Journalistes et manifestants, confondus. Les Forces de l’ordre ne font pas trop la différence entre hommes armés de gilets, de caméras et de micros, et autres gens armés de pierres, de masques et de bouteilles de vinaigre. Ça gaze, et puis c’est tout.Par Moussa SECK –

C’était dimanche passé, au cimetière Saint-Lazare : une partie dakaroise du Peuple était venue enterrer le cadavre d’une élection morte dans l’embryon, après l’intervention d’un décret. C’était un lundi passé, et une autre partie était venue pleurer son deuil aux alentours de l’Assemblée nationale. Les larmes n’ont pas ému certains députés.

La mort par décret n’a pas suffi. Il fallait rajouter une seconde mort à la première. Le cadavre élection, selon ce qu’en ont décidé des représentants du Peuple, devra attendre jusqu’au 15 décembre pour (espérer) être ressuscité. Mais, le Sénégal est un pays de croyants, et Dakar, une capitale de mosquées et d’églises. Dimanche, un jour saint. Vendredi, un autre jour du Seigneur. Et symboliquement, après la prière, du monde s’est donné rendez-vous à la Place de la Nation. Histoire d’avoir un miracle de résurrection avant décembre.

Le filtrage commence au niveau du ministère de la Culture. Léger filtrage, car on peut passer. Seulement, un Wahani Johnson Sambou avertit : passez, vous serez cependant refoulés. On passe. A.D. en «tic», les rastas bien attachés, a abandonné son «thiak-thiak» à Grand-Dakar. Il est venu répondre à l’appel, qui a couru statuts Whatsapp, Facebook et autres canaux de diffusion. Le jeune homme aura le réflexe d’éviter l’artère principale du Brt pour emprunter les voies secondaires afin de rejoindre les autres manifestants dans Fass.

A l’arrêt de la Nation du Brt, un groupe de journalistes. Les gilets sont là, le matériel…, mais rien n’y fait. Une tenue arme, jette son gaz non pas à côté pour disperser les relayeurs d’info : il jette son truc directement sur la foule. Sauve qui peut, matos remballé, fuite. Devant une maison pourtant, on mange son Ceebu jën. Rouge, bien fourni en poissons et légumes. Le jeteur de gaz dit que les gens groupés à manger devraient interdire devant chez eux le regroupement. Impensable, ces gens, étant en deuil, ne peuvent s’empêcher d’avoir du monde devant chez eux. Et autour d’un bol, on s’insurge entre deux cuillères. Un qui dit que si ça passe, il démissionne de la Fonction publique. «Ça»… «Ñii ay dëmm lañ…» («Ces gens sont des a…»), laissera échapper un Baay Faal, excédé par l’attitude des hommes en tenue. Toujours, autour du bol de Ceebu jën.

Matricule : 6… Mission : gazer. Cible : journalistes
Il n’est pas encore 16 heures, et le ciel de Fass se teint de deux types de fumée. Le gaz lacrymogène des Fds se mélange à une autre fumée, plus noire, émanant des petits feux de pneu et de bois déclenchés par les manifestants. On tousse. On pleure. Une maison près de l’arrêt de la Nation avait pourtant laissé fondre de la glace à sa porte. Pour provoquer la paix, probablement.

La mosquée El Mansour de Grand-Dakar avait pour sa part préconisé, après la prière hebdomadaire, 111 «Yaa Salaamu» à égrener au chapelet. Mais, rien ! A croire que ce vendredi 9 février 2024, les portes du ciel par lesquelles passent prières et supplications sont fermées…

Fermés, commerces et ateliers ! Un menuisier métallique se plaint… et se réfugie dans une maison, un petit instant avant que les Fds passent. Elles paradent à pied, en voitures, avec une qui a derrière elle des manifestants saisis. Aucun tabassage constaté à bord, à la différence du fourgon stationné près du ministère de la Culture. Presque 17 heures : ça y insulte, ça y frappe du manifestant…

Mélange de gaz… et d’événements. Nul ne sait comment il s’est retrouvé parmi cette foule, qui le caillasse, mais un jeune homme est coincé là, parmi plusieurs, et qui a reçu coups et… coup de pierre à la tête. «Voleur» pour certains, pour d’autres, il aurait insulté une vieille. Ce qui est sûr : il a dû aller s’écrouler devant les lanceurs de gaz pour échapper au lynchage. Sauvé par ceux-là que d’autres fuient et considèrent comme bourreaux, paradoxalement. Sauveurs et bourreaux, et parmi eux, un de teint clair, qui jette du gaz lacrymogène aux pieds-mêmes de ces journalistes qu’il harcelait, afin qu’ils traversent vite. Absa Hane de Seneweb s’insurge contre le harceleur, ça chauffe. Mor Amar s’interpose : nada, la dame est embarquée. Elle sera relâchée plus tard avant d’être èvacuée vers une structure de santé pour des soins. Ce zélé : le même qui avait lancé le projectile sur la foule de journalistes devant la maison en deuil à l’arrêt de la Nation du Brt. Le même qui a jeté le projectile sur les pieds des journalistes qui traversaient. Celui-là, de teint clair, avec 6… inscrit en blanc sur son uniforme !

Et Fass a fumé, en ce «vendredi de la libération». A partir de ce quartier, on aperçoit Colobane, qui a aussi allumé sa clope. Le «Allahu Akbar» de Massalikul Jinaan, qui annonçait la prière de 17 heures, s’est diffusé dans un ciel de jour saint sans lumière apparente. La mosquée et son dôme s’étaient noyés dans un tableau céleste noirci, et qui dépeint une ville qui a tiré plus d’un coup. A sa gauche, Massalik voyait Niary Tally plongé dans la même atmosphère que Fass et Colobane…