienlit, n’avaient pas d’âmes qui vivent. Donc c’est Macky Sall lui-même qui a décidé proprio motu, pour on ne sait quelles raisons, de pactiser avec ses pires ennemis en essartant les sentiers qui les ont menés au pouvoir. Et ce choix, par conséquent, implique sa responsabilité. Et son courage.
Le pouvoir Pastef, annonce l’honorable député Ayib Daffé, s’apprête impatiemment à envoyer le Président Macky Sall dans son oubliette. Sa gestion des affaires publiques, présentée comme chaotique par ses successeurs, doit lui coûter un séjour carcéral à la mesure de ses «crimes». Pour les gardiens toujours horripilés de la révolution, l’aboutissement de ce projet est un impératif catégorique. La recherche effrénée de boucs émissaires doit inéluctablement déboucher sur la désignation de coupables. Quand on n’est responsable de rien, comme c’est le cas avec Pastef, il faut que la responsabilité de ses déconfitures soit imputée aux ennemis. Et l’ennemi et le bouc émissaire, ici, c’est celui qui leur a «donné» le pouvoir. La réception à grands flaflas du débat sur la dette «cachée» -cette discussion sur le sexe des anges, en dépit des déclarations urbi et orbi des deux protagonistes- est une occasion, pour les zélotes du Premier ministre, de fomenter un réquisitoire contre l’ancien chef de l’Etat, pour le voir moisir bientôt dans sa prison de la Santé. Pour que le troll de la Primature puisse enfin prendre sa revanche.
Aujourd’hui, le Président Macky Sall n’aura d’autre choix que d’assumer sa responsabilité, c’est-à-dire faire face avec courage aux conséquences, fussent-elles dramatiques, de ses pactes secrets, trahisons, peurs, folies et postures antirépublicaines.
Pour ranger mon encrier, une indignation républicaine : nous avons tous entendu, sidérés, les propos d’une navrante irresponsabilité de M. Pape Malick Ndour. Appeler, dans ce pays, à renverser un pouvoir politique est inacceptable et surtout impossible. Il est vrai que le Premier ministre Ousmane Sonko, dans sa vie d’opposant ordurier et irresponsable, a publiquement appelé à déloger le Président Macky Sall, et de le déchiqueter avec des canifs comme Samuel Doe. Mais cela ne justifie nullement que des hommes politiques lui emboîtent le pas. Il faut continuer de s’opposer dans le cadre républicain. C’est la seule antienne qui mérite d’être déclamée à tue-tête pour la nouvelle opposition.