Cimetière Saint-Lazarre de Béthanie. Comme un symbole, comme pour enterrer un désir d’élection tué par un report. Une chaleur, du gaz lacrymogène, le bruit des voitures qui passent : comme le chaos d’un jour de jugement dernier. Chaos, et il y aura même accident entre particuliers. Ils passaient. Un qui freine brusquement. Un autre qui vient lui freiner derrière. Pas le temps de constater… Khoudia n’aura aussi pas constaté la suite des évènements. Khoudia, un de ces boucliers qui s’interposaient entre le Pr Daouda Ndiaye et les Forces de défense et de sécurité : embarquée. Embarqué, un garde du corps. M. Ndiaye, dans son immaculé bazin, aura échappé par la force des bras de ses militants. (Plus tard, on le verra mal en point sur les réseaux sociaux. L’aurait-on interpellé plus haut puis malmené ?).

Pas encore seize-heures, et les alentours du cimetière se calment. Comme s’il n’y avait qu’un simple enterrement express. Le deuil ? Liberté 6 extension ! Une endeuillée : «Nous ne serons jamais des esclaves.» D’autres endeuillés, qui dégueulent sur un homme sur son balcon. Interdit de filmer ! Gueulades d’endeuillés : les gens de cette extension devraient libérer les balcons. Se battre !
Liberté 6 extension : deuil. Même pas une boutique d’ouvert à certains endroits. Foules, courses, jets de pierres, répliques par gaz lacrymogène. «Dakar, Dakar, Dakar…», crie un meneur. L’objectif, tonne-t-il, c’est Dakar ! On se galvanise : «Macky Sall dictateur, Macky Sall dictateur !» Macky Sall ? La foule endeuillée lui attribue aussi ce nom-là en A…

«Suñu société yëngatu na»
Ça tourne, ça se retrouve, ça discute objectif, ça se dispute sur l’objectif. Tantôt on se dit qu’il faut aller vers le Rond-point 6. Tantôt, vers la Boulangerie jaune. Discussions, consensus : éviter de parler aux journalistes. Leur parler ralentit la marche, apparemment.

Marche, chants, saccages de postes de gardien. Macky Sall ? On insulte. Crûment. En wolof. On tourne en rond, on évite les artères où il y a les Fds. On brûle la table de quelqu’un, vide des poubelles dans les rues et se harangue entre gens au cœur plein. Et qui dégueulent…

«Suñu société yëngatu na.» Foule, chants, marche. On longe le Cem David Diop. Derrière la procession, petits feux, casses… Et puis, magie : la foule débouche sur du policier au niveau du rond-point dit de Jvc. Les uns regardent les autres. Les uns marchent tranquillement devant les autres. Les uns font signe de paix aux autres. Rien. Rien. Rien. Et puis pierres et gaz. C’était trop beau pour être vrai. Chiens et chats. Course et cacophonie. Cacophonie, puisque la foule errante de Liberté 6 rencontre des t-shirts blancs sur lesquels est floqué Khalifa Ababacar Sall. Les chaises, les cars «Ndiaga Ndiaye», les vieilles, les jeunes de Khalifa, surpris par le cours des évènements. Mais, pas pour trop longtemps.
La procession se poursuit. Les rangs de Khalifa se refont. Les policiers, prêts à en découdre. Ceux-là, qui chantaient «Khalifa Président», comme plus tôt les endeuillés de Saint-Lazare, recevront des tirs de ce gaz qui disperse les foules et perce les yeux. Deuil, occasionné par un report de l’élection. Larmes, l’arme gazeuse ne pardonnant pas. Chants et casses pour égayer la procession partie de Saint-Lazare. Dakar, le 4 février de l’an 2024. Un dimanche…