La ville de Diamniadio qui sort progressivement de terre n’est pas une smart city, estime l’architecte Mamy Tall. La spécialiste sénégalaise ne voit aucune possibilité que cette ville devienne intelligente avec ses infrastructures indépendantes les unes des autres et mal adaptées au contexte du Sénégal. Elle s’exprimait hier en marge d’une table ronde portant sur le thème de «Ville durable et ville connectée», organisée dans le cadre de l’opération Dakar 2020 par le Club immobilier Marseille Provence, à Dakar.
Tout à l’heure, vous avez abordé dans votre intervention la thématique de smart city. Comment peut-on déterminer les caractéristiques d’une smart city ?
Une smart city est une ville construite en mettant l’homme au cœur, c’est-à-dire en prenant en compte ses déplacements mobiles, avec la voiture, sa manière d’habiter et d’occuper l’espace. A Dakar, il y a une forme d’anarchie qu’on a réussi à développer tant bien que mal malheureusement. Au final, le rendu n’est pas assez catastrophique, mais entre-temps nous avons perdu l’identité architecturale. Il y a beaucoup de règles qui ne sont pas respectées dans les constructions. Vous avez des immeubles très hauts à côté des maisons très basses, alors que normalement il y a une cohésion dans le tissu urbain. Ces genres de choses créent un dérèglement du tissu urbain. Une smart city c’est justement une ville où il est agréable de vivre ou de se promener, où on peut visiter des choses, aller dans des parcs… Une ville où les enfants peuvent jouer dans les maisons sans s’exposer aux dangers de la rue. Dans les maisons maintenant, les gens ne mettent plus de cour, ni de parking, parce qu’ils veulent utiliser les espaces au maximum. Donc, la voiture se retrouve à l’extérieur, il n’y a pas de végétation, les enfants étouffent. Le fait de jouer dans la rue, c’est bien parce que ça fait partie de la culture, comme le fait d’avoir la rue qui vient chez nous. Nos grands-parents avaient dans leurs maisons des cours, tous les espaces qu’il fallait. Donc je ne vois pas pourquoi aujourd’hui, à cause de la modernité, nous soyons obligés à changer la tradition. Je pense qu’il faut juste moderniser.
Qu’est-ce qui est à l’origine de ce dérèglement ?
Je pense que ce dérèglement s’explique par l’industrialisation galopante et la course à l’infrastructure. Beaucoup de gens trouvent que Dakar est très développée par rapport aux villes ivoiriennes, togolaises… mais le développement c’est des perceptions différentes en fonction des gens. Moi par exemple, Lomé est développée pour moi, parce qu’il y a des espaces verts, des lagunes en plein milieu de la ville. C’est tellement beau, on peut marcher dans la rue, c’est agréable. Ici à Dakar par contre, il y a beaucoup d’attractions, beaucoup de choses, des centres commerciaux… Ce que nous avons à Lomé, nous ne l’avons pas à Dakar.
Donc c’est important d’avoir ce juste milieu entre ces deux-là. Il existe des jardins désertiques, il y a beaucoup de pistes à explorer. Mais on est venu nous vendre un certain type de fabrication, de manière de faire et maintenant c’est comme si nous n’avons pas le recul de voir qu’il y a tellement de choses à faire. Les gens n’ont plus l’habitude qu’on leur demande avec quels matériaux ils veulent construire. Pourtant, il y a d’autres matériaux à exploiter. Il faut que les gens soient rééduqués par rapport à cela et qu’ils comprennent que c’est important de pouvoir occuper l’espace, de bien vivre. En ville, vous ne pouvez plus vous balader sans manquer de vous faire écraser. Vous descendez des trottoirs, vous remontez, etc. Au point que les gens n’ont même pas la possibilité d’explorer la ville, de lever la tête, de voir les bâtiments. C’est à nous aussi, en tant que jeunes architectes urbanistes, de venir et de montrer des choses, de dire ah, mais imagine si c’était comme ça. Ils vont dire ah, mais ç’aurait été mieux. Oui, mais pourquoi tu ne l’as pas fait comme ça ? Ils vont répondre que parce qu’ils voulaient aller plus vite, que c’est moins cher etc.
Ce que vous êtes en train de souligner ne risque-t-il pas d’être transféré dans la nouvelle ville de Diamniadio ?
J’ai commencé à étudier Diamniadio quand ils ont commencé à sortir les plans directeurs qu’on voyait sur Google. J’avais vu qu’il y avait un certain aménagement, c’était très coloré, il y avait des bandes vertes, des espaces et tout. Je me suis dit qu’il y a un potentiel pour rattraper le coup. Pas rattraper le coup en soi de Dakar, mais montrer qu’on peut avoir une ville idéale avec nos propres matériaux locaux, nos propres artisans, nos propres architectes. Quand j’ai vu qu’il y a des bâtiments qui commençaient à se faire progressivement, je me suis dit peut-être qu’ils vont commencer avec une grosse infrastructure avant de faire la viabilisation. Moi sur un chantier, s’il y a un jardin, la première chose c’est de planter mes arbres, parce que cela va prendre du temps à pousser. Mais malheureusement à Diamniadio, nous n’avons même pas vu ce travail en amont. Il n’y a pas un seul carré d’espace vert. C’est le désert. Ce sont des infrastructures, c’est comme des ordinateurs. Des infrastructures qui se suffissent et qui ne se parlent pas, ne dialoguent pas, qui n’ont pas de lien entre elles. Au final, on ne voit pas du tout de possibilités que ça devienne une ville. Et du fait que Diamniadio est coupée par une autoroute et qu’il n’y ait pas de passage piéton d’un côté et de l’autre, on se retrouve avec Diamniadio nord et Diamniadio sud d’une certaine manière. Le pont qui relie Diamniadio nord à Diamniadio sud a une seule voie. Si un camion s’arrête en plein milieu et tombe en panne, personne ne peut aller au travail. Tout ça, c’est des problématiques que vous voyez au fur et à mesure et vous comprenez qu’ils n’y avaient pas pensé. Ce plan-là c’était bien, mais ils n’avaient pas pensé à certaines choses en amont et vous voyez que ce sont des ensembles de solutions qu’ils essaient de trouver en venant intégrer le pont pour faciliter la circulation.
Vous voulez dire qu’il n’y avait pas de planification ?
Je pense qu’il y avait une planification, mais peut-être qu’il y a eu un problème de coordination, d’harmonisation entre les promoteurs, les architectes. Avant d’appeler un architecte, surtout s’il s’agit d’une ville, celle-ci doit être tracée par un urbaniste. Est-ce que cela a été fait par un urbaniste, on ne sait pas. Normalement, on doit commencer par viabiliser une ville avant le découpage en parcelles. Ensuite, prendre des architectes, des architectes paysagers, qui vont faire telle chose parce que qu’ils sont différents des urbanistes. Il est importance de faire appel à un architecte ou à un urbaniste ou à un architecte paysager. Un entrepreneur n’est pas un architecte. Par exemple, on peut vite se retrouver avec des constructions qui ne prennent pas en compte certaines contraintes. Malheureusement à Diamniadio, il y a de belles infrastructures indépendantes les unes des autres. Maintenant, il faut mettre la mayonnaise entre tout ça. Il faut que ça se parle pour que ça devienne une ville, que les gens puissent s’approprier Diamniadio au final.
Donc Diamniadio n’est pas une smart city ?
Diamniadio n’est pas une smart city, non. On n’a pas encore de smart city ici. Peut-être qu’elles vont se créer avec le projet Zéro bidonville du ministère de l’Urbanisme. Peut-être justement prendront-ils en compte ce nouveau paramètre quand ils vont aller à Daga Holpa. Mais à Diamniadio, c’est un peu parti de quelques mauvais choix qui font qu’aujourd’hui on est dans une situation où on ne sait pas trop ce que c’est exactement. C’est un lieu de transition, mais personne ne veut rester là-bas, tout le monde va à Diamniadio, mais le soir tout le monde rentre chez lui, y compris les fonctionnaires qui se plaignent. Ils ont des problèmes au niveau des accompagnements, du péage, de la nourriture sur place. C’est un ensemble des choses qu’ils auraient dû prendre en compte dès le départ. Je pense que cela peut être rattrapable par des urbanistes s’ils viennent et qu’ils définissent des espaces jeunes etc. Cela peut-être rattrapable s’ils utilisent les matériels locaux, parce que l’attitude de la smart city aussi, c’est également de faire notre promotion culturelle et locale. Ce qui fait qu’il ne faut pas dire qu’on fait des smart cities et appeler des Chinois. C’est une cohésion, un respect local, un respect de l’homme, respect de notre pays…
Est-ce que l’expertise locale est impliquée dans la réalisation de ces grands projets ?
Pas vraiment, mais elle est impliquée parce que maintenant ils sont obligés d’être à 60% d’entreprises sénégalaises au niveau des prestations. Mais ce n’est pas cela seulement qui nous intéresse. Ce n’est pas le fait de dire que c’est l’entreprise sénégalaise qui a fait les boulons là-bas. Nous voulons que les gens disent, voilà c’est un architecte sénégalais qui a fait ce bâtiment public. Malheureusement, les architectes qui pourraient être visés pour ce genre de choses, c’est une niche. Vous allez avoir des architectes étrangers qui vont venir vous pitcher votre projet comme s’ils comprenaient mieux l’espace que vous. Donc vous êtes forcément, automatiquement convaincus, par rapport à un architecte sénégalais qui va être un peu plus traditionnel.
Pourquoi faites-vous la promotion de la construction avec la terre cuite ?
Pour moi, c’est le matériau le plus adapté dans notre contexte. Malheureusement, elle est plus rejetée parce que les colons sont venus nous dire que ce n’est pas bon. Quand je propose à quelqu’un de lui faire une maison en terre, on me dit «je te parle de Dakar». Mais pourquoi est-ce qu’à Dakar nous ne pouvons pas faire des maisons en terre ? Les gens pensent que c’est vernaculaire, c’est pour les pauvres, ce n’est pas une infrastructure moderne et ni contemporaine. Mais qu’est-ce que la modernité, qu’est-ce qui est moderne ? La terre est moderne et contemporaine, même si c’est un matériau séculaire. Donc il y a différentes approches à avoir. Seulement quelques architectes sont spécialisés ici en terre. Il faut faire la promotion de la matérialité. J’ai posté sur les réseaux sociaux, je suis en train d’informer les gens sur les matériaux et leurs propriétés, en quoi est-ce que cela nous redonne une identité culturelle, en quoi est-ce que ce n’est pas juste un bâtiment rouge. Cela a plusieurs aspects différents et peut-être quelque chose de luxueux. Le jour où on va montrer qu’on se fait de l’argent avec de la terre, les gens vont commencer à le faire. Quand ils se rendront compte que les gens paient pour voir un bâtiment en terre et que les propriétaires ont 500 entrées par jour, ils comprendront que c’est intéressant. Il faut savoir qu’il fait frais à l’intérieur sans climatisation. Aujourd’hui, on préfère avoir trois climatiseurs dans une pièce en béton.
Je partage tes avis. Big up
bien dit ,la modernité ce n’est pas une affaire matériaux ! félicitation pour cette intervention .