A l’heure où nous écrivons ces lignes, le Sénégal vit les plus sombres pages de son histoire politique. Jamais dans l’histoire du pays depuis 1960 jusqu’à nos jours, le Sénégal n’a vécu une crise politique de nature à saper les fondements de sa Justice et à «dé-républicaniser» les Forces de défense et de sécurité. L’infiltration des Forces de défense par des nervis, qui tirent à bout portant sur des jeunes manifestants en plein jour, est l’exemple très concret d’un Etat-voyou. Le bilan de la semaine est trop lourd en pertes humaines, avec son lot d’emprisonnement de leaders politiques et de chefs religieux. Devant ces faits gravissimes dignes de crime contre l’humanité, l’opinion nationale et la Communauté internationale doivent maintenant s’interroger sur ce qui a pu amener un homme, que l’on savait courtois, modéré, mesuré et calme, à devenir, en peu de temps de règne étatique, le chef d’Etat le plus haï de toute l’histoire politique du Sénégal ?
Certes en se posant en libéral-démocrate, en républicain, l’homme a certainement su tromper la vigilance du Peuple sénégalais pour être ré-élu en 2019, mais, au fil des dernières années, le pouvoir a su tester son vrai caractère d’homme et dévoilé son hubris du pouvoir au su et au vu de tout le monde. A l’instar d’autres hommes politiques sanguinaires qui ont su user de moyens peu orthodoxes pour s’accrocher au pouvoir, il entre à jamais dans l’histoire en jouant de la politique des terres brûlées dont une vingtaine de jeunes Sénégalais ont péri en deux jours seulement (Le Monde, 2023). Loin s’en faut, ce jeu politique de la terre brûlée ne saurait être le seul jeu politique que Macky joue, car il ne laisse aucun segment de la société sénégalaise aussi bien sur le terrain confrérique, juridico-intellectuel et que sais-je encore !
Le jeu de politique de la terre brûlée sur le terrain confrérique
A bien analyser le paysage des confréries sénégalaises et à bien le constater sur le terrain, la graine de la division et de la discorde a été semée dès les premières semaines de l’avènement de Macky Sall au pouvoir en 2012. Aujourd’hui, cette graine a porté d’amers fruits de destruction de la République sénégalaise. Les foyers confrériques du Sénégal en prennent leurs parts et sont plus que jamais à la merci des divisions internes de luttes de pouvoir et de positionnement. A Tivaoune, des marabouts sont à couteaux tirés. A Touba, les discours de jeunes marabouts naviguent souvent à contre-courant du Ndigueul du Khalife général des Mourides. Pire, ce dernier n’est pas toujours tenu au parfum des réalités politiques du pays, car son entourage est souvent victime d’une manipulation politique monnayant des projets lucratifs juteux à coup de millions dont certains de ces jeunes marabouts tirent bien profit pour se procurer de belles voitures et se construire de belles villas face à des habitants qui assurent à peine leurs repas du jour. Si la rencontre du Président Macky Sall avec Serigne Mountakha Mbacké, le 5 juin 2023, s’est avérée, nous avons là encore une preuve tangible que le Khalife général des Mourides n’est pas tenu au courant de l’état de délabrement du pays avec nervis armés qui tuent les manifestants avec des armes de guerre. Quel Attila, là où Macky passe, un morceau du Sénégal trépasse désormais !
Le jeu de politique de la terre brûlée sur le terrain juridico-intellectuel
Décidément, cette politique de la terre brûlée ne laisse presque aucun segment du pays. Elle est plus aiguë dans le système judiciaire avec des magistrats relevés de leurs fonctions, affectés ailleurs pour n’avoir pas obéi à des ordres qui déshonorent leurs professions de foi. Elle n’épargne pas le milieu universitaire marqué par un mutisme éloquent sur des questions brûlantes qui devraient bien faire l’objet de discussions et de séminaires à longueur de journées car touchant même les fondements de notre République. Rares sont aujourd’hui les intellectuels qui osent s’afficher pour dénoncer l’injustice, et ceux ou celles qui le font butent contre d’autres intellectuels dont les plumes sont souvent trempées dans cette politique brûlée sur le terrain intellectual, comme nous le constatons avec la pluie d’articles en réponse à la tribune de nos collègues (Boubacar Boris Diop, Felwine Sarr et Mbougar Sarr) qui ont eu l’audace de tirer la sonnette d’alarme pour la paix et la stabilité du Sénégal.
Que visent M. Cissé Kane Ndao et autres auteurs dans leurs réponses à la tribune de nos collègues ? Ont-ils décidé d’écrire pour exprimer leurs opinions autrement ? Ou ont-ils simplement décidé d’écrire pour sortir de leur anonymat ? Pour des questions d’honnêteté intellectuelle, ces questions mériteraient d’être passées au tamis de la critique et des analyses dans d’autres occasions.
Alors que l’heure est donc à la mobilisation pour ramener la paix et la concorde au Sénégal, les réactions de M. Cissé Kane Ndao et.al. contre l’appel de nos collègues (M. Boubacar Boris, M. Felwine Sarr et M. Mohamed Mbougar Sarr) disent plus sur leurs plumes alimentaires qu’un vrai désir de dire cette vérité autrement. Pour celui ou celle qui sait bien lire entre les lignes, le fil conducteur du contenu des propos de M. Cissé Kane Ndao et.al se perd dans le labyrinthe de la densité intellectuelle de la tribune de nos collègues. En revanche, ne perdons pas de vue que M. Cissé Kane Ndao et.al. ont aussi tout le mérite d’être de bons nervis intellectuels de Macky Sall que de l’être autrement sur le terrain.
Dr Moustapha FALL
Enseignant-chercheur
Source
Diop, B ; Sarr, F; Sarr, Mb (2023). Cette vérité que l’on ne saurait cacher. Dakar : Le Quotidien, 5 juin.
Diallo, A (2023). Cette vérité qu’on saurait oublier de vous dire. Dakar : Le Quotidien, 7 juin.
Dia, Y (2023) Cette vérité qu’on cherche à enfouir dans la plus secrète mémoire des hommes. Dakar : PressAfrik, 7 juin.
Konig, Benjamin (2023). Macky joue la politique de la terre brûlée. France : Le Monde, p.16.
Ndao C. Kane (2023). Cette vérité que vous n’osez pas dire ! Réponse à Boubacar Boris Diop, Felwine Sarr et Mohamed Mbougar Sarr (Par Cissé Kane Ndao). Dakar : Le Quotidien, 6 juin.