Bachir Fofana, qui anime cette rubrique du «Contrepoint», est embastillé depuis plusieurs semaines pour un motif qui dépasse de loin le ridicule. Bachir Fofana dérange la doxa pastéfienne à tel point qu’il a fait l’objet de plusieurs représailles dès leur arrivée au pouvoir. Déjà, les roquets dans les médias et sur les réseaux ne cessent de le calomnier et de l’abreuver d’injures depuis des années. Parmi les mesures d’urgence de ce régime, il y eut le licenciement de Bachir Fofana pour le priver de ses revenus. Un de leurs caricaturistes serviles ne rate jamais une occasion pour flétrir Bachir Fofana, avec un art très admirable du mauvais goût.
Pour eux, la mauvaise nouvelle est qu’il en faut davantage pour terroriser Bachir Fofana, journaliste rompu à l’art de la polémique, du débat vif et des entourloupes politiciennes. De ce point de vue, sa famille et ses amis n’ont aucun souci à se faire, tellement l’homme est préparé à cet acharnement judiciaire qui n’est que la suite naturelle de multiples campagnes de harcèlement dont à chaque fois la brutalité renseigne sur le caractère de celles et ceux qui en sont les auteurs et les promoteurs. Bachir Fofana vit son sort actuel avec dignité et courage, loin des saillies de ceux-là qui purgeaient leur peine dans des cliniques huppées de la capitale. Lui sourit pendant que son bourreau affiche toujours une mine d’enterrement…
En envoyant Bachir Fofana au fond d’une geôle pour des motifs sans fondement, pour y retrouver Abdou Nguer, Moustapha Diakhaté et tant d’autres voix dérangeantes du pays, le parti Pastef est dans sa logique sans cesse revendiquée : l’effacement de toutes les libertés au profit de celle unique du néo-guide des foules populistes, ces bonnes âmes en errance, faute de boussole républicaine. Suivant Bernanos, «les ratés ne vous rateront pas».
D’ailleurs, la dernière victime sur la liste des personnes bannies car jugées trop libres et en délicatesse avec la parole de l’ayatollah du «Mortal Kombat», est mon ami Badara Gadiaga. Ce dernier est en prison depuis près d’une dizaine de jours pour des charges qui feraient rire tout esprit censé, n’eût été le caractère préoccupant de la pente actuelle de notre démocratie. La liberté est trop sacrée pour que l’on s’amuse à la détricoter avec légèreté et irresponsabilité.
En vérité, comme tous les autres avant lui, et comme les prochains sur la liste macabre, Badara Gadiaga est coupable d’avoir refusé de prêter allégeance, préférant, clame-t-il, «cent ans de prison à une seconde de liberté sans honneur ni dignité». Parmi les fautes qui seront fatales au parti Pastef, figure celle-ci : considérer que l’équation est le silence ou le cachot. Il s’agit d’un pari pascalien à l’envers, perdant à tous les coups ; car sur cette terre ancrée dans la démocratie et la liberté, penser régenter les consciences, dompter les esprits et imposer une dictature relève au mieux de la cécité politique, au pire d’une crasse ignorance. Voire les deux…
Dans ces colonnes, des années durant, j’ai tenté de décrire la vraie nature du parti Pastef, dans l’opposition déjà : son socle outrancier, son refus du débat contradictoire, ses méthodes violentes et sa mécanique de la terreur. Il ne faut guère s’étonner que les recettes populistes qui ont marché et ont conduit ses tenants au pouvoir soient abandonnées au profit d’une illusoire normalisation qui serait un retour dans le cadre républicain. Perdent leur temps et leur énergie nos compatriotes, certains animés de bonne foi, qui croient aux promesses de ces gens, à leur capacité à s’ajuster pour rentrer dans le moule républicain. Ceux qui pensent que des alliances autour de la préservation de l’Etat de Droit et de la République avec ces gens est possible, se rendront compte qu’ils perdent leur temps. Seul un antagonisme radical et résolu dans le temps vaincra contre Pastef.
Personnellement, que des citoyens innocents soient jetés dans les prisons par un régime Pastef pour des motifs vaseux ne me surprend guère. En revanche, le silence des intellectuels, qui alignaient les pétitions jusqu’à l’écœurement, m’intrigue, voire me déçoit. Pour être plus précis, je ne suis guère surpris par l’activisme de certains à glisser leur signature partout pour récolter une petite gloire ou se donner un petit frisson révolutionnaire. Mais d’autres, qui juraient sur tous les Livres saints qu’ils ne luttaient que pour la liberté, la démocratie, l’Etat de Droit, entre autres valeurs, emportent ma peine. Ils valent mieux que ce silence qui pourrait traduire une forme d’opportunisme plutôt coupable et inacceptable pour des penseurs dont le limon fertilisant devrait être la liberté.
Les droits des citoyens sont foulés aux pieds, les attaques contre la Justice viennent du sommet de l’Etat, la volonté d’ériger un Etat-parti est publiquement annoncée, la liberté tend à être cadenassée. Malgré toutes ces menaces qui peignent un ciel sombre sur le Sénégal, la dérobade des anciens pétitionnaires, intellectuels reconnus ou autoproclamés, signifie-t-elle un aveu de complicité ou un abandon des positions de sentinelle d’hier ? Demain, ces voix affaissées auront une grande peine pour pouvoir encore s’exprimer et espérer être audibles et crédibles…
Bachir Fofana et tous les détenus d’opinion sont victimes de la volonté d’effacement de l’effaceur en chef, armé de son inculture et de son absence de tenue. Bachir est en détention parce qu’il dérange l’ordre injuste en cours d’installation, mais qui échouera car il se heurtera à des Sénégalais dressés comme un rempart contre la tentation absolutiste et pour la préservation de la liberté.
L’économie du Sénégal est dans une situation de mort clinique, le crédit du pays est entamé à l’international, une crise de régime s’annonce, et des millions de Sénégalais espèrent une vie meilleure, dans la dignité et la décence. Or, l’urgence de ce régime est ailleurs, dans la vaine tentation d’imposer une autocratie. Croire imposer une chape de plomb sur le pays et anesthésier le potentiel libertaire du Peuple sénégalais, c’est aller à contresens de l’histoire.
Ma part de «Contrepoint» est de crier jusqu’à ce que ma voix résonne dans leur cachot : Free Bachir Fofana ! Free Moustapha Diakhaté ! Free Badara Gadiaga ! Free Abdou Nguer !
Par Hamidou ANNE