Présent à la 11e Assemblée générale de l’Union africaine de radiodiffusion à Kigali, au Rwanda, l’ancien directeur général de la Radiotélévision sénégalaise (Rts), Mactar Sylla, estime que les chaînes publiques doivent revenir à leur mission de service public. Actuel parton de Label Tv, chaîne de télévision privée panafricaine basée au Gabon, le Sénégalais qui a roulé sa bosse un peu partout en Afrique jette un regard sur l’évolution de la Télévision numérique terrestre (Tnt), mais aussi sur les enjeux qui interpellent l’audiovisuel africain.
Vous êtes devenu un Africain et les sénégalais ne voient quasiment plus leur ancien directeur de la Rts. Qu’est-ce que vous devenez aujourd’hui ?
Ce que j’essaie de faire, c’est de montrer ce grand groupe audiovisuel panafricain, international. Dans le domaine de la formation également, il faut des métiers de l’audiovisuel, de communication de manière large. En termes de formation, nous pouvons faire beaucoup de choses qui n’ont rien à voir avec la communication, en attendant de passer le relais à la jeune génération, parce qu’on ne sera pas là tout le temps. Je suis là depuis 36 ans.
Comment voyez-vous l’évolution de la Télévision numérique terrestre en Afrique ?
De manière générale, on peut dire qu’il y a des progrès. Disons qu’il y a une situation un peu inégale et pas linéaire. Il y a certains pays qui sont très avancés, qui ont pris toutes les dispositifs nécessaires et qui ont déjà fait leur migration. Ensuite, il y a de l’autre côté des pays qui n’ont absolument rien fait pour le moment.
A quoi cela est-il dû ?
C’est lié à une affaire de planification. Les gens ne mesurent peut-être pas la portée. On peut comprendre par analogie l’histoire du téléphone. Avant, les gens demandaient des lignes à la maison pour avoir le téléphone. Aujourd’hui, quand on vous disait qu’il était possible d’avoir les téléphones dans les villages, dans sa voiture, les gens pensaient que c’était impossible. Ça aussi, c’est lié au marché, au fait que la technologie évolue.
Les gens partent dans les conférences, votent les enjeux parce qu’ils comprennent, mais d’autres votent par suivisme et quand ils reviennent dans leur pays, il faut commencer à programmer. Si on vous dit que dans cinq ans des choses vont se passer, vous devez commencer à anticiper. C’est que de manière générale nous considérons que la culture et la communication ne sont pas des secteurs porteurs, économiques. On pense que les problèmes, ce sont seulement l’eau, l’électricité et la santé en oubliant que ce sont des outils transversaux. Si vous voulez faire une campagne de vaccination pour les enfants, si vous utilisez les médias, vous allez atteindre des taux de 100% ou 99% dans un temps très court.
Est-ce qu’il ne s’agit pas d’un problème de communication ?
Il y a un problème de leadership, de mise en œuvre, de suivi des décisions, d’application, mais aussi de moyens. Quand vous le programmez sur 5 ou 10 ans et que vous dégagez chaque année une partie du budget, c’est plus facile que d’attendre d’avoir le couteau sous la gorge et dire qu’il faut sortir des milliards et des milliards. Selon les pays, les gens parlent de 30, 40 à 50 milliards. Quand il n’y a pas de médicaments dans les dispensaires, l’université ne fonctionne pas, ce sera des questions de priorités à ce moment-là.
Où se situent les responsabilités ?
Il y a plusieurs niveaux. La première responsabilité, c’est celle des pouvoirs publics et des Etats qui sont allés signés à l’Uit (Ndlr : Union internationale des télécommunications). On est passé de la télévision noir et blanc à la couleur. C’est le marché qui le fixe et cela se fera. C’est une question de priorité. L’autre chose aussi, c’est qu’il faut effectivement de la communication. Il y a également des enjeux de production. Ça ne sert à rien de faire des autoroutes si vous devez mettre des charrettes et des «cars rapides».
C’est le problème du contenu dans les médias…
Effectivement. Il faut dès maintenant des questions de création, avoir des budgets pour aider à l’émergence des sociétés de production indépendantes qui vont absorber une partie du chômage des jeunes, créer des écoles de graphistes, de communication digitale. C’est un ensemble d’outils qu’il faut mettre en œuvre, mais aussi communiquer en direction du public et des audiences.
Trois ans après le lancement de la Tnt en Afrique, le bilan est-il satisfaisant ?
C’est un boulevard d’opportunités qui est offert aujourd’hui à l’Afrique. Il faut constater de manière générale que le coût des équipements a beaucoup baissé. Il y a davantage de qualité dans la production, mais si on veut être regardé et écouté, il faut mettre en place un certain nombre d’outils. C’est également en termes d’emplois, des opportunités pour les jeunes. C’est une opportunité d’être au même niveau que celui qui se trouve à l’autre bout du monde. Là où par contre il faut mettre un bémol, c’est le fait qu’on n’est pas bien préparé au niveau du contenu. Nous allons recevoir beaucoup de signaux étrangers qui véhiculent des cultures, des valeurs, une manière de penser et qui ont des impacts sur nous-mêmes. La technologie n’est pas neutre.
Pour revenir au contenu, est-ce qu’il sera facile pour les chaînes publiques de répondre aux attentes du public, sachant que celui-ci est souvent instrumentalisé ou orienté par le régime en place un peu partout en Afrique ?
Il faudra que les chaînes publiques s’adaptent. Elles doivent être des chaînes de service public. C’est un bien commun financé par les fonds publics. Donc, il faut absolument qu’elles reviennent à leur mission essentielle. A l’époque, je disais à la Rts que «le public, c’est notre raison d’être. C’est cela sa mission».
Ce que les études montrent aujourd’hui, c’est que les chaînes privées font plus d’audience que la chaîne publique. De manière générale, si vous voulez inverser cette tendance, il faut être plus professionnels, plus ouverts. Ce n’est plus l’ère du monolithisme, il faut que cela soit une télévision plurielle où les gens se reconnaissent. C’est vrai aussi que la question du financement de l’audiovisuel public se pose et qu’il faut absolument le régler.
Que vont devenir les chaînes qui ne seront pas prêtes à la date butoir fixée en 2020 pour le passage à la Tnt ?
Elles seront larguées. Donc, que vous fassiez la tribune du Président, du parti au pouvoir, vous n’aurez que les 8% d’audience, parce que les gens vont regarder autre chose. Il y a les chaînes privées, les autres chaînes africaines, étrangères. Si vous n’êtes pas compétitifs, vous vous faites larguer. Je ne vais pas aller jusqu’à dire que ce sont des chaînes vouées à la mort, mais c’est presque cela. Et ce qui est dommage, c’est que dans ces chaînes publiques, il y a des talents. Vous les mettez dans une chaîne privée, mais vous vous dites que ce n’est pas la même personne. Pour résumer, je crois que c’est le temps de l’action. Il faut qu’on soit à la hauteur des enjeux de la modernité.
Parlons des droits de retransmission des compétitions sportives. Quelle lecture en faites-vous ?
Il y a une escalade financière intenable. Je ne me vois pas sur ce terrain. Pour un événement ponctuel, important certes qui est beaucoup regardé, je ne vais pas prendre tous mes moyens et les mettre dans un événement qui dure un mois. Je préfère les mettre dans beaucoup d’autres choses. Prendre un million d’euros, je préfère les utiliser à des choses plus structurantes. Là-dessus, il faut que nous Africains apprenions à nous faire confiance aussi. Il faut que la Caf remette les choses à plat. Il y a des agences, des compétences africaines et voir ce qu’on attend de ces droits sportifs. Il faut trouver d’autres formules pour que cela ne soit pas seulement la télévision publique qui acquiert les droits. Que chacun puisse s’y retrouver ! Il y a une réflexion profonde qu’il faut avoir pour que chacun y trouve son compte. Il faut que les Africains se fassent confiance. Ce n’est pas une question de racisme, mais on ne verra pas un Africain organiser les championnats de l’Asie ou de la Coupe d’Europe.
Suivez-vous l’actualité au Sénégal ?
Je suis ce qui se passe là-bas. Aussi bien dans les réseaux sociaux, le web… J’ai des projets là-bas, comme j’en ai un peu partout d’ailleurs en Afrique. Si on ne le fait pas, ce sont les autres qui vont venir le faire. Je me dis que «j’ai la responsabilité de le faire. C’est une responsabilité sociale». Donnons plus d’opportunités à notre continent, à sa jeunesse… Et si je peux être en Asie, eu Europe, dans les pays arabes, je le ferai. Que d’autres fassent la même chose ! Ce ne sera que bénéfique pour l’Afrique.
Comment voyez-vous l’évolution de l’audiovisuel sénégalais ?
Je trouve que le marché sénégalais est très étriqué. Ensuite, il y a la contrainte de la langue. On parle beaucoup wolof, mais c’est maximum pour 15 millions de personnes. En Afrique, ce n’est pas facile de regarder quand vous ne parlez pas la langue. Ça pose des problèmes. Il faut un véritable travail de régulation.