On raconte que Jomo Kenyatta était si soumis à l’Angleterre dont il appliquait à la lettre les exigences que The Economist, journal britannique, lui consacra en 1965 un article sous le titre ‘’Our man in Kenya’’. Après avoir :
– interdit la marche, la conférence (à l’Université Cheikh Anta Diop dont le parrain éponyme doit se retourner dans sa tombe) et le panel (dans le cadre privé de la Fondation Rosa Luxembourg) lors du contre-sommet de la Francophonie de 2014 à Dakar,
-déporté en septembre 2017 Kémi Séba au point que le bâtonnier de l’Ordre des avocats du Sénégal épingla dans cette cérémonie solennelle qu’est la rentrée des Cours et tribunaux l’illégalité de l’Administration sénégalaise,
-fait arrêter le vendredi 2 février 2018 des dizaines de membres de la plateforme France dégage, lors de la visite de Macron dont certains pendant 5 jours.
Il peut être consacré un article au Président Macky Sall sous le titre : L’homme des intérêts français au Sénégal et en Afrique de l’Ouest.
Le coût du train express régional (Ter) estimé à 568 milliards pour 57 km, gagné par la française Alstom, là où le coût du Tgv du Nigeria pour 187 km coûtera 532 milliards confirme la persistance plus d’un demi-siècle après des relations néocoloniales entre la France et le Sénégal, résumées dans les propos de De Gaulle et de Debré pour lesquelles les actes de Macky Sall constituent une fontaine de jouvence.
«L’indépendance, quiconque la voudra, pourra la prendre aussitôt […]. Cela signifie qu’il veut poursuivre son chemin isolément, à ses risques et périls.» C’est par ces mots, sous forme de chantage, que De Gaulle lance le 24 août 1958, depuis Brazzaville, la capitale de l’Afrique équatoriale française (Aef), la campagne pour le Référendum.
Pour éviter les «périls» auxquels le Général faisait allusion et que le Peuple de Guinée Conakry a vécus dramatiquement dans sa chair, il fallait écouter Michel Debré, Premier ministre de France. «On donne l’indépendance à condition que l’Etat s’engage, une fois indépendant, à respecter les accords de coopération signés antérieurement : il y a deux systèmes qui entrent en vigueur en même temps : l’indépendance et les accords de coopération. L’un ne va pas sans l’autre.»
Il faut se donner l’ambition de réécrire l’histoire et être un collabo décomplexé pour tenir les propos qui suivent. «La France, il faut la féliciter et sans état d’âme et sans complexe aussi. La France, il faut saluer ce qu’elle a fait. Ce n’est pas évident. S’il n’y avait pas l’intervention, l’opération Serval, le Mali peut-être ne serait pas aujourd’hui présent à ce sommet. Aujourd’hui en Centrafrique, les Nations unies sont en train de réagir, mais c’est toujours lent par rapport au développement des forces qui peuvent semer la mort, la désolation. Donc si nous avons un pays, une puissance qui est en Afrique depuis plusieurs dizaines d’années, voire depuis plusieurs siècles, et qui peut intervenir dans le concert des Nations, je crois qu’on doit positiver plutôt cela.» (Macky Sall sur Bbc Afrique)
L’Intersyndicale des travailleurs du chemin de fer a demandé à l’Etat du Sénégal d’octroyer un budget de 10 milliards de francs Cfa pour relancer définitivement les activités de Dakar-Bamako-ferroviaire. Comment comprendre le choix par Macky Sall de ce Ter de 57 km contre celui du Dakar-Bamako qui impacterait des régions entières et stimulerait les échanges dans un contexte où le Sénégal achète le double de ce qu’il vend (balance commerciale déficitaire) et où le commerce interafricain est inférieur à 15% ?
Ce choix s’explique par le fait que l’option de la France et de l’Ue c’est de favoriser un détournement de commerce au profit des importations en provenance de l’Ue plutôt que d’augmenter le commerce intra-africain. C’est à cela que sert l’Ape que Macky Sall a signé. Ape qui rend actuelle la question posée par Mehdi Ben Barka en décembre 1963 : «L’Afrique serait-elle l’Amérique latine de l’Europe ?» Ape qui va augmenter les 90 milliards et les 65 milliards qui constituent la facture que le Sénégal paie chaque année pour du blé et des produits laitiers, dont la majorité provient de la France. Dès la première année d’application de l’Ape, blé et poudre de lait ne paieront plus de droit de douane au pays du mil, du maïs et du sorgho.
Ce choix s’explique par la nécessité de maintenir les privilèges des entreprises françaises que visent les accords de coopération dont faisait allusion plus haut le Premier ministre français Debré. Dans le cas d’espèce, il s’agit des entreprises Alstom et Sncf. Il s’agit aussi de Necotrans dans notre port, de Total qui fait son entrée dans notre pétrole, d’Eramet qui a 50% de la mine de zircon, de Gds dans l’horticulture, de la Soboa, filiale du groupe Castel France, de la cimenterie Sococim reprise par Vicat…
Dans ces accords de coopération, il y a aussi le maintien de la présence de l’Armée française que Macky Sall a ramenée. Les 400 marins français en permanence sur le territoire sénégalais ne sont pas là pour les intérêts du Peuple sénégalais. Le cas Gbagbo nous a édifiés sur son rôle.
Les accords de coopération, c’est aussi les garanties contre les nationalisations. Il est préférable pour nos compatriotes de croire au Père Noël plutôt que de penser que Macky Sall accédera à la demande de notre compatriote Babacar Touré, parlant de la Sonatel, contrôlée par Orange. «Une entreprise qui fournit 12% des recettes fiscales de l’Etat et représente plus de 6% du Pib ne devrait-elle pas être nationale ? Le Président Macky Sall est interpellé. Son cheval de bataille devrait être la renationalisation de la Sonatel et de toutes ses semblables.»
Les 250 entreprises et micro entreprises françaises assuraient en 2015 le 1/4 du Pib du Sénégal qui est le 4e excédent de la France en Afrique. C’est normal alors que les Sénégalais ne mangent pas de la croissance avec laquelle on les bassine en permanence.
Et ils ont raison, les chefs d’entreprises qui, comme Mansour Kama de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (Cnes), disent que «les réformes doivent promouvoir le secteur privé national et les Pme (…). Il ne sert à rien de faire partie des dix premiers réformateurs du classement de Doing Business si cela ne sert qu’à dérouler un tapis rouge aux investisseurs étrangers». L’homme d’affaires Serigne Mboup dira : «L’Etat ne peut pas encadrer le secteur privé vers la recherche d’autres espaces et le priver du marché domestique.» Baïdy Agne du Cnp ajoutera : «Si l’assurance est le principal acteur pour la mobilisation de l’épargne interne, la banque est le distributeur de cette épargne à travers le crédit (…) qui contrôle ces deux secteurs, contrôle l’économie nationale (…), notre pays est le 3e marché pour les primes d’assurance collectées dans la zone Cima. Il est ouvert aux compagnies d’assurance de diverses nationalités (ivoirienne, camerounaise et marocaine…) Elles sont là au Sénégal, alors qu’aucune compagnie d’assurance sénégalaise n’est installée dans ces pays.» Durant l’année 2015, Axa-Assurance (France) a renforcé sa place de leader du secteur des assurances, avec un chiffre d’affaires de 12 milliards, soit 10% de celui de l’ensemble du secteur. Cela va se renforcer pour deux raisons. La première c’est que «entre 2000 et 2011, la part de marché de la France au Sud du Sahara a décliné de 10,1% à 4,7%», notait déjà en 2013 le rapport remis par le quintette Hubert Védrine, Hakim El Karoui, Jean-Michel Severino, Tidjane Thiam et Lionel Zinsou. La deuxième raison tient au fait que, en visite en France en 2016, Macky Sall a dit au privé français : «Il faut être agressif, l’amitié ne suffit plus.» Cela nous permet de dire une chose. Tout le discours sur l’émergence cache une réalité. Il y a un «marché émergent» au Sénégal. Mais parce que ce marché émergent bénéficie à l’impérialisme collectif, la société sénégalaise ne peut être émergente.
Au Sénégal, les Pme constituent 90% des entreprises sénégalaises. Seules 5,3% d’entre elles exportent, selon le rapport de l’enquête nationale sur les petites et moyennes entreprises, paru en octobre 2014 et réalisé par l’Agence de la statistique et de la démographie. Ces Pme ont un taux de mortalité de 64%. Une des raisons de ces réalités se trouve dans le franc Cfa néocolonial qui exerce une répression financière avec un crédit très faible – surtout pour l’agriculture et l’industrie – et qui fait que nos produits d’exportation ne sont pas compétitifs sur le marché international, et qui favorise l’importation. Quoi de plus normal alors que sur les 269 mille nouveaux demandeurs d’emplois qui arrivent sur le marché du travail chaque année au Sénégal, moins de 30 mille arrivent à trouver un emploi ?
Le Président Macky Sall attend encore qu’on lui explique que le franc Cfa est une monnaie néocoloniale. Il feint de ne pas savoir la vérité. En vérité, il a juré fidélité à la France et au Cac 40. Et les accords de coopération, c’est aussi laisser intact le franc Cfa.
Le seul patriotisme dont le Président Macky Sall et ses souteneurs sont capables est celui de pacotille. Il consiste à dénoncer la posture «néocoloniale», par exemple, d’une Anne Hidalgo, maire de Paris, quand celle-ci soutient le maire de Dakar emprisonné et jugé, pas pour promouvoir une «gestion sobre et vertueuse», mais pour écarter un adversaire à l’élection présidentielle de 2019. Le parti du Président a qualifié cela de «(…) posture aux allures nostalgiques d’un néocolonialisme révolu qui ne saurait prospérer. Le Sénégal, pays indépendant et souverain, ne saurait l’accepter (…)». Pour la coalition présidentielle, il faut que «Mme Hidalgo sache que la Françafrique est révolue».
Mais les mêmes ne disent rien quand le 30 mars 2016, André Vallini, secrétaire d’Etat chargé du Développement et de la francophonie, déclare lors d’un entretien avec le Président Macky Sall que «la France est satisfaite des résultats du Référendum du 20 mars».
Voilà pourquoi il est aussi curieux de voir une partie de la classe politique sénégalaise toujours prompte à aller faire de la délation auprès des chancelleries impérialistes sur des questions comme celles liées au processus électoral. Ils devraient méditer ce proverbe bamanan. «Que les chèvres se battent entre elles dans l’enclos est préférable à l’intermédiation de l’hyène !» Ou encore lorsque cette partie de la classe politique sénégalaise accorde un soupçon de crédit au Fmi et à la Banque mondiale. Curieux ? Peut-être pas forcément. Et cela signifie que Macky Sall n’est pas le seul homme de la France et de l’impérialisme collectif au Sénégal. L’impérialisme, c’est un secret de polichinelle, ne met jamais tous ses œufs dans le même panier.
La partie conservatrice de la classe politique française est en accord avec François Mitterrand qui, alors qu’il était ministre des Colonies en 1957, a dit : «Sans l’Afrique, il n’y aura pas d’histoire de France au 21e siècle.» C’est ce que le Sénat français réaffirme en 2014, en disant : «L’Afrique, l’avenir de la France.» Et en incitant les entreprises françaises à y chasser en meute.
Nous aspirons à une histoire du Sénégal libre, comme chapitre dans une histoire d’une Afrique libre où nos Peuples ne sont pas considérés comme du gibier, mais pas de la liberté d’opprimer d’autres Peuples. Mais de la liberté de contribuer à l’émancipation des Peuples et des travailleurs, à leur bien-être… en mettant en avant solidarité et complémentarité et non concurrence et compétitivité.
En 1904, le géographe français Onésime Reclus suggérait à l’impérialisme français un changement de stratégie dans un livre prémonitoire : Lâchons l’Asie, prenons l’Afrique : où renaître ? Et comment durer ?
Jooy fajul naqar ! Il est temps que le Sénégal soit lâché dans une Afrique lâchée. C’est à cette révolution anti impérialiste que tous les patriotes doivent s’employer.
Guy Marius SAGNA
guymarius_sagna@yahoo.fr
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