Macky Sall a eu 12 ans avant l’usure du pouvoir

Un litre de carburant Super revient à 990 Cfa au Sénégal, et celui du gasoil à 775 francs. A Bamako, le même litre est passé de 800 à 775 Francs Cfa. A Ouagadougou, l’essence revient actuellement à 850 francs le litre, et le gasoile est à 675 francs Cfa. Le carburant du Mali, comme d’ailleurs tous les hydrocarbures raffinés destinés à ce pays enclavé, passe par le Port de Dakar, tandis que celui du Burkina arrive à travers la Côte d’Ivoire et le Togo. Ah ! A ce propos, à Abidjan, l’essence coûte 855 francs Cfa et le gasoil 700 Cfa.
Les automobilistes du Sénégal et d’autres usagers se posent encore la question de savoir pourquoi les prix de ces produits raffinés sont si chers chez nous, alors que, contrairement au Mali, au Burkina et au Niger, le Sénégal se targue de disposer d’une des plus anciennes raffineries de l’Afrique de l’Ouest, à côté de la Sir de Côte d’Ivoire. A l’international, le prix du carburant, tous produits confondus, est à la baisse, du fait d’une conjoncture internationale favorable. Quasiment tous les pays d’Afrique de l’Ouest ont été entraînés par ladite conjoncture internationale et ont baissé leurs prix. On peut parier que la majorité de ceux qui l’ont fait ne l’ont pas regretté. Exception des plus notables, le Sénégal du «Projet» porté par la Vision 2050 a décidé de maintenir les tarifs hérités du temps de Macky Sall, quand le contexte était à la guerre entre l’Ukraine et la Russie, qui a vu le prix du baril flamber. Dans ce pays, la taxation est particulièrement lourde sur les prix des produits pétroliers. Il y a plus de dix ans déjà, les pétroliers sénégalais se plaignaient de ce que la taxation pressurait les consommateurs et ne laissait quasiment pas de marge aux distributeurs. A ce jour, pas grand-chose n’a changé. Sur le litre payé à la pompe, les pétroliers assurent recevoir moins de 10% du prix, tandis que les caisses de l’Etat, à travers multiples taxes, encaissent l’essentiel. Cette situation a déjà fait l’objet de nombreuses analyses dans les médias sénégalais, depuis bien longtemps.
Pendant longtemps, les pouvoirs publics semblaient se mettre à l’écoute de leur opinion publique et s’arrangeaient, un tant soit peu, pour alléger les charges pesant sur les consommateurs du Sénégal. Bizarrement, dans ce régime qui s’est adjugé pour mission de créer un pays «souverain, juste et prospère», ce dernier terme de la profession de foi ne semble pas proche d’être réalisé, tant le confort relatif des citoyens commence à devenir un mirage. Le paradoxe est qu’aujourd’hui, le Sénégal se targue d’être devenu un pays producteur de gaz et de pétrole. Si l’on peut comprendre que l’Etat et ses partenaires veulent d’abord sécuriser leur retour sur investissement afin de pouvoir dégager des marges, on serait tout de même en droit de demander à ne pas payer plus cher notre combustible que les voisins moins bien nantis. Surtout que quand un pays a pour ambition d’enrichir ses citoyens, il ne met pas en œuvre des conditions pour les appauvrir encore plus.
Des voix commencent déjà à s’élever dans les couloirs du régime pour rappeler les exigences des partenaires financiers étrangers, en première ligne desquels se trouve le Fonds monétaire international (Fmi), qui ne cessent de demander à l’Etat une réduction de son train de vie, ainsi que la suppression de certaines subventions dont celles sur l’énergie est la plus symbolique, tellement elle est devenue récurrente depuis une vingtaine d’années. Ce serait vraiment le monde à l’envers que le régime dictatorial et antipopulaire du sanguinaire Macky Sall, dont les mains sont tachées du sang de 80 martyrs sénégalais, soit celui qui a le plus résisté face aux oukases de ses maîtres étrangers, et que le régime populaire le mieux élu de l’histoire du Sénégal puisse se plier à ces exigences indignes. Et il ne s’agit pas que de la seule question qui puisse choquer.
Ayant trouvé un pays au quatrième sous-sol de son niveau de développement, le pouvoir patriotique a demandé à tous les citoyens de se serrer la ceinture, au propre comme au figuré. Les fonctionnaires voient leurs avantages rognés -sauf, comme par hasard, ceux des services fiscaux de l’Etat-, des employés des secteurs public et parapublic se retrouvent au placard s’ils ont de la chance, quand ils ne sont pas radiés des services pour divers motifs. Le tout, dans l’optique de faire faire des économies. On a même vu notre Premier ministre faire la leçon à des agents de l’Administration sur l’efficacité énergétique dans les bâtiments de l’Etat. Les recommandations sont allées jusqu’à la suppression des machines à café dans certains bureaux. Une manière de souligner que même des économies de bout de chandelle sont bonnes à prendre.
Au moment où ces sacrifices sont demandés au commun des fonctionnaires, des directeurs se disputent avec leurs prédécesseurs sur l’acquisition de véhicules de fonction dont le montant avoisine les 100 millions de francs Cfa. Des ministres sont mis à l’index pour avoir échangé du mobilier de bureau en bon état contre un autre encore plus impressionnant, aux frais du contribuable. Tous ces comportements faisaient l’objet de critiques acerbes de la part des nouvelles autorités, à l’époque où elles se trouvaient dans l’opposition.
Aujourd’hui, le président de l’Assemblée nationale, en réponse aux critiques de son opposition qui l’accusait de se préparer à payer des véhicules 4X4 tout neufs aux députés de l’Assemblée, vient de répondre de manière défiante : «J’assume pleinement l’achat des véhicules pour les députés.» Il est allé jusqu’à ajouter : «Je n’accepterai pas de diriger une institution qui emprunte les taxis ou Jakarta.» Pour couronner les choses, M. Ndiaye vient de se rendre en mission aux Emirats arabes unis, avec une bonne délégation de parlementaires. On sait qu’un billet ordinaire en classe économique sur la compagnie Emirates ne coûte pas moins d’un million de Cfa. Il serait curieux de savoir combien de députés vont tenir compagnie au président de l’institution parlementaire en classe Affaires de l’avion, et à combien le séjour de la délégation va revenir aux caisses du Trésor.
Sans faire insulte aux élus du Peuple de croire que leur séjour dans ce pays ne serait pas utile au pays, on ne peut s’empêcher de se rappeler les directives émises dans une circulaire du chef du gouvernement, le 22 janvier dernier, en matière des voyages et missions à l’étranger. Si l’Assemblée n’est pas le gouvernement, elle n’en reste pas moins une institution de la République.
Le Premier ministre s’est, lui, rendu à Ouagadougou avec une bonne délégation ministérielle. Ayant été à l’origine des décisions de restriction de dépenses, on pourrait parier qu’il n’aura pas enfreint ses propres directives ; même si l’on peut se demander ce que faisaient certains fonctionnaires au sein de la délégation. Mais cela n’est pas le plus important.
Si un an et un mois après l’arrivée de Pastef au pouvoir, on en vient à vouloir comparer l’état de marasme de la population avec certaines dépenses somptuaires des tenants du pouvoir, c’est que l’on essaie de voir à quel point le chemin de nos espoirs semble encore éloigné.
Depuis 2000, c’est la première fois qu’un régime ne semble pas faire de l’emploi des jeunes sa priorité. Au-delà de nombreuses critiques portées sur sa gouvernance, on ne peut passer sous silence la priorité que Macky Sall a donnée à l’emploi des jeunes, auquel il a consacré un ministère et pas moins de 3 agences. Wade s’est rendu célèbre, entre autres, grâce à ses promesses sur l’emploi des jeunes. Or, maintenant que des jeunes dont certains ont moins de trente ans, se retrouvent aux affaires, ils semblent oublier les millions d’autres qui ne rêvent que de décrocher leur premier emploi. Il est vrai que les vrais militants ont pu, eux, se caser et caser leurs proches. Ils commencent à oublier le prix du loyer. Dès son arrivée au pouvoir, Macky Sall a pris la question à bras-le-corps. Quand l’inflation a ratatiné sa première baisse de loyers, l’ancien chef de l’Etat n’a pas hésité, en novembre 2022, à reprendre une nouvelle mesure pour imposer la baisse. Et il a voulu l’imposer par la force.
Si les décisions de l’ancien leader de l’Apr n’avaient plus un écho favorable après douze ans de règne, ses propres erreurs, ainsi que l’usure du pouvoir y ont contribué. Sans parler de l’action de son opposition et des erreurs de ses partisans. Mais il lui a quand même fallu douze ans pour que cette usure se fasse sentir. Le régime patriotique, lui, se convainc sans doute qu’avec sa belle manière de gérer sa barque, il pourra atteindre sans aucun écueil les rivages de la Vision 2050. Son navire est insubmersible.
Par Mohamed GUEYE / mgueye@lequotidien.sn