Directeur artistique de «Kaddu Yaraax», Mamadou Diol, parle du confinement de sa compagnie théâtrale avec l’intrusion du Covid-19 au Sénégal. Dans cet entretien, notre interlocuteur a porté sa robe d’avocat pour défendre les «Modou Modou» (émigrés sénégalais), qui font l’objet d’une stigmatisation surtout que la responsabilité de la propagation du virus a été imputée à un des leurs une fois revenu d’un voyage en Europe. L’interview a été réalisée bien avant la Journée mondiale du théâtre célébrée le 27 mars dernier.

Vous disposez d’une salle de spectacle nouvellement construite ? Pouvez-vous nous dire comme vous en êtes arrivés à en disposer ?
C’est un vieux projet de la ville de Dakar. C’est un projet qui s’appelle développement de l’animation culturelle et artistique. Une idée de feu Oumar Ndao, qui voulait cinq pôles artistiques majeurs. Un pôle théâtre qu’on nous a confié, un pôle cinéma Alain Gomis au Point E, un autre pôle musique Vieux Mac Faye à Yoff, un autre pôle avec Sow à Dakar-Plateau. C’est l’actuel directeur de la Culture et du tourisme qui a mis ça en œuvre. Il s’agissait pour nous de prendre un espace dans l’enceinte du centre culturel (Yaraax) et de construire avec nos propres ressources. Le coût est de 15 millions de francs.
L’idée, c’était de faire une salle polyvalente où on puisse faire des répétitions, du spectacle et un espace d’animation culturelle. Nous venons tout juste de finaliser les ouvrages de second niveau, c’est-à-dire l’électrification, les câblages.
L’autre site que nous avions, nous le gardons pour l’hébergement des hôtes qui viendront pour le déroulement d’un programme de liaison entre le Sénégal et d’autres pays avec qui nous travaillons globalement. Sous ce rapport, nous allons avoir de nouveaux programmes qui consisteront à nous habituer à cette nouvelle salle. Après, on va commencer les phases de préfiguration. On a permis à un groupe de théâtre de faire une résidence de trois jours ici. Après, on a fait une séance de production de film. On a fait des préfigurations de répétition de théâtre sur la base de création. Maintenant avec le contexte sanitaire au niveau mondial, l’essentiel des activités est à l’arrêt. Nous sommes dans une sorte de confinement théâtral. On privilège les activités individuelles comme l’écriture, tant que ça se passe.

Vous dites que cette salle est un projet de la mairie alors que vous affirmiez l’avoir financée sur fonds propres…
Théoriquement, c’est la mairie de Dakar qui a octroyé l’espace où est implantée la salle.  On a fait un contrat avec la Division culturelle de la ville de Dakar. Dans ce contrat, on va vers un accord. On se charge de tout ce qui est représentation théâtrale par rapport à ce qui est en rapport avec la Ville de Dakar et eux vont nous accompagner dans l’accomplissement de ces activités. La salle devait être inaugurée ce mois-ci. Mais c’est reporté sine die.

Le coronavirus a tout freiné ?
On avait un calendrier bien fourni. Des workshops internationaux, on devrait faire une tournée à l’étranger. Tout cela est à l’eau. Au niveau international, tous les programmes sont chamboulés. Personne ne peut dire quand est-ce cela va se décanter. Nous sommes en confinement théâtral.

Comment vivez-vous ce confinement théâtral ?
C’est très problématique. C’est extrêmement difficile sur le plan économique. Le confinement on le fait pour rompre la chaîne de contamination, faire attention. C’est l’essentiel de notre patrimoine culturel qui vient d’être interrogé.
Ne pas être ensemble, ne pas se saluer, ne pas se regrouper, ne pas se parler, annuler tout ce qui est conversation communautaire. Là, c’est le sens de notre vie en communauté qui est même remis en cause, repensé. Ce sont des phases très difficiles à gérer, c’est normal. Et puis, c’est un apprentissage nouveau. C’est à peu près les conséquences de nos responsabilités sur le plan environnemental et nos rapports avec la nature. Aujourd’hui, nous devrions nous retrouver même en Tunisie.

Vous conscientisez quand même la masse pour combattre le Covid-19…
A ce niveau, il est extrêmement difficile pour un groupe de théâtre de combattre le coronavirus. Ce que l’on peut faire, ce sont ces types de conversation où les  gens sont ensemble. On a fait les théâtres de forum de rue. Pour le moment, ces genres de représentation sont inéligibles. On a essayé de faire des vidéos pour montrer comment se laver les mains, comment lutter contre le coronavirus. Eviter la stigmatisation.

Percevez-vous le Covid-19 sous l’angle d’une punition de Dieu après que l’humanité se soit trop écartée du chemin que le Tout-Puissant a tracé ?
Je ne perçois pas cela sous l’angle confessionnel, Dieu est bien. Il ne nous punit pas. Nous sommes en train de subir les conséquences de nos propres attitudes, nos propres comportements, nos rapports avec la nature ont été désastreux. On l’avait dit, les scientifiques nous avaient prévenus. L’industria­lisation, le capitalisme sont privilégiés.
Mais ce qui fait mal, c’est qu’on pourrait payer un lourd tribut sur des actions qu’on n’a pas commises. Ceux qui les ont commises, ils ont les moyens de se défendre, de s’en sortir. On devrait faire attention et faire des efforts pour rompre la chaîne de contamination et puiser au fin fond de nos ressources très précieuses. C’est culturel, on sait s’organiser pour aider ceux qui en ont besoin. En tant que Sénégalais, on a ces ressources-là. On s’en sortira.

Le Covid-19 sera-t-il une source d’inspiration pour le théâtre-forum ?
Beaucoup de catastrophes ont été très inspirantes pour les artistes, globalement. Cela ne devrait se limiter à montrer ce que les gens ont vécu mais devrait inciter à ce que ces genres de situation ne soient pas vécus.
Le coronavirus a interpellé notre système de santé. Aujourd’hui qu’on soit citoyen, autorité, tout le monde est pareil devant la situation, les puissances économiques. Personne ne voyage, on est obligé de rester sur place. Il est possible de rester, de se soigner ici. C’était le sort des plus pauvres.
On s’est rendu compte que l’Europe telle que pensée n’était pas cela. Et que les écarts que l’on pensait entre l’Europe et nous ne sont qu’un simple mythe. On se connaît maintenant. On est obligé de le faire.
On ne devrait plus compter sur personne. On devrait prendre notre indépendance économique. Si ça crée cette solidarité entre Africains, fermer des frontières, ça peut être une solution passagère. On devrait  protéger les populations. Cela est en train de se faire.
Ce que nous sommes en train de faire, c’est un théâtre décolonisé. Le théâtre qui joue avec son public, qui utilise nos dramaturges. Ça interpelle tout le monde, une affaire qui commence en Chine, qui passe par l’Europe pour aboutir en Afrique. Cette mobilité est un truc très inspirant. Les gens veulent quitter l’Europe pour revenir, ce sont des choses inspirantes. Ça bascule en une semaine.
Tous les fondamentaux qu’on nous a fait savoir se sont révélés faux. On a pensé que la foi avait la puissance de fermer ces phénomènes.  Maintenant, on a fermé frontières. On croyait que la culture était inaliénable, les gens ne pouvaient pas s’en passer. Cela s’est révélé faux. Chacun reste chez soi. Tous les hommes sont égaux.

Les «Modou-Modou» sont ceux qui ont le plus payé les frais de l’intrusion du Covid-19 avec le premier cas importé ayant valu beaucoup de contaminations au sein de sa fa­mil­le. Vous êtes monté au créneau pour dé­fendre ce compatriote qui a fait l’objet d’une stigmatisation ?
Le lynchage collectif du sieur appelé «Modou-Modou» devient problématique. Ce qui lui est arrivé pourrait arriver à tout un chacun. Il est rentré chez lui, c’est tout. D’autres arrivent (Ndlr : l’interview a été réalisées avant les mesures prises contre le coronavirus). La communication des autorités de la santé est irrespectueuse. Le «Modou-Modou» est livré à la vindicte populaire. Soutenons tous les infectés pour qu’ils guérissent et rejoignent le camp de la sensibilisation. C’est ensemble que nous arriverons à bout de cette épidémie. Je suis «Modou Modou».