Initiateur du groupe de réflexion, Rijaal Holding SAS, Mandaw Thiam, ancien Directeur commercial d’ADDOHA de Dakar, a été choisi comme président du Conseil d’administration de la société d’investissement mouride. Dans cet entretien, il évoque l’avènement du crowdfunding en milieu mouride, le lancement d’un réseau de 17 mini-marchés dans la capitale du mouridisme et leur ambition de faire de la cité de Touba, le 2ème pôle économique du pays tout en respectant la fonction première de cette ville qui est religieuse.C’est quoi Rijaal Holding et dans quel contexte il a été créé ?
Rijaal Holdiing est une société d’investissement enregistrée au Rccm de Diourbel sous la forme de société par action simplifiée à capital variable et avec Conseil d’administration. Elle a pour vocation d’investir dans des projets rentables avec un fort impact en termes de création d’emplois, de modernisation de la ville sainte de Touba, mais surtout de renforcement de l’outil productif local avec une industrialisation progressive.
Quelle analyse faites-vous de la situation économique dans les pays de la zone Cfa ?
Aujourd’hui, force est de constater que les économies des pays de la zone Cfa ont du mal à décoller et atteindre les objectifs de développement. Ce sont des économies caractérisées notamment par un faible échange intracommunautaire (15% contre 60% au sein de la zone euro), la faible compétitivité à l’export, un accès au crédit bancaire très difficile avec un taux de bancarisation faible (ratio crédits à l’économie rapportés au Pib de 23% contre 100% dans la zone euro et 150% en Afrique du Sud).
Ceci est le reflet d’une zone monétaire non optimale caractérisée par deux banques centrales (Bceao et Beac) dont l’unique objectif poursuivi est la stabilité des prix pour assurer la fixité du taux de change Cfa/Euro. C’est une zone qui n’est pas aussi optimale dans la mesure où il y a une faible mobilité des facteurs de production (travail et capital), la difficile circulation des biens, services, personnes et capitaux entre les Etats de la zone Cfa. Tout ceci ne favorise pas l’échange entre les pays pour la création de la richesse endogène.
Les objectifs suivis par les Banques centrales à savoir la stabilité monétaire, le faible taux d’inflation, l’absence de risque de change n’ont pas participé au développement de nos économies, car le Cfa est arrimé à une monnaie forte (l’euro). Cette monnaie forte nuit aux exportations africaines et favorise les importations de produits manufacturés et agricoles étrangers. Ceci ruine les efforts de développement des industries solides pour favoriser la transformation des matières premières sur place et ainsi exporter des produits et des services à forte valeur ajoutée.
Au contraire, nos pays de la zone Cfa sont maintenus dans une position d’exportateurs de matières premières dont les recettes dépendent des cours des marchés mondiaux. En sus, la situation économique favorise l’immigration des talents vers l’Europe et l’Amérique, entre autres. On a ainsi une fuite de capital et de travail au profit de l’extérieur.
Pour maintenir la stabilité monétaire, nos Banques centrales sont obligées d’accumuler les réserves de change. Ainsi, nos pays freinent drastiquement la distribution de crédits à l’économie, ce qui bloque l’investissement. La distribution des crédits aux populations est très rationnée et les taux d’intérêts sont de l’ordre de 10%.
Comme indiqué tantôt, en essayant de stabiliser les prix et donc maintenir l’inflation à un taux bas, la Banque centrale privilège la réduction de la demande globale au détriment de l’augmentation de l’offre globale pour limiter les sorties de devises qu’auraient engendrées une importation massive afin de satisfaire la demande globale. Tout ceci pour assurer le maintien de la fixité du taux de change. La zone Cfa élargit ainsi l’austérité budgétaire et donc asphyxie les économies de la zone. Cependant, avec une population jeune et en forte croissance, le bon sens voudrait qu’on agisse sur l’offre globale, notamment la production interne, pour satisfaire les besoins des populations et encourager davantage la consommation.
Dans un tel contexte et en attendant un changement de cap de la part de nos dirigeants et des Banques centrales, la promotion du crédit productif et la mobilisation accrue de l’épargne intérieure restent les voies idoines de financement de la production intérieure via la mobilisation des facteurs capital et travail. C’est ainsi que Rijaal Holding aimerait intervenir en mobilisant l’épargne des Mourides ainsi que les compétences locales pour redynamiser la production intérieure et booster la consommation.
Vous voulez lancer le crowdfunding dans le mouridisme. C’est quoi d’abord et pourquoi son lancement au sein de cette confrérie ?
Le crowdfunding est un terme anglais pour désigner un «financement participatif». Cela signifie qu’un grand nombre de personnes sont amenées à participer à l’élaboration, en termes économiques et financiers, d’un projet. Le crowdfunding dans le mouridisme peut ainsi assimiler aux «sasses/barkélou», lors des lancements des grands projets pour le compte de la confrérie.
En étant des Mourides, nous avons l’habitude de participer à ces mobilisations de fonds. Nous partageons ainsi un profond attachement aux différents projets pour le rayonnement de Touba et de tous les Mourides partout dans le monde. Ceci justifie notre choix pour ce type de financement avec une orientation, cette fois-ci, sur le caractère productif, rentable des projets.
Que peut-on dire des nouvelles orientations du crowdfunding dans le mouridisme ?
Il est à noter qu’il existe plusieurs types de crowdfunding ou financement participatif (don pur, prêt, equity, …). La plupart des crowdfunding au sein du mouridisme se font sous forme de dons dans la mesure où on n’attend rien en retour, à part la satisfaction que vont nous procurer la réalisation du projet et les bénédictions du khalife et de Serigne Touba.
Je pense que l’equity crowdfunding jouera un grand rôle dans les nouvelles orientations de crowdfunding dans le mouridisme sans, bien entendu, entraver le crowdfunding en don pur. En ce qui concerne Rijaal Holding, nous nous penchons plutôt vers l’equity crowdfunding, dans la mesure où nous permettrons aux Mourides de prendre part dans le capital et être des investisseurs dans la ville sainte de Touba.
L’émergence d’un secteur privé local fort et totalement orienté vers la création de valeurs et d’emplois vient en complément aux actions du Khalife général et autres associations actives dans la ville.
Vous nourrissez des ambitions pour l’essor de la cité religieuse de Touba. Pouvez-vous les décliner ?
La ville Sainte de Touba, certes la 2ème ville économique du pays, manque de beaucoup de choses pour lui permettre de répondre aux attentes. Il s’agit, entre autres, des infrastructures modernes, des industries, un secteur agro-business intensif, une économie des services à la pointe de la technologie, des unités de stockage, un secteur de transport moderne et efficient, etc.
Rijaal Holding envisage, de façon stratégique et progressive, d’occuper tous ces secteurs afin de faire de Touba le 2ème pôle économique en termes de production dans le respect de la fonction première de la ville à savoir religieuse.
En avez-vous discuté avec le Khalife général, Serigne Mountakha Mbacké ?
Nous envisageons de le rencontrer avant l’inauguration de nos premiers investissements, incha Allah avant le Magal, ainsi que les autorités administratives locales, au regard de notre ambition d’ouvrir un réseau de 17 mini-marchés haut de gamme adossés à des unités de conditionnement et stockage.
Quelle est ou sera la part de contribution de votre initiative dans l’économie nationale ?
Comme traité ci-dessus, nous entendons contribuer à l’effort de développement de la production intérieure en mobilisant l’épargne des Mourides ainsi que les compétences nationales. Ainsi, nous participons à l’effort de création de la richesse et celle de l’emploi. A travers notre structure, nous voulons créer de la richesse endogène, accroître le pouvoir d’achat et booster la consommation locale.
L’émergence de Rijaal peut être calée dans le Pse-Pap II, qui a fait de l’émergence d’un secteur privé national fort, un pilier de l’émergence. Sans risque de nous tromper, on peut dire que nous apporterons une forte valeur ajoutée souveraine, inclusive et très inspirant à l’économie nationale.
A quand le lancement de vos premiers investissements ?
Incha Allah avant le Magal de Touba 2020. Pour être plus précis, ce sera le week-end prochain !
Que peut-on retenir de la chaîne de mini-marchés que vous avez l’ambition aussi de lancer ?
D’une part, il s’agit d’une réponse effective à l’appel des autorités afin que le secteur privé investisse la distribution moderne. D’autre part, c’est un besoin réel exprimé par le consommateur à Touba. C’est-à-dire avoir des cadres modernes et de proximité pour faire leurs courses ou se faire livrer.
Le projet Senfresh vient ainsi combler un vide dans la ville sainte avec une offre très variée, de qualité et à un prix défiant toute concurrence. L’objectif est de déployer un réseau de 17 mini-marchés avec une panoplie de services afin de rendre la vie facile aux consommateurs, leur offrir autant sinon plus que la concurrence.
Ce projet est adossé à une structuration des chaînes de valeur et la promotion du made Sénégal et made in Touba dans nos rayons de façon progressive grâce à une industrialisation maîtrisée.
Ce projet va générer environ 300 emplois directs et indirects avec une implication des profils issus des daaras qui passeront par nos cadres de formation des métiers de la distribution.
Dans le futur, à quoi peut-on s’attendre en termes d’interventions et de projets à moyen et long termes ?
Comme indiqué, nous allons lancer avant le Magal, notre réseau de mini-marchés haut de gamme avec un objectif de 17 boutiques à Touba, 8 sur Mbacké et 12 sur Diourbel. Ensuite, le Conseil d’administration a approuvé des investissements dans le volet logistique et conciergerie. Enfin, un accompagnement sous forme de social business, des Gie de femmes actives dans la transformation des produits locaux.
Sur le moyen terme, des projets dans le secteur financier sont à l’étude et seront soumis au prochain conseil d’administration pour approbation.
Nous restons aussi réceptifs aux projets innovants et structurants portés par d’autres acteurs avec qui nous partageons la même philosophie et vision pour un co-investissement.