Le chef de l’Etat français s’est confié au «Point», après avoir remis la Grand-Croix de l’Ordre national du mérite à l’écrivaine guadeloupéenne.
L’ambiance était quasi familiale ce lundi dans le salon de l’Elysée, entièrement dévolu à Maryse Condé et à ses invités, pour la remise de la Grand-Croix de l’Ordre national du mérite. Emmanuel Macron s’est d’abord entretenu avec l’écrivaine guadeloupéenne et son mari et traducteur Richard Philcox, venus de Gordes où ils résident, avant de prononcer un discours très senti. Le chef de l’Etat avait déjà félicité Maryse Condé pour son «Nobel du public», comme il a nommé le prix Nobel «alternatif» de littérature décerné en 2018. A la fin d’une cérémonie chaleureuse et décontractée lors de laquelle son épouse Brigitte l’a rejoint, il nous a confié à quel point il appréciait l’œuvre et le parcours de Maryse Condé.
«Je l’ai connue quand j’étais jeune étudiant. Je l’ai lue pour la première fois avant de partir au Nigeria, il y a vingt ans. C’était Ségou. Elle m’accompagne depuis des années, j’ai toujours été passionné par l’Afrique et elle fait partie des écrivains qui m’ont appris l’Afrique. Je suis bouleversé par les combats qu’elle a menés et surtout par cette espèce de fièvre qu’elle porte, d’indiscipline, de décalage permanent. Elle est l’une des voix de réconciliation de notre propre histoire, qui est un des sujets qui m’obsèdent. Je pense qu’un des trésors de notre Nation, c’est cette histoire fracturée avec ses parts d’ombre absolument terribles, mais si l’on arrive à la transcender, on peut en tirer quelque chose de profond. Maryse Condé participe de cela. C’est aussi pour cela que je faisais à la fin de mon discours ce lien entre l’indépendantisme et la République parce que je pense qu’il y a quelque chose de la vraie République au fond de son œuvre et de ses combats». «Elle n’a pas simplement suivi Césaire et Fanon, elle a ouvert les béances de son histoire familiale, elle est la seule vraiment à avoir mené ce combat en passant par l’Afrique, puis les Etats-Unis. Elle a été complètement pionnière. Et je trouve que, par la littérature, elle a montré cette quête d’identité qui n’est jamais finie. Et je pense que nous nous sommes beaucoup perdus dans le sujet de l’identité, en faisant beaucoup d’erreurs. Non pas qu’il ne faille pas le poser, mais il ne faut pas le poser d’une manière figée. Maryse Condé, elle, a construit une identité narrative, elle l’a construite par la langue. Et je ne dis pas cela par fidélité à Ricœur, mais je crois que le fondement de l’identité française, c’est qu’elle est en construction et se fait par la langue et ses recherches.»
Entourée de ses enfants et petits-enfants, l’écrivaine qui avait une allure de star de la musique était émue derrière ses lunettes noires. Emue également de retrouver dans l’assemblée une complice de toujours en la personne de Christiane Mandé-Diop, veuve du fondateur de la revue et des éditions Présence africaine, pour lesquelles Maryse Condé travailla un temps de sa vie, longue, difficile et d’une incroyable richesse, que racontent en filigrane ses romans et, «sans fards», ses livres autobiographiques.
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