Aux Etats-Unis, Donald Trump a gagné l’élection le jour où le Président Joe Biden a fait montre, en public, de signes de perte de mémoire. Les démocrates ont cherché à rattraper le coup en désignant Kamala Harris comme candidate. Nous étions nombreux, naturellement par sympathie, à souhaiter la victoire de la vice-présidente américaine. Mais nous savions en notre for intérieur que les jeux étaient déjà faits et que Trump avait déjà gagné l’élection, avant même d’affronter sa rivale dans les urnes. N’empêche, nous étions nombreux à souhaiter la victoire de Harris. De la même manière, souhaiter qu’il y ait une cohabitation au Sénégal n’était qu’un vœu, tout en sachant que le match était plié avant même d’être joué. Ces élections législatives dont les résultats provisoires viennent d’être publiés par la Commission nationale de recensement des votes, étaient gagnées par Pastef depuis longtemps, et pour plusieurs raisons.

Lire la chronique – Essayons l’équilibre des institutions

La première est qu’une tradition historique est bien respectée. En effet, depuis que le Sénégal a goûté à la saveur Alternance (en 2000, 2012 et 2024), le nouveau pouvoir a toujours remporté les élections législatives suivantes haut la main et confirmé son hégémonie. Cela veut dire que les Sénégalais ont voté pour un pouvoir en mars et sont restés cohérents comme pour dire, «donnons-leur les leviers de gouvernance», bien que ce pouvoir ait montré, au cours des huit (8) mois écoulés, des signes de frilosité sur des questions de liberté d’expression, de démocratie, sans compter les reniements sur beaucoup de promesses et un «Projet» qui a peiné à voir le jour et qui s’est retrouvé être une pâle copie sans audace du Plan Sénégal émergent (Pse).

Diomaye a donné… 64 jours de préparation à Sonko et 10 jours à l’opposition
Ce pouvoir n’a rien fait de concret, si ce n’est inaugurer les réalisations de son prédécesseur. Bien que des pontes de ce pouvoir aient mis à rude épreuve notre vivre-ensemble, particulièrement Cheikh Oumar Diagne et ses attaques contre nos guides religieux, les électeurs leur ont fait confiance, notamment dans les cités religieuses, (excepté Médina Gounass où le candidat de la liste Jamm ak njariñ a battu Pastef par plus de 6000 voix d’écart. Il faut dire que les affrontements entre communautés toucouleur et peule, très mal gérés par le nouveau pouvoir, ont été la cause du désamour). Il faut tout de même constater qu’entre la Présidentielle et les Législatives, c’est-à-dire en 7 mois, Pastef a perdu plus de 44 000 voix dans le département de Mbacké (donc Touba). Ils sont passés de 172 053 à 128 048 voix.

Lire la chronique – Benno Bokk Pastef en marche

La deuxième raison de cette belle victoire de Pastef, mais pas inédite, est à trouver dans l’attitude partisane du président de la République qui, pourtant, jure sur tous les toits qu’il est au-dessus de la mêlée. S’il est vrai que Bassirou Diomaye Faye s’est abstenu de battre campagne pour Pastef, il n’en demeure pas moins qu’il a eu à donner un coup de pouce non négligeable à Ousmane Sonko. Quand en effet le Premier ministre avait décidé de ne pas faire sa Déclaration de politique générale (Dpg) devant le Parlement sortant et de la faire devant un jury populaire, au lieu de l’enjoindre de respecter la Constitution, le chef de l’Etat s’est contenté de le «supplier» de ne pas le faire. Mieux, quand le Parlement a modifié son Règlement intérieur, Diomaye Faye a refusé de promulguer cette loi organique et il a fallu que Amadou Mame Diop, président de l’Assemblée nationale, le fasse en usant d’une disposition de la Constitution. Parce que simplement le Président Diomaye, en bon bouclier de Sonko, gagnait du temps après avoir saisi le Conseil constitutionnel d’une demande d’avis sur la dissolution de l’Assemblée nationale et la tenue des élections anticipées. Le Juge constitutionnel a rendu une décision (et selon la loi, les décisions du Conseil doivent être publiées au Journal officiel). Mais le président de la République a caché cette décision au Peuple sénégalais et à la classe politique, pendant… 64 jours. Il a ainsi donné à Pastef deux mois de préparation des élections, alors que l’opposition n’a eu que 10 jours. Si dans une compétition, l’arbitre s’est débrouillé pour donner trois ou quatre longueurs d’avance à un protagoniste, voir celui-ci remporter le jeu n’est en rien un exploit ni une surprise. N’oublions pas que le président de la République a aussi refusé de prolonger le délai de dépôt des listes électorales, malgré un consensus sur le sujet obtenu par le ministre de l’Intérieur.

L’opposition a tout fait pour perdre ces élections
La troisième raison de cette victoire électorale de Pastef est à trouver dans l’attitude de l’opposition, qui a tout fait pour perdre ces élections législatives. D’abord, face à un pouvoir qui avait vendu du vent aux Sénégalais, après avoir annoncé pouvoir tout faire et très rapidement, vouloir leur donner un délai de grâce a été l’une des plus grandes erreurs de cette opposition. Elle est restée amorphe pendant très longtemps, laissant le pouvoir dérouler sa lourde machine de propagande. Ensuite, il y a les investitures qui ont montré, pour le moins, de fortes mésententes chez les opposés à Pastef. Même s’il faut leur concéder que la forfaiture du président de la République (cacher pendant 64 jours une décision du Conseil constitutionnel) les a privés de temps pour faire correctement les investitures, au vu des résultats dans certains départements où Pastef gagne avec moins de 40% des suffrages exprimés, de larges coalitions ou des inter-coalitions (donc des ententes et des renonciations) auraient pu leur permettre de remporter plus de localités. Certains égos ont eu raison de la dynamique nécessaire. C’est le cas à Guédiawaye, où des responsables apéristes ont ouvertement appelé à voter contre la liste Jamm ak njariñ qui avait pourtant investi Néné Fatoumata Tall, une apériste.

Lire la chronique – Mille milliards de bobards de la banque du mensonge

Malgré tout, Pastef a bel et bien gagné les élections. Ousmane Sonko a su faire une excellente campagne, basée sur une rhétorique simple, non pas sur le Projet, mais principalement sur «l’immensité des dégâts causés aux finances publiques et au foncier par le régime sortant» : «Le pouvoir sortant a volé l’argent des Sénégalais. Donnez-nous la majorité et vous retrouverez cet argent.» Et les électeurs, à tort ou à raison, y ont cru, surtout ceux qui tirent le diable par la queue. D’où les 1000 milliards annoncés, que nous ne verrons jamais. Sonko a su également divertir ses adversaires en les attirant sur de fausses pistes et de faux thèmes de campagne (débat avec Amadou Ba, attaques contre Barthélemy Dias et son père). La transhumance a également joué son rôle, surtout dans le monde rural, et a permis de combler le déficit de leadership de Pastef.

Une victoire massive, mais pas forcément historique ni inédite
Cette victoire est-elle «historique» comme le pensent certains ? Elle est certes belle, mais nous avons connu mieux. En effet, la répartition des députés en valeur relative (pourcentage), en faveur des partis/coalitions au pouvoir, est quasi identique entre 2012 et 2024. Ce qui démontre que la victoire de Pastef reste dans la trajectoire traditionnelle d’une confiance que les électeurs renouvellent aux nouveaux partis élus issus d’une alternance. Une victoire massive, mais pas forcément historique ni inédite. En 2001 à la première Alternance, le Pds et ses alliés avaient 89 députés sur 120, soit 74, 16%. Lors de la seconde alternance en 2012, Benno bokk yaakaar avait raflé 119 députés sur 150, soit 79, 33%. La coalition de Macky Sall n’avait perdu qu’un seul département dans tout le Sénégal (Pastef en a perdu 6). Aujourd’hui, avec 130 députés, Pastef a 78, 78% des sièges (à rappeler que le Pds avait fait 131 sur 150 députés en 2007).

La victoire de Pastef semble certes massive, mais à regarder de plus près les chiffres du scrutin, elle pourrait être relativisée. Sans remettre en cause le mérite de Sonko et Pastef, il est tout de même à souligner que toute l’opposition totalise 1 631 863 voix pour 35 députés, là où la coalition au pouvoir a 1 991 770 suffrages exprimés pour 130 parlementaires. Le «Raw Gaddu» décrié hier par Ousmane Sonko est passé par là. Pastef n’a donc devancé l’opposition que de quelque 300 000 voix. Mieux, le nombre de votants en faveur de Pastef a diminué entre l’élection présidentielle et les Législatives. Près de 2 400 000 électeurs avaient voté pour Diomaye Faye lors de la Présidentielle, contre moins d’1 900 000 pour la liste Pastef aux Législatives. Un demi-million d’électeurs en moins, 8 mois après.

Lire la chronique – Ce cinéma qui nous a valu tant de morts

Aujourd’hui que les citoyens ont donné tous les leviers de pouvoir à Pastef, il n’y a plus d’alibi ni de faux-fuyant. Pastef et Ousmane Sonko ne pourront plus se dérober sur certaines questions : la criminalisation de l’homosexualité, les 1000 milliards trouvés dans un compte, le rapport qui épinglerait Mame Mbaye Niang dans la gestion du Prodac, le complot dont serait victime le leader de Pastef dans l’affaire Adji Sarr, le dossier des 94 milliards pour lequel Sonko avait déjà dit connaître la banque ainsi que le compte qui aurait déjà reçu un versement de 46 milliards. De même que toutes les accusations de malversation que Pastef a eu à soulever dans la campagne et avant ; particulièrement les immeubles qui seraient récupérés des mains d’anciens du régime de Macky Sall. Tout comme la lumière sur les morts de la période mars 2021 à mars 2024. D’ailleurs, Sonko ne nous a-t-il pas promis de revenir sur la loi d’amnistie ?

Pour l’heure, le Projet ce sont des convocations et arrestations pour des délits d’opinion
Pour ce qui s’agit du développement futur du pays, attendons de voir sans trop nous faire d’illusions. En ce qui concerne le développement et le bien-être des Sénégalais, nous ne croyons pas que ce pouvoir fera grand-chose. Nous sommes partis pour 5 ans d’immobilisme, de vengeance et de règlement de comptes. En attendant, mangeons tranquillement notre pain noir. Dans le secteur énergétique, les ressources du Sénégal en gaz et en pétrole sont en péril. Les Majors des hydrocarbures se démobilisent et partent : Diamond offshore, Subsea 7, Halliburton, Oeg, Bayker Hugues, Swire Pacific…, les phases 2 de Sangomar et 1 de Gta sont suspendues. Des pénuries de carburant et de gaz butane se profilent à l’horizon. Entre autres problèmes, l’Etat doit aux distributeurs plus de 100 milliards de francs Cfa et envisage de diminuer leur marge et d’introduire une nouvelle taxe pour la Crse. Sans compter que nous allons vers une suppression progressive des subventions, donc une augmentation des tarifs d’électricité et éventuellement des transports et des denrées de consommation courante. C’est ça le Projet qui, pour l’heure, n’a qu’un bilan funeste : des convocations et arrestations pour des délits d’opinion. Adama Gaye et Moustapha Diakhaté sont les derniers à faire le Dem Dic ou à escalader les 5 étages de la Division de la cybercriminalité, aux annexes de la Direction générale de la Police nationale.
Par Bachir FOFANA