Par Madiambal DIAGNE –
Le premier Sommet du Commonwealth s’était tenu en 1971. Ces sommets permettaient de discuter de politiques communes et de questions internationales. La France ne semblait pas vouloir être en reste. En 1973, le Président Georges Pompidou réunissait quelques chefs d’Etat africains à Paris. C’était le début des sommets France-Afrique qui suivaient le même agenda et ont fini par faire des émules. Sur ce modèle, la Chine, la Russie, le Japon, l’Inde ou le Brésil, organisent régulièrement des sommets avec les pays africains. Mais on ne dira jamais assez que les sommets France-Afrique semblent avoir plus mauvaise presse que les autres sommets du genre. Si les autres pays parlent dans les rencontres avec les pays africains de commerce et d’autres questions économico-sociales, les sommets France-Afrique ont toujours été marqués par des pourparlers militaro-politiques. La présence des autres puissances militaires en Afrique est moins visible et ces pays se gardent encore de participer ouvertement dans des luttes de contrôle du pouvoir. Ainsi, le comportement de la France en Afrique, traduisant une certaine arrogance ou une condescendance. Cela ne pouvait pas ne pas heurter les peuples ! Et on finit par se dire que la France est incapable de changer pour enfin traiter en alter ego un pays africain.
Les péchés originels des sommets France-Afrique
Le départ du pouvoir du Général De Gaulle (1969) devait marquer la fin d’une ère de relations entre la France et ses anciennes colonies devenues indépendantes. Son successeur Georges Pompidou cherchait à redéfinir les rapports entre la France et ses anciennes colonies sur des paradigmes nouveaux. Avait-il voulu changer de politique sans changer les hommes chargés de la mise en œuvre ? Il laissera Jacques Foccart au poste ou l’officine, qu’il occupait depuis 1960 sous le général De Gaulle, celui de Secrétaire général de l’Elysée chargé des affaires africaines et malgaches. Le Président Felix Houphouët Boigny trouva, dans le lexique de l’humour ivoirien, l’appellation «Françafrique» pour donner un nom à cette pieuvre qui décidait de la marche des anciennes colonies françaises en Afrique. Jacques Foccart continuait d’avoir la haute main sur les services secrets et sur la politique française en Afrique. On verra sa main derrière tous les coups sulfureux de la France à travers le continent. Au Gabon, il décidait de qui sera chef de l’Etat, au Congo-Kinshasa il soutint Mobutou, en Guinée il alimenta des coups contre Sékou Touré, il envoya une escouade de mercenaires conduits par Bob Denard pour se mêler de la guerre du Biafra (Nigeria). Jacques Foccart pouvait compter sur d’énormes moyens financiers et logistiques pourvus par des compagnies pétrolières françaises en Afrique. L’homme s’occupait exclusivement de la politique africaine de la France. Est-ce parce que Georges Pompidou ne s’y intéressait pas trop, pris qu’il était par la grande préoccupation d’affirmer son pouvoir sur l’Etat français ? Avait-il choisi d’agir de la sorte dans un certain jeu d’équilibre pour ménager et contenir les gaullistes pur jus et leur laisser un pré-carré d’influence et d’enrichissement personnel ? Résultat des courses ? La France continuait de se mettre à dos les élites sociales, intellectuelles et des générations de jeunes africains.
A son arrivée au pouvoir en 1974, l’une des premières décisions de Valery Giscard D’Estaing (Vge) aura été de dissoudre le service de Jacques Foccart. Le magistrat René Journiac deviendra l’homme à tout faire en Afrique. René Journiac, était déjà dans l’équipe de Foccart. C’est dire que Valéry Giscard d’Estaing était soucieux d’une continuité minimale à ce poste. VGE n’était pas moins impliqué dans la politique africaine. Ministre d’Etat de l’Economie et des finances de1969 à 1974, il avait pris l’habitude de faire ses randonnées de chasse en Afrique, plus particulièrement chez son «pote» Jean Bedel Bokassa. René Journiac sera tué en 1980, au Cameroun, dans un tragique crash d’un avion du Président Bongo. Les conditions du crash alimentent encore les supputations car René Journiac n’était pas un «enfant de chœur». Ainsi, sous VGE, la France était intervenue en Mauritanie, au Tchad, en Centrafrique et les paras de la Légion étrangère avaient sauté sur Kolwezi. Le sort de Jean Bedel Bokassa aurait été scellé au Sommet France-Afrique de Kigali en 1979. Pourtant, à son arrivée au pouvoir, VGE prônait la «non-ingérence» dans les affaires africaines. Son ministre des Affaires étrangères, Louis de Guiringaud, pouvait continuer de dire : «Qu’avec 500 hommes, la France pouvait changer le destin de l’Afrique.»
La grosse désillusion Mitterrand
Le Africains avaient applaudi, en 1981, l’élection de François Mitterrand. En effet, Mitterrand clamait sa volonté de redéfinir ou changer radicalement les relations de son pays avec l’Afrique. Des intellectuels de gauche comme Régis Debray et Erik Orsenna l’y encourageaient. Patatras ! Mitterrand ne pouvait donner meilleur gage de conservatisme aux chefs d’Etat africains, qu’en nommant son propre fils, Jean-Christophe Mitterrand, comme le «Monsieur Afrique» de l’Elysée. Tout le monde était déçu, jusqu’au ministre des Affaires étrangères, Claude Cheysson, qui persiflait : «Ah, l’Afrique, ce sont les affaires domestiques. Elles se gèrent à l’Elysée, et pas au quai d’Orsay.» De toute façon, sous François Mitterrand, la France enverra des troupes expéditionnaires pour intervenir au Gabon, au Togo, au Zaïre, au Rwanda, au Tchad, etc. Ahmed Sékou Touré accusera François Mitterrand de chercher à déstabiliser la Guinée. Ce dernier, déjà fortement accusé en Afrique d’avoir «validé» l’assassinat de Thomas Sankara (1987), sera chahuté pour son attitude vis-à-vis des dirigeants africains. C’est dans ce contexte que Erik Orsenna lui servit de «nègre» pour son discours du 20 juin 1990, à la Baule. François Mitterrand fera la leçon à ses pairs en leur demandant d’entendre les appels à plus de démocratie. Il aura ainsi préconisé le multipartisme. Le discours de la Baule aura fâché quelques dirigeants africains et Mitterrand sera obligé de le diluer dans un autre discours, au Sommet de Chaillot, pour indiquer que «chaque pays devrait aller sur le chemin de la démocratie, à son propre rythme».
Chirac avoue avoir bu du sang de l’Afrique
Le successeur de Mitterrand installa au 2, rue de l’Elysée, Michel Dupuch, ambassadeur de France préféré de Felix Houphouët Boigny. Jacques Chirac se révélera d’un paternalisme singulier avec l’Afrique. Il n’hésitera pas à mettre les pieds dans le plat, le 18 juillet 1996, à Brazzaville, disant que «l’Afrique n’est pas encore mûre pour la démocratie». Le 6 novembre 2004, l’Armée française bombardera des aéronefs de l’Armée ivoirienne. Jacques Chirac reprochera à Laurent Gbagbo: «Laurent, regardes bien ce que tu as fait du pays de Houphouët.»
Pour sa sortie, il fera un testament de sincérité en soulignant au Sommet France-Afrique de Cannes en 2007 : «Nous avons saigné l’Afrique pendant quatre siècles et demi.» Le propos peut paraître sincère car des journalistes français rapportent que le 19 janvier 2001, en marge du Sommet France-Afrique de Yaoundé, Jacques Chirac leur faisait en privé cette forme de confession : «Ce continent, nous lui avons d’abord pris ses richesses (…) Aujourd’hui, on agit de même, mais avec plus d’élégance. L’Occident leur pique leurs cerveaux (…) Il s’agit là, à mes yeux, d’une autre forme d’exploitation. On s’est bien enrichi à ses dépens. Nous devons, c’est vrai, encourager la marche vers la démocratie. Mais sans arrogance, sans humilier.»
A son départ de l’Elysée, Jacques Chirac pourra alors se redécouvrir à faire le tour de l’Afrique pour plaider l’effacement de la dette et l’accès des populations aux médicaments.
Tout de Nicolas Sarkozy pouvait fâcher
Bruno Joubert, sera nommé Conseiller-Afrique de 2007 à 2009. A sa nomination comme ambassadeur à Rabat, il sera remplacé par André Parent (2009-2012), qui avait été ambassadeur bien réputé de la France à Dakar. Il reste que ce n’était sans doute pas sur un Nicolas Sarkozy qu’il fallait compter pour espérer une repentance, un propos de contrition de la France, pour son lourd passif en Afrique. Déjà ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy s’était montré acteur d’une politique très décriée de lutte contre l’immigration africaine en France et de mauvais traitements de Français d’origine africaine dans certaines banlieues. Qu’à cela ne tienne, Nicolas Sarkozy voudrait «nettoyer la FrançAfrique», affirmant : «Qu’il nous faut nous débarrasser des réseaux d’un autre temps, des émissaires officieux qui n’ont d’autre mandat que celui qu’ils s’inventent. Le fonctionnement normal des institutions politiques et diplomatiques doit prévaloir sur les circuits officieux qui ont fait tant de mal par le passé. Il faut définitivement tourner la page des complaisances, des secrets et des ambiguïtés.» Mais les Africains retiendront le plus de Nicolas Sarkozy, un passage de son discours de Dakar en 2007 dans lequel il considère que «l’homme africain n’est pas suffisamment entré dans l’Histoire». Il avait voulu, disait-il, parler en toute franchise mais les dégâts ont été irréparables. Ainsi, Nicolas Sarkozy aura mal entamé ses relations avec l’Afrique et il les terminera en laissant une image tout aussi désastreuse. Des élites africaines lui reprochent non seulement d’avoir planifié l’assassinat de Mouamar Khadaffi en 2011 mais aussi d’avoir fait gagner en 2010, la Présidentielle guinéenne à Alpha Condé. La Cellule-Afrique de l’Elysée était certes devenue moins flamboyante mais Nicolas Sarkozy a démantelé des bases militaires françaises en Afrique, a eu sa part d’interventionnisme militaire en Côte d’Ivoire, au Tchad et a bien eu à profiter des largesses des dirigeants africains par le truchement d’émissaires comme l’avocat Robert Bourgi et Patrick Balkany. Me Bourgi a pu révéler le tragique épisode avec Claude Guéant, des «Djembés» bourrés de liasses d’argent dans la cour de l’Elysée.
Francois Hollande, un petit héros en Afrique
Pour son premier voyage présidentiel en Afrique, François Hollande fera montre de candeur et clamait à Dakar vouloir redéfinir les relations de son pays avec ses partenaires africains. Il s’inclina devant la mémoire des tirailleurs sénégalais tués au Camp de Thiaroye en 1944, s’engagea à améliorer les pensions des anciens Tirailleurs sénégalais et remettra une partie des archives coloniales qui révèlent le rôle historique peu glorieux de la France. Mais Hollande finira par s’africaniser. Il enverra des troupes en Centrafrique, à Djibouti et maintiendra le dispositif au Tchad pour sauver le régime de Idriss Deby. Il sauvera aussi le siège de Ali Bongo au Gabon et déroulera le tapis rouge de l’Elysée à de nombreux dictateurs africains. Mais Hollande a pu rendre la France quelque peu sympathique en Afrique, en décidant opportunément d’intervenir au Mali pour stopper l’avancée des troupes djihadistes. Si aujourd’hui le Mali n’est pas devenu un émirat islamiste, il le doit à François Hollande.
Les erreurs de la Macron-formula
Le Président Macron voudrait casser tous les codes et envisager ses relations avec l’Afrique, sans complexe. Mais son caractère beaucoup trop iconoclaste le dessert. Emmanuel Macron cherche tant à se démarquer de la réputation peu flatteuse de nombre de ses pairs africains, qu’il lui arrive de poser des actes on ne peut plus maladroits. S’il parle à ses pairs africains, il est sur un ton de l’injonction, de la directive. La condescendance est manifeste, d’aucuns diront même le mépris. Emmanuel Macron a choisi unilatéralement de changer le format des rencontres traditionnelles entre la France et les pays africains. Ainsi, sera-t-il le seul chef d’Etat à son «Sommet de Montpellier» (8 octobre 2021) avec des jeunes, des membres de la Société civile ou des hommes d’affaires. On se demande bien ce que ses invités ont pu lui apprendre qu’il ne devait pas savoir déjà par ses différentes ambassades, les chercheurs et les autres sources d’informations. Du reste, Emmanuel Macron aura donné l’occasion ou la tribune pour invectiver la France et les différentes autorités africaines. La tribune était belle pour montrer devant les caméras de télévision un certain «héroïsme» devant le premier des français. Quelque part certains jeunes ont pu se dire satisfaits d’avoir vengé les affronts faits par les colonisateurs à leurs aïeuls. C’est dire que le Président Macron n’aura rien gagné de l’exercice de Montpellier. Au contraire, il aura froissé inutilement ses pairs africains qui pourraient se sentir ainsi snobés. La France n’a pas réussi à se rendre plus sympathique aux yeux des élites africaines. D’ailleurs la sélection opérée par l’Elysée pour constituer son échantillon représentatif des populations africaines et de leur perception du rôle et de la place de la France est très discutée. En effet, les personnes présentes à Montpellier ne sauraient parler au nom de l’Afrique ou représenter la jeunesse africaine. Assurément, la grande masse des jeunes en Afrique ne semblent pas se retrouver à travers les prototypes présentés. Ainsi, on continuera d’entendre des récriminations encore plus acerbes contre la France. Toutes les critiques faites à la France ne seraient sans doute pas justes ; on sait bien le travail de sape opéré par des puissances qui convoitent le marché africain. Mais force est de dire que Emmanuel Macron risque de braquer davantage du monde contre la France et sa politique africaine. Le sentiment anti-français qui a pu se développer en Afrique est vu comme porté par une jeunesse qui se veut «décomplexée» et qui voudrait carburer sur une légitimité forgée sur un échec plus ou moins palpable d’aînés qui ont failli. Emmanuel Macron s’est donc ouvert à un exercice d’échanges avec des jeunes du continent que les pays africains ainsi que leurs chefs d’Etat doivent être les premiers à mener. La levée de boucliers qui a suivi les différentes interventions suffit à donner une idée des logiques désarticulées et d’une perception cohérente et commune des rapports face à la France. Tout un débat et des intentions sont prêtées à des populations qui en dernier ressort sont bien loin de tout ce qui se décide. Au demeurant, on peut considérer que Emmanuel Macron a fini d’enterrer les messes France-Afrique car on verra difficilement un pays africain se porter désormais candidat pour l’abriter. Du reste comment réagirait le Président Macron si un pays africain avait invité les «gilets jaunes» ou les «blacks bocks» pour parler des relations France-Afrique et surtout dégager un fonds destiné à financer des groupes d’activistes français qui prôneraient davantage de démocratie ?
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