Au Fouta, dans la conscience du peuple, il y a l’érudit Saïkou Oumar, le fleuve dont le cours va au rythme du blues et Baba Maal, la voix du peuple. Il y a aussi le trio, ce beau triplet vocal, qui a bercé, des décennies durant, des milliers de Futanké. Après Mbassou Niang, le mentor des débuts, Mansour Seck, le jumeau, vient de rejoindre le pays sans fin. Baba Maal marche seul désormais au milieu de la communauté des nôtres.
Les trois compagnons ont fondé en 1975 le groupe Lasly Fouta dont Oumar Demba Ba, ambassadeur émérite du Sénégal et biographe de Baba Maal, nous dit qu’il était plus qu’une bande mais un creuset de la culture pulaar.
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Oumar Demba Ba ajoute, comme pour appuyer sur la dimension de la perte, que l’amitié entre Baba Maal et Mansour Seck était la continuation de celle de leurs deux pères. ODB nous révèle les mots de Aïssata Wade, mère de Baba Maal, au sujet de leur lien : «Mansour est ton frère de sang. Considère-le comme tel. Dis-toi que vous avez le même père et la même mère. Que je sois vivante ou morte, restez toujours ensemble partout où vous serez.» Les deux artistes ont respecté le serment jusqu’à ce que l’implacable surgisse.
A 69 ans, le choriste et virtuose de la guitare nous quitte sur la pointe des pieds. Il reposera désormais sur les terres de Yoff, à proximité de l’océan et loin du fleuve. Mansour Seck a cofondé l’orchestre de référence qu’est devenu le Daande Leñol en 1985, au quartier Castors. Il a accompagné partout, de ses délicieuses notes de guitare, la voix envoutante de Baba Maal. Sa fameuse interjection «Wallahi !» pour ponctuer les paroles de l’artiste a bercé mon enfance. Il est né à Guédé en 1955, au cœur du pays de Saïkou Oumar. Ami d’enfance de Baba Maal, ils ont parcouru le monde, semant les graines de la culture pulaar et montrant aux autres ce que le Sénégal avait de si beau à offrir au monde. Ils étaient frères siamois, en fusion, marque d’une amitié que Euzhan Palcy, là aussi, comme pour la relation entre Senghor et Césaire, pourrait qualifier de «fondamentale». Beaucoup, à la disparition de l’artiste non-voyant, ont témoigné de cette amitié fusionnelle et de la fidélité entre les deux hommes.
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Mais peu connaissent le rôle fondamental que Mansour Seck a joué dans l’accès de Baba Maal à certaines traditions profondes dans notre Fouta complexe. En effet, c’est Seck, gawlo, fils de gawlo, qui a légué à Baba Maal, un cuballo non initié, le patrimoine du répertoire des griots du Fouta. Sans lui, Baba Maal n’aurait jamais reçu le titre de roi du Yéla, musique réservée aux griots (les awlube). Le Fouta a ses réalités dont les secrets ne s’offrent pas au premier venu ni aux fils, même les plus impétueux, mais s’acquièrent au bout d’un long exercice de patience et d’humilité dont sont seuls capables les esprits endurcis et résolus à accéder aux savoirs occultes.
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La matière avec laquelle Baba Maal a conquis le monde vient d’une source inépuisable, d’un répertoire vieux de plusieurs générations, mais dont les clés ont été conférées à lui par son ami et frère. L’homme ne se vantait jamais ; il était resté discret, fier de ses origines mais humble, de cette humilité propre aux gens du fleuve. Dans un texte hommage à Mansour Seck, notre brillant compatriote Lamine Ba, de Music in Africa, témoigne : «A chaque étape de cette incroyable aventure, Mansour était présent, témoin discret mais essentiel. Il était l’âme paisible qui équilibrait la fougue créative de Baaba Maal, apportant une stabilité et une profondeur inestimables à leur partenariat artistique.»
Mansour Seck était un artiste total, un homme fidèle, attaché à ses racines. Il était un Futanké abouti. Un fils du fleuve dont les eaux ont baigné l’être, la mémoire et les émotions.
Mbassou Niang est parti, Mansour Seck a suivi ; les perles de la disparition s’égrènent de manière bouleversante. Mais aujourd’hui plus qu’hier, le Daande Leñol résonnera pour conter à nos fils l’histoire de nos pères, celle de ce beau pays futanké, de sa mystique et des mythes qui bordent son fleuve.
Par Hamidou ANNE – hamidou.anne@lequotidien.sn
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