Le développement durable passe d’abord par les communes, notamment avec les communautés à la base. C’est la conviction de Mme Sy Mame Aïssatou Mbaye, Point focal pour le partenariat Union européenne-Enda tiers monde, chargée de projet à Enda Ecopop pour le Renforcement du rôle et de la place des sociétés civiles du Sud dans la mise en œuvre d’un agenda 2030 transformateur. Elle aura à défendre cette position la semaine prochaine à New York, lors du Forum politique de haut niveau (Fphn) sur la mise en œuvre des Odd.
En 2015, l’Onu avait fixé les 17 Objectifs de développement durable (Odd) horizon 2030. Quel regard portez-vous sur les réalisations du Sénégal jusqu’ici ?
Le Sénégal est en train de faire des actions remarquables dans le domaine du développement durable et a pris des mesures institutionnelles en ce sens, notamment avec l’alignement du Pse dans sa seconde phase avec les Objectifs du développement durables. Et si vous regardez un peu notre rapport d’examen volontaire national de 2018, vous verrez que l’Etat du Sénégal est revenu sur les 17 Odd en lien avec les orientations stratégiques du pays. Mais il reste encore beaucoup de choses à faire en termes de territorialisation des Odd. En termes plus simples, il est aujourd’hui important que l’on replace les Collectivités territoriales et les communautés de la base au cœur des processus et à travers un apprentissage du développement durable. De la même manière, il est important de décloisonner la réflexion autour des secteurs et de la rendre plus systémique. Il est aussi très important pour notre pays de contextualiser les cibles des Odd, les adapter à nos réalités. Et pour y arriver, il est tout aussi important dans cet exercice de valoriser davantage les expériences et expérimentations de la société civile sénégalaise.
Dans quel domaine le Sénégal est-il en avance ?
Il sera très difficile de faire cette appréciation sectorielle et c’est justement l’erreur à ne pas commettre. Les Odd sont universels et indissociables. Ils constituent un tout. C’est ce qui fait qu’en termes de suivi, on est en train de faire des choses certes, mais il reste encore beaucoup à faire en termes de centralisation des résultats, surtout de mise en relation des Odd (principe d’interdépendance et d’indivisibilité des objectifs).
Pour donner une position objective par rapport à cela, il faut avoir l’ensemble des éléments qui concourent à ces objectifs. Si on prend par exemple l’éducation, l’Etat du Sénégal engage des actions en ce sens. Les partenaires techniques et financiers interviennent aussi, de même que la Société civile qui travaille beaucoup sur le terrain. Et il faudrait que l’ensemble de ces éléments soient, de manière intégrée, exploités pour en tirer des informations dites de suivi. Des efforts sont consentis dans cette dynamique, mais il reste beaucoup de choses à faire encore.
Retenons de manière optimiste que le Sénégal est sur la bonne voie par rapport à cet agenda 2030, mais qu’il va falloir que l’on comprenne davantage que c’est la fin des politiques sectorielles strictes et, qu’aujourd’hui, c’est l’avènement d’une approche beaucoup plus globale de la politique. D’ailleurs, c’est l’une des transformations à réaliser.
L’accès à une éducation de qualité figure parmi les 17 Odd. Dans un rapport de la plateforme des organisations de la Société civile pour le suivi des Odd 4, on demande à ce qu’on revoie la donne en introduisant par exemple les langues nationales dans les apprentissages. Qu’en pensez-vous ?
Je ne suis pas spécialiste en éducation, mais à mon humble avis il y a des avancées certes, mais il reste encore à faire. Le développement, c’est un chemin, tout un processus. C’est comme un enfant qui naît, qui grandit. Donc, on y va graduellement. L’introduction des langues nationales dans notre système éducatif est une bonne chose. C’est scientifiquement démontré que cela peut être très positif pour nos enfants. Mais il faut y aller pas à pas, en y associant aussi les communautés. Cette introduction reste une approche très pertinente qui va nous aider, peut-être, à relever certains défis de notre système éducatif.
On sait qu’Enda, avec l’Union européenne, a un programme consacré à la mise en œuvre des Odd. Que faites-vous exactement pour accompagner l’Etat dans la réalisation de ces Odd ?
Enda a des entités autonomes et chacune d’elles travaille dans un secteur. Par exemple l’énergie, la gouvernance, la démocratie, l’accès à l’eau, la santé, il y a plusieurs entités d’Enda qui sont en train de travailler sur chaque Odd. Et ça, on le fait depuis très longtemps. Cela n’a pas commencé en 2015. Donc, l’Etat du Sénégal a à gagner à intégrer dans ses analyses et démarches les expériences de terrain d’Enda. Le développement durable se passe à la base avec les communautés, et Enda travaille exclusivement avec ces catégories d’acteurs. D’ailleurs, c’est pour cela que l’Union européenne nous a fait confiance et a noué ce partenariat. Là on vient de retenir un accord avec eux pour appuyer le réseau Enda tiers-monde à davantage matérialiser et réussir cette transformation que l’agenda 2030 a comme objectif. Donc, Enda est en train d’œuvrer en ce sens à travers ces différentes entités et il y a beaucoup d’expériences qui sont capitalisées au niveau local avec les communautés à la base et avec les Collectivités territoriales qui pourraient servir à l’Etat du Sénégal. Notre Etat gagnerait à accorder plus de marge à la consultation et la concertation en ce qui concerne la Société civile, surtout dans ce contexte où il a ratifié l’agenda 2030.
Les Objectifs du millénaire pour le développement (Omd) n’ont pas été atteints. Qu’est-ce que le Sénégal doit faire pour atteindre les Objectifs de développement durable (Odd) fixés en 2030 ?
Personnellement, je ne fais pas de fixation sur l’atteinte des Odd, c’est-à-dire coûte que coûte atteindre ces objectifs. Mais il y a un pari que le Sénégal devrait mettre sur la table et essayer de le gagner : le pari d’inculquer à sa population une éducation citoyenne, une éducation au développement durable. Déjà si on réussit ce pari, cela nous permettrait en 2030 d’avoir une nouvelle génération de populations. Moi comme vous, nous allons changer notre mentalité. Nous allons changer notre comportement, notre manière de faire par rapport à notre environnement immédiat par exemple. Et rien que cela, c’est un gain énorme parce que dès que tu changes de comportement et que tu tends vers le développement durable, tu deviens une autre personne. Et forcément les résultats vont suivre en termes de durabilité des actions de développement.
L’autre aspect aussi, c’est de trouver davantage de passerelles entre les secteurs. D’ailleurs, les organisations de la Société civile comme Enda tiers-monde ont mené beaucoup d’actions de plaidoyer en ce sens. Il faut vraiment qu’on arrive à trouver des actions qui vont davantage engager les citoyens, davantage mettre au cœur de nos processus les Collectivités territoriales, les communautés à la base, prendre leurs expériences, les intégrer dans la réflexion globale et ensemble on pourra y arriver. C’est en fait un apprentissage du développement durable qu’il nous faut faire avec les populations ; d’où la pertinence et la nécessité de laisser davantage de place à la Société civile. Et c’est ce que l’Union européenne a compris, surtout par rapport au principe de ne laisser personne derrière «Leaving no one behind». Un point essentiel de l’agenda 2030 pour lequel Enda pourrait aider l’Etat de manière considérable. Mais il faut reconnaître qu’il y a encore beaucoup à faire en termes de sensibilisation et d’information des acteurs sur ce qu’est réellement le développement durable, dans son esprit, sa logique et sa philosophie. Et ces actions de sensibilisation concernent même les acteurs de l’Administration publique ou privée.
Quelle position allez-vous défendre au Forum politique de haut niveau (Fphn) sur la mise en œuvre de ces Objectifs de développement durable prévu la semaine prochaine à New York ?
Ce sera la position d’Enda tiers-monde qu’on va essayer de défendre. Et cela va tourner autour de la territorialisation ou de la localisation-domestication des Odd. Ce sera vraiment de ramener les Odd à l’échelle de la gouvernance locale, à l’échelle la plus basse, c’est-à-dire au niveau de nos communes. Le développement durable se passe dans nos Collectivités territoriales. L’Etat sera toujours là certes et c’est même bon que l’Etat soit là pour encadrer, mettre le cadre juridique et normatif. Mais au-delà de cela, il faut vraiment qu’on ramène ces Objectifs de développement durable à l’échelle des territoires parce que les choses se passent là-bas.
Le développement durable, ça ne se fera pas ailleurs. C’est dans nos communes, c’est avec les communautés à la base que les choses se feront. Donc, ce sont ces positions qu’on aura à défendre pour ce forum. Et tout va tourner également autour du rôle de la société civile, en plus des Collectivités territoriales et des communautés à la base. Parce que ce sont ces maillons qui sont aujourd’hui très importants dans le processus de la mise en œuvre d’un agenda transformateur. Parce qu’on parle d’agenda transformateur, on veut transformer notre monde. Et on connaît la société civile pour son plaidoyer, son accompagnement, son coaching vis-à-vis des communautés à la base et des Collectivités territoriales. Tout ce que l’Etat peut faire, c’est de nous accompagner dans ce processus et d’accorder plus d’attention aux expériences venant de la base. Ce sont ces genres d’idées qu’on va essayer de partager au Fphn.
Parmi les 17 Odd, quels sont les plus importants à réaliser pour le Sénégal ?
Pour notre pays, tout est important en termes de développement durable parce que les Objectifs de développement durable reviennent sur notre vie au quotidien. Il y a les aspects de changement climatique, d’eau et d’assainissement, de la santé, de l’éducation, de la lutte contre la pauvreté, etc. Je pense que chaque Odd que tu prends, tu trouveras quelque chose que le Sénégal aura à faire forcément pour changer les choses et transformer la situation actuelle. Mais je pense qu’il y a un Odd qui est important qui est le pilier de tous les autres : c’est l’Odd 16 qui parle globalement des aspects de gouvernance. Parce que ça parle de paix, de justice, d’équité, d’égalité, etc. Ce sont des choses qui sont essentielles pour régler tous les problèmes de développement, c’est-à-dire que dans n’importe quel secteur que tu prendras, la gouvernance sera capitale. Si tu prends l’eau, si elle n’intègre pas la dimension gouvernance, si on n’a pas un bon dispositif ou mécanisme de gestion, on aura toujours les mêmes problèmes. C’est la même chose concernant les ressources naturelles, les inondations ou n’importe quel autre domaine. Et cette gouvernance doit impérativement aller vers la participation. Les citoyens doivent être présents à tous les niveaux du processus. Et on a maintenant de plus en plus un éveil citoyen qu’il faut considérer et anticiper là-dessus. Les gens prennent conscience des choses, ils comprennent comment le système fonctionne. Les informations circulent très rapidement, les réseaux sociaux font partie de notre contexte. Et forcément, on ira de plus en plus vers une demande citoyenne en termes de redevabilité ou de transparence. Donc, mieux vaut essayer de bien travailler sur l’Odd 16 et d’améliorer nos processus en ce sens pour des transformations sociétales durables !