Manque de prise en charge, stigmatisation La lutte brûlante des albinos

Depuis longtemps, le combat des albinos tourne autour de points vitaux : discrimination, pauvreté et oubli institutionnel. Malgré l’engagement de l’Association nationale des albinos du Sénégal, l’indifférence est leur quotidien.
Les personnes vivant avec l’albinisme au Sénégal continuent de faire face à une marginalisation persistante, marquée par l’inaccessibilité à l’éducation, aux soins de santé, aux protections solaires, et surtout par l’indifférence politique. Malgré les textes internationaux et nationaux censés les protéger, leur quotidien reste un combat permanent. Mouhamadou Bamba Diop, président de l’Association nationale des albinos du Sénégal (Anas) et de la Fondation des personnes vivant avec l’albinisme au Sénégal et en Afrique, tire la sonnette d’alarme. «Depuis 1960, nous courons après une loi d’orientation sociale qui tarde à être appliquée», déplore-t-il. Pour lui, le constat est amer : les albinos sont laissés-pour-compte, oubliés par les politiques publiques, exclus des recensements, marginalisés dans l’emploi et abandonnés face à des pathologies spécifiques qui affectent leur quotidien.
Chaque année, sa fondation organise, pendant le Ramadan, une journée de solidarité pour venir en aide aux albinos. «La plupart doivent aller vendre sur la route ou travailler aux champs pour simplement pouvoir manger. Certains sont diplômés, très intelligents, mais restent sans emploi, condamnés à l’errance ou à la mendicité», regrette M. Diop.
L’absence de volonté politique est, selon lui, le principal frein à l’amélioration de la condition des albinos. «Il y a une volonté politique qui n’est pas inclusive. Elle oublie les minorités, et particulièrement les albinos, à tous les niveaux», dit-il. La loi d’orientation sociale, bien qu’adoptée, reste inopérante, et les institutions peinent à intégrer cette communauté dans leurs programmes. «Quand le nombre exact d’une population n’est pas connu, on ne peut pas élaborer des projets conséquents. Les agences de recensement nous ignorent. Nous ne sommes nulle part, ni dans les chiffres ni dans les politiques», ajoute M. Bamba Diop.
Des décès évitables et une santé négligée
La santé constitue un autre front de bataille. Le cancer de la peau tue en silence, faute de crèmes solaires abordables et de prévention. «En 2023, on a enregistré 27 décès d’enfants albinos. Certains sont morts de malnutrition, d’autres de cancer ou de pauvreté», souligne le président de l’Anas.
Les crèmes solaires, essentielles pour leur survie, coûtent entre 40 et 60 mille F Cfa. Une somme inaccessible pour la majorité, malgré les maigres aides publiques. «Comment vivre avec 25 000 F Cfa de bourse familiale quand une crème coûte le double et ne dure qu’une semaine ? C’est une forme de génocide déguisé», accuse-t-il.
Le manque de mélanine affecte aussi la vision des albinos. Beaucoup naissent avec une déficience visuelle sévère. Les lunettes adaptées coûtent jusqu’à 400 mille F Cfa, des montants prohibitifs pour cette population souvent sans ressources. «Nous manquons d’optométriste et les lunettes spéciales sont rares. On dépend de bonnes volontés étrangères qui viennent avec leur matériel pour nous aider», note M. Diop.
Le président de l’Anas dénonce une absence totale d’outils adaptés. «Il est inadmissible, à l’ère du numérique, qu’un albinos n’ait pas accès à des lunettes qui lui permettent de voir, d’apprendre, de travailler», condamne le président de l’Anas.
Au-delà des obstacles matériels, le rejet social reste l’un des pires fléaux. «Des enfants ne sont même pas enregistrés à l’état civil. Certains pères refusent de reconnaître leur enfant albinos. Il y a des préjugés qui font croire que rencontrer un albinos porte malheur, et cela bloque même nos audiences avec les autorités», déclare Mouhamadou Bamba Diop. Cette stigmatisation empêche les albinos d’exister socialement.
«Aujourd’hui, beaucoup vivent de mendicité. Pas par choix, mais par nécessité. Parce que le système les rejette, l’école ne les accueille pas, l’Etat ne les recense pas», précise M. Diop.
Malgré tout, la communauté ne baisse pas les bras. Une entreprise américaine a promis de soutenir la mise en place d’une fabrique de crèmes solaires au Sénégal. «C’est un rêve qu’on porte depuis longtemps.
Mais sans l’appui de l’Etat, ce projet ne pourra pas aboutir», annonce-t-il.
Pour Mouhamadou Bamba Diop, le changement ne peut venir que d’une vraie compréhension des réalités. «Il faut que les autorités lisent et comprennent les textes de la loi d’orientation sociale. Qu’ils connaissent nos pathologies, nos besoins. Ce n’est qu’à partir de là qu’on pourra avoir des politiques inclusives», conseille le président de l’Anas.
Le militant conclut sur un appel fort à la Communauté internationale.
«Il faut rompre avec la volonté politique classique et aller vers l’approche droit. Nous avons élu ces autorités, elles doivent nous servir et non nous ignorer. Les albinos ne demandent pas la charité, ils demandent le respect de leurs droits», note M. Diop. Tant que la société sénégalaise continuera de détourner le regard, les albinos continueront de mourir, victimes silencieuses d’un système qui refuse de les intégrer dans sa politique d’inclusion.
Par Alioune Badara CISS-abciss@lequotidien.sn