Quasi-invisible, la jeunesse de Meouane est touchée par l’exode rural. Malgré le potentiel minier de la zone, cette commune très enclavée, à proximité des Ics, vit au rythme des petits commerces.
Dans un petit espace, elles font leurs activités. Sur de modestes tables faites de briques, elles étalent leurs produits : des pélagiques qui proviennent du village lébou de Kayar. «C’est le marché Bara Ndiaye», raille Alioune Diop. (Il fait allusion au maire de la commune, actuel administrateur de la Maison de la presse). Ce commerce est leur gagne-pain. Les bénéfices récoltés bouillent les marmites familiales. Dans une ambiance détendue, elles sourient. En même temps, elles discutent tout en ayant un œil vigilant sur leurs provisions. L’une d’entre elles s’appelle Awa Ngom, un body noir et un pagne multicolore constituent sa tenue de travail. Le visage clair, la mine joyeuse, elle amuse la galerie. Elle en profite pour faire passer son message : «Nous ne profitons pas de notre proximité avec les industries extractives. Notre principale source de revenus, c’est le commerce de poissons et légumes. C’est notre activité quotidienne. Nous en avons fini pour aujourd’hui et nous rentrons préparer le repas pour la rupture du jeûne», dit-elle, le panier noir sur la tête. Pour elle, l’implantation de ces usines a augmenté leurs difficultés. Le constat est le même chez Nogaye Mbaye. Elle est une écailleuse, assise à même le sol, ses yeux lorgnent les visiteurs et surveillent en même temps les fruits de mer qu’elle veut écouler avant de rejoindre sa demeure.
Très taquine, la dame lance : «Vous l’avez constaté de visu, c’est ça Meouane.» Elle reprend, cette fois sur une intonation moins farceuse : «Nous ne sommes pas loin des Industries chimiques du Sénégal (Ics). Les gens disent qu’elles génèrent beaucoup de revenus mais nous les femmes, nous ne recevons aucun financement. Raison pour laquelle, nous nous rabattons sur notre petit business.» Mues par le gain, elles supportent la poussière, et déroulent leurs activités à côté de la latérite jusqu’à la mi-journée. A l’heure de la descente, elles reprennent leurs seaux, les remettent sur leurs têtes et marchent ensemble. Destination, le foyer. Rendez-vous, le lendemain. Alors que celles qui n’ont pas de marmites à bouillir ni d’enfants à choyer poursuivent leurs occupations.
Le marché est placé sur un grand boulevard, en face duquel, hommes et femmes pratiquent de «petits boulots» à longueur de journées. La couture, le tissage sont les activités phare. Alioune Diop est un gérant d’atelier depuis quelques années. La couture est son domaine, le tissu, sa matière. Son atelier est vaste mais peu équipé. Une machine à coudre, un canapé et deux chaises en plastique occupées par des visiteurs. Il y passe ses journées depuis qu’il a tourné le dos à l’agriculture. «Je ne vais plus au champ car avec la pollution, ce n’est plus rentable», voilà la justification de mon travail actuel. Dans cette pièce peinte en vert, il échange avec deux jeunes du village. Simultanément, son pied gauche appuie sur la pédale, l’unique machine ébruite l’espace, sa main ajuste le tissu vert qu’il ne quitte pas du regard. De teint noir, la moustache bien peignée, il apprécie la situation économique de Meouane : «Les opportunités d’emplois dans notre commune ne sont pas si nombreuses. De ce fait, on se débrouille comme on peut. La plupart des jeunes sortent du village pour chercher du travail afin de suppléer leurs parents.»
Une jeunesse à la recherche d’emploi
Au milieu d’une petite bâtisse, des jeunes sont allongés sous un grand arbre. Ils font partie des rares adolescents actuellement sur place. A côté d’eux des femmes parlent de tout et de rien. Avec une grande complicité. Dans ce rassemblement, il y en a une qui répond au nom Soda Thiam. Elle est de teint clair, sa tête est cachée par un châle blanc. La dame tient un plat en aluminium. Une dizaine de bananes, c’est sa marchandise du jour. Soda explique sa stratégie : «J’achète des fruits à Tivaouane ou à Dakar. Je fais le tour du village pour les écouler difficilement. Pour la conservation, j’utilise des cartons. Comme nous n’avons pas la possibilité de travailler dans les industries , nous sommes obligés de tirer le diable par la queue», dit-elle timidement en détournant le regard. Son attitude réservée et prudente est loin d’être celle de Mora Dioussé. Son ample chemise rayée vole au gré du vent. Son bonnet bleu noir est largement penché vers son oreille gauche.
En cette période de ramadan, le matin, il fréquente l’espace public du village. Le soir, il achète des miches de pain à la Boulangerie de Pire et fait quelques villages de la commune de Meouane pour approvisionner les foyers. Sans gants, il se confie sur son passé à rebondissements et les possibles occupations pour les jeunes de son village : «J’ai chômé durant des années jusqu’à ce que j’obtienne un petit boulot aux Industries chimiques du Sénégal. J’y ai travaillé de manière irrégulière pendant 22 jours. J’entrais dans les canaux d’exploitation du soufre avec tous les risques que cela comporte avant d’être débarqué un jour.». Pour lui, rien n’a changé entre temps sinon les choses ont empiré : «Les jeunes de Méouane sont en difficultés malgré les potentiels du sous-sol. Ils ont besoin d’aide et de l’appui des autorités. Certains sont formés mais ils peinent à trouver un premier boulot.» Les populations de cette contrée de plus de 30 mille habitants veulent une meilleure situation économique. Un moyen pour elles de s’occuper sans avoir à quitter la commune. «Si vous avez bien observé le village, les jeunes ne sont pas nombreux. Ce qui explique cela, c’est l’absence d’opportunités d’emploi. S’ils restent dans ce village, ils n’auront aucun revenu. Du coup, leur salut ne peut venir que de l’extérieur. Ceux qui œuvrent dans le domaine de la pêche tirent leurs ressources halieutiques de Kayar et viennent approvisionner les détaillants. Ceux qui ont reçu des formations techniques sont en chômage. Economiquement, nous sommes à terre», analyse Youga Sow, d’une voix audible, les jambes croisées avec des gestes en adéquation avec son langage verbal.
Mamadou Diop, Ics : « Sur la Rse, notre entreprise fait de son mieux»
«Pour ce qui est de la Responsabilité sociétale (Rse) d’entreprise, je pense que les responsables des collectivités peuvent en témoigner. Si les Ics ne prenaient pas en compte cet aspect, vous alliez entendre des mouvements d’humeur ou des marches de protestation des populations. Dans ce cadre, l’entreprise fait de son mieux et les autorités de la commune, notamment le sous-préfet, peuvent en parler plus largement.»
Il faudrait motiver plus d’entreprises et plus d’industries à s’installer dans les régions, et pas uniquement à Dakar, à Diamniadio et les zones environnantes. Autrement, ce problème de manque d’emploi perdurera. Une seule entreprise (ICS) même avec de la bonne volonté ne pourrait sans doute pas combler tous les besoins des populations locales. Des entreprises nouvelles doivent s’implanter, des industries et des emplois doivent être créés pour que les populations aient un minimum de pouvoir d’achat.
Comment faire en sorte que chaque population ait ce qui lui faut dans sa propre région? ça reste un casse-tête.